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Perspectives Psy
Volume 55, Numéro 4, octobre-décembre 2016
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Page(s) | 295 - 301 | |
Section | Histoire de la psychiatrie | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2016554295 | |
Publié en ligne | 1 février 2017 |
Histoire de l’introduction de la phénoménologie en psychiatrie en France
Partie 2 : Après la Seconde Guerre mondiale*
History of the introduction of the phenomenology in psychiatry in France Part 2 : After Second World war
Psychiatre, ancient président de Fédération Française de Psychiatrie, 7, place Pinel, 75013 Paris, France
L’introduction de la phénoménologie en psychiatrie dont, en France, le principal artisan fut Eugène Minkowski est étrangement liée en grande partie aux vicissitudes qu’a connues l’Europe pendant la Grande Guerre et à la neutralité pendant ce conflit de la Confédération Helvétique ainsi qu’ aux drames qu’a connus plus tard notre discipline d’abord en Allemagne sous le IIIe Reich et ensuite pendant la Seconde Guerre Mondiale dans toute l’Europe. Ces conflits, outre l’impact dramatique qu’ils ont eu sur le sort des malades mentaux dans tout l’ancien continent, ont en effet brutalement interrompu les échanges entre les pays de langue allemande et le nôtre, Minkowski réussissant néanmoins à jouer le rôle de passeur d’idées dans le domaine de la psychopathologie pendant une grande partie du XXe siècle.
Abstract
Introduction in France of psychiatric phenomenology from the beginning to the half of 20th century is strongly linked to Eugene Minkowski. Indeed, despite the political context in Europe (first and second world war), Minkowski managed to pass psychopathological works between German (and in particular phenomenological psychiatry) and French psychiatry. This paper comes back the role of Minkowski in the introduction of phenomenological psychiatry in France.
Mots clés : psychopathologie / histoire / psychiatrie / conscience / phénoménologie
Key words: psychopathology / history / psychiatry / consciousness / phenomenology
© GEPPSS 2016
Dès la Libération Minkowski reprend la publication d’articles à nouveau soit dans L’Évolution psychiatrique, soit dans les Annales médico- psychologiques; il est d’ailleurs élu à la présidence de la Société médico- psychologique en 1947.
La BNPLF
En 1948 est créée par Henri Ey, chez l’éditeur parisien Desclée de Brouwer, une « Bibliothèque Neuro-psychiatrique de Langue française » dont le comité de direction comprend Manfred Bleuler (Zurich), Ludo van Bogaert (Anvers), Henri Ey (Bonneval), Henri Flournoy (Genève), Étienne de Greeff (Louvain), Jacques Lacan (Paris), Jean Lhermitte (Paris) et enfin Eugène Minkowski (Paris). C’est dans cette BNPLF que vont être publiés pendant la seconde moitié du XXe siècle la plupart des ouvrages importants pour l’histoire de la psychopathologie et de la phénoménologie signés tant d’auteurs français qu’étrangers.
Henri Ey y publie les trois tomes de ses propres Études psychiatrique, puis les actes des IVe et VIe colloques de Bonneval. Dans celui sur « l’Inconscient » qui s’y tenu en 1960 mais dont les actes ne sont parus qu’en 1966 figurent les interventions de A. de Wellens sur l’Inconscient et la pensée philosophique, de Georges Lantéri-Laura sur Les problèmes de l’inconscient et la pensée philosophique et de Paul Ricœur sur Le conscient et l’inconscient. Mais il y a aussi de nombreuses interventions à propos des autres thèmes abordés en 1960 et Minkowski le fait à propos de « Neurobiologie et inconscient ». Il est intéressant qu’à Bonneval, sous-préfecture d’Eure-et-Loir devenue la capitale mondiale de la psychiatrie moderne par la grâce d’Henri Ey, soit intervenu Paul Ricœur (1913-2005) car celui-ci alors qu’il était prisonnier dans un Oflag pendant la Deuxième Guerre mondiale s’était consacré à traduire en français les œuvres de Husserl pourtant interdites en Allemagne, ce à quoi les autorités du camp n’avait rien trouvé à redire. Signalons que ce philosophe était membre du groupe de L’Évolution psychiatrique qui ne réunit pas que des médecins.
Je relève aussi parmi les ouvrages publiés dans cette bibliothèque :
• de L. Binswanger Le cas Suzanne Urban. Étude sur la schizophrénie (Binswanger, 1958);
• de Roland Kuhn Phénoménologie du masque à travers le test de Rorschach (Kuhn, 1957);
• de Viktor von Weizsäcker Le Cycle de la Structure (von Weiszäcker, 1958). Il me faut évoquer plus avant ces livres et les auteurs de leurs traductions.
Minkowski et les congrès de Psychiatrie
Monsieur Minkowski a toujours été très assidu, tant avant qu’après-guerre, aux sessions du Congrès de Psychiatrie et de Neurologique de Langue Française aussi bien celles qui se tenaient en France que dans d’autres pays francophones où il présentait souvent des communications ou bien intervenait dans les discussions, ainsi qu’aux premiers congrès mondiaux de psychiatrie. Personnellement je l’ai croisé pour la dernière fois en 1966 au IVe Congrès mondial de Madrid où, à la grande inquiétude de sa fille Jeanine Pilliard- Minkowski, il s’était rendu seul alors qu’il avait 81 ans.
Comme je l’ai dit il a repris nombre de ses articles publiés dans L’Évolution psychiatrique et les a intégrés dans la deuxième édition de La schizophrénie publiée à la BNPLF; d’autres le seront dans un recueil posthume intitulé Au-delà du rationalisme morbide (Minkowski, 1997) qui comprend lui le texte original de la thèse de 1926.
Entre Les enfants de Buchenwald publié en 1945 par l’OSE à Genève et ses derniers articles en 1965 on relève dans la bibliographie d’Eugène Minkowski des dizaines d’autres publications tant dans des revues françaises que de langue allemande, polonaise ou autres, etc. dont le Groupe Françoise Minkowska a fait la recension dans un numéro de ses Cahiers publié à l’occasion du 80e anniversaire de Minkowski, l’année où L’Évolution psychiatrique lui consacrait un numéro d’hommage et alors que le Traité de psychopathologie, le dernier grand ouvrage annoncé depuis 1940 était enfin réellement « sous presse ».
Le Traité de psychopathologie
Le Traité de psychopathologique (Minkowski, 1966) est lui aussi composé en triptyque, le livre premier traitant des « fondements et de l’orientation de la psychopathologie contemporaine », le II des « Assises de la personne humaine vues dans la perspective phénoménologique » et le III des « nouvelles voies d’approche ». Nous voyons apparaître dans leurs titres un certain nombre de mots importants comme orientation de la psychopathologie, personne humaine, perspective phénoménologique.
Dans le premier livre Minkowski traite successivement de l’autonomie de la psychopathologie, du phénomène (drame) de la folie, nous donne un aperçu sur l’évolution des idées en psychopathologie faisant à nouveau le parcours historique qu’il a déjà tracé dans l’entre- deux-guerres et qui va de Morel à Bleuler en passant par, Kraepelin, Binet et Simon et Chaslin, puis distingue dans la typologie constitutionnelle deux étapes avec Kretschmer et Bleuler, et enfin parle à nouveau de Janet, mais aussi de l’anatomo-physiologie à travers l’exemple de l’hallucination citant sur ce point Raoul Mourgue.
Dans le deuxième il traite des assises de la personne [je souligne ce mot] humaine vue dans la perspective de la psychopathologie; c’est en somme celle-ci qui permet de comprendre ce qu’est la personne; puis de l’affectivité dont il décrit les altérations notamment, celle par « disjonction » (Je pense que finalement il se résout à traduire ainsi Spaltung dans la schizophrénie), de l’affectivité schizophréniques. À propos de la « dépersonnalisation », il critique l’extension excessive donnée à cette notion du point de vue clinique citant à ce propos les études de Sven Follin d’un point de vue qu’il qualifie sévèrement de « pavlovien » et de Kraft d’un point de vue psychanalytique (Minkowski, 1966, pp. 432-438) et des altérations de celle-ci, notamment donc par disjonction de affectivité schizophrénique. Si mon ami Sven Follin (1911-1993) était membre du PCF je ne pense pas que l’on puisse qualifier son point de vue sur ce qu’il a nommé les « psychoses hystériques » de pavlovien. Minkowski formule ensuite des remarques phénoménologiques sur cette question critiquant aussi que l’on ait qualifié de « dépersonnalisés » les sujets souffrant du syndrome décrit chez les rescapés de la déportation à leur retour des camps; pour lui si les plaintes des malades traduisent un « sentiment », la clinique ne permet pas de décrire un authentiques syndrome de dépersonnalisation autrement dit par « disjonction ».
Dans la 2e partie consacrée à l’expression Minkowski étudie d’abord la phénoménologie de l’expression qui relève, selon lui de la cœxistence, la rapproche du dynamisme de la vie, de l’ineffable, mais clôt ces réflexions en parlant de l’expression dans les sciences biologiques en faisant référence sur ce point aux travaux de Portmann de Bâle qui parle de Darstellungsweilt chez les espèces animales (Minkowski, 1966, pp. 476).Il décrit ensuite les altérations de l’expression de façon assez classique puisqu’il parle des troubles de la mimique, du maniérisme et du théâtralisme. Il rappelle que Bleuler parlait de verschrobene Audisuckweise, ce qu’Henri Ey traduisait par « modalité impénétrable et entortillée de leur expressions délirantes ».Et enfin il nous invite à lire le livre de L. Binswanger Drei Formen des missgluklen Daseins. Verstiegenheit Verschvobenheit Manierirtheit publié en 1956 à Tübingen (Minkowski, 1966, pp.485), soulevant ainsi la question des traductions des textes sur la phénoménologie en allemand à destination des psychiatres français non germanophones.
Les traductions françaises de texts de Ludwig Binswanger et de Karl Jaspers
Dans la 2e édition de sa thèse Minkowski insistait déjà sur l’intérêt qu’il y aurait à traduire et à publier en français les textes de Binswanger. En 1938 était paru dans L’Évolution psychiatrique la traduction de La conception de l’homme chez Freud, à la lumière de l’anthropologie phénoménologique faite par Hans Pollnow (1902-1943). Ce psychiatre juif polonais avait étudié la philosophie à Heidelberg, ville où il est né, puis la médecine à Berlin où il a soutenu sa thèse en 1929; émigré en 1933 à Paris il ne pouvait y exercer la médecine faute de diplôme valable et il aidait Minkowski dans un établissement pour enfants. Soulignons qu’il a également traduit Descartes en allemand et la philosophie de Karl Jaspers, dont il avait suivi l’enseignement, en français. Déporté en 1943 Hans Pollnow est mort à Mauthausen.
En 1950 a été organisé à Paris par les sociétés françaises de psychiatrie alors actives dont L’Évolution psychiatrique et la Société Médico- psychologique, ainsi que par la Société Psychanalytique de Paris, le Premier Congrès Mondial de Psychiatrie, manifestation dont Henri Ey fut le secrétaire général. Il était prévu que le congrès soit présidé par Pierre Janet mais celui-ci étant mort pendant la préparation ce rôle échut à Jean Delay (1907-1997). Binswanger fait à cette occasion à Paris une conférence sur « la Daseinanalyse en psychiatrie » où il prend ses distances avec Jean-Paul Sartre : « S’il est un terme équivoque, c’est bien le terme « existence », c’est pourquoi je le rejetterais et le remplacerais par le terme allemand « Dasein »; l’« analyse existentielle » devenant alors la « Daseinanalyse ». Ce mot est presque intraduisible : nous pourrions à la rigueur proposer « analyse anthropologique phénoménologique » si nous ne craignions que cette expression ne se présente un peu lourdement en français ».Le texte paraît dans L’Encéphale.
Ey publie en 1956, dans le numéro de L’Évolution psychiatrique en « Hommage à Minkowski » (Ey, 1956), une analyse de « Rêve et l’existence de Binswanger ». Il précise dans une note que ce texte publié en 1930 sous le titre Traum und existens a été « admirablement » traduit par Jacqueline Verdeaux et qu’il est précédé d’une « magnifique » introduction de Michel Foucault (Ey, 1956, pp. 109) Notre collègue Jacqueline Verdeaux va jouer en effet un très grand rôle dans ces traductions qui seront lues et commentées par nombre de psychiatres français comme Jacques Lacan. Celui-ci publie, dans ce même numéro d’hommage à Minkowski, l’« amplification d’une conférence prononcée à la clinique neuropsychiatrique de Vienne le 7 novembre 1955, La chose freudienne ou sens du retour à Freud ». La traduction de ce texte faillit coûter la carrière à notre ami le professeur Peter Berner, alors privat-dozent, qui avait assuré à son patron qu’il était parfaitement francophone alors qu’il s’est alors montré incapable de traduire en allemand les propos de Lacan. Celui-ci a repris ce texte sans aucune modification dans le livre IV des Écrits. Je n’ai toujours pas compris en quoi exposer aux psychiatres viennois en français ce qu’est la chose freudienne rendait hommage à Eugène Minkowski; mais paradoxalement c’est Lacan qui a, au nom de L’Évolution psychiatrique, prononcé lors des obsèques de Françoise Minkowska à Paris un très émouvant et poétique hommage; d’autres hommages seront rendus à celle-ci en Suisse entre autres par Manfred Bleuler et W. Morgenthaler.
Je signalerai ici qu’Henri Ey a confié la traduction pour la BNLF de Der Gestakreis de Viktor von Weizsäcker à deux jeunes agrégés de philosophie Michel Foucault et Daniel Rocher qui la publient sous le titre Le cycle de la structure avec une préface d’Henri Ey (Weizsäcker, 1958). Celui-ci précise que ce médecin et philosophe allemand s’est beaucoup inspiré de Max Scheler et de Heidegger mais que pour les français le seul auteur qu’il cite est Jean-Paul Sartre ignorant donc Minkowski. Il estime que Weizsäcker (1886-1957) entend se rapprocher des auteurs husserliens et évoque à ce propos deux ouvrages de Merleau-Ponty (1908-1945) La Structure du comportement et Phénoménologie de la perception (Merleau-Ponty, 1942; 1945). Je signalerai volontiers quant à moi que Weizsäcker a aussi publié en 1947 un texte important sur l’« euthanasie active » sous le régime nazi et que son dernier grand ouvrage Pathosophie (1945) a finalement été traduit en français en 2011. Bon nombre des concepts qu’il a forgés ont été utilisés à la fin du XXe siècle par des phénoménologues auteurs comme Maldiney, Schotte ou Bin Kimura.
L’œuvre de Ludwig Binswanger en France
L’hommage de Binswanger à Minkowski dans le numéro de 1966 de L’Évolution (L’Évolution psychiatrique, 1966) consiste en une « lettre » adressée à son cher ami où il rapporte sa surprise quand celui-ci remarquait en 1920 que le problème du temps est un problème d’éthique jusqu’à ce que la lecture de la description par Marcel Proust dans À l’ombre des jeunes filles en fleur de l’euphorie d’une ivresse au champagne lui en fasse comprendre le sens. Proust nous dit en effet que le narrateur était « enfermé dans le présent », que l’ivresse réalise pour quelques heures l’idéalisme subjectif, le phénoménisme pur; tout n’est plus qu’apparence et n’existe plus qu’en fonction de notre sublime nous- même… de tout ce qui n’est pas actuel nous ne nous soucions pas ».
Je me suis toujours personnellement étonné que Proust n’ait jamais parlé de Freud malgré les connaissances approfondies de psychologie qu’il avait, de même d’ailleurs que le père de la psychanalyse n’ait jamais, à l’inverse, parlé de l’écrivain, fils d’un ami intime de son maître Charcot, alors qu’il pouvait avoir lu en français La recherche ou dans la traduction en allemand qu’en a faite Walter Benjamin (1892-1940) avant de quitter l’Allemagne en 1933 avant de se réfugier en France. Lorsque nous lisons la Recherche nous nous demandons qui est le narrateur ? Serait-ce le Soi qui nous parle ainsi ?
On a continué après le Congrès mondial de Paris à traduire les ouvrages sur certains cas cliniques célèbres étudiés à la clinique de Kreuzlingen par Ludwig Binswanger fondateur de la Daseinsanalyse, méthode dont il avait parlé en 1950, en la différenciant de la psychanalyse freudienne pour l’associer à la phénoménologie de Husserl et à celle d’Heidegger, ainsi que ceux d’autres psychiatres suisses phénoménologues.
En 2007 a été publié en français, sous le titre La guérison infinie, l’histoire clinique d’Aby Warburg admis à la clinique de Kreuzlingen le 16 avril 1921 (Binswanger, 2007) et pour lequel Kraepelin appelé en consultation à la demande de la famille avait conclu contrairement à l’avis des autres médecins consultés qu’il s’agissait d’un « état mixte » maniacodépressif et non d’une schizophrénie, ce que l’évolution ultérieure confirma puisque cet éminent historien de l’art guérit de son expérience délirante et reprit ses travaux d’érudition qui lui ont permis de fonder l’iconologie. Ce dossier comprend aussi des lettres du malade lui-même ainsi que de Binswanger notamment à Freud à propos de Warburg. La bibliothèque de 80 000 volumes que celui-ci avait constituée a pu être transférée à Londres avant l’arrivée des nazis au pouvoir, la sauvant ainsi de la destruction.
Les traductions de Jacqueline Verdeaux
C’est Jacqueline Verdeaux, traductrice La personne du schizophrène de Wyrsch (1966), qui est aussi l’auteure de la traduction de la Phénoménologie du masque à travers le Test de Rorschach de Roland Kuhn (1912 -2005) qui est publiée en 1957 dans la BNPLF avec une préface de Gaston Bachelard. Kuhn, ami de Binswanger depuis la fin des années trente, est surtout connu de nos jours pour avoir découvert l’effet antidépresseur de l’imipramine, molécule qu’il utilisait pour traiter les malades de la clinique de Münsterlingen où il exerçait ayant succédé dans cette institution à Herman Rorschach. Cet établissement est proche de la clinique de Kreuzlingen des Binswanger. La ville de Bâle est célèbre à la fois pour son carnaval et pour être le siège d’importantes multinationales de l’industrie chimique et pharmaceutique dont une a fait la synthèse de ce premier antidépresseur.
En mars 1954, Michel Foucault, qui enseignait alors la psychologie à Lille, s’est rendu à Münsterlingen pour assister au carnaval, manifestation que les malades et les médecins continuaient à fêter en se déguisant selon la tradition moyenâgeuse des « fêtes de fous ».Un ouvrage collectif a été consacré en 2015 à cette visite de Foucault accompagné de Jacqueline Verdeaux dans cette institution (Bert et Basso, 2015). Binswanger envoie cette année là à celle-ci un tiré-à-part de son article le Cas Ilse pour qu’elle le traduise en français avec Michel Foucault .Elle va aussi traduire Le cas Suzanne Urban. Étude sur la schizophrénie publié par Binswanger en 1952, traduction qui paraît en 1957. Enfin Le cas Lola Voss. Schizophrénie (4e étude) a été traduit en français et publié en 2012 aux PUF (Binswanger, 2012). Le souhait de Minkowski que les études sur la schizophrénie de son ami soient traduites en français est enfin réalisé.
La diffusion de l’œuvre d’Eugène Minkowski
En 1999 a été publié un ouvrage dirigé par le professeur Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’Université René Descartes (Paris V) qui a fait appel à un certain nombre d’auteurs dont certains, y compris des membres de la famille, ont depuis disparus pour évoquer divers aspects de l’ œuvre de Minkowski (Granger, 1999) :
• Georges Lantéri-Laura (1929-2012), luimême psychiatre et philosophe a dessiné La place de l’œuvre d’Eugène Minkowski dans la psychiatrie du XXe siècle est ses aspects (Granger, 1999, pp. 11-24).
• Jean Naudin et Jean-Michel Azorin, représentants de l’École de Marseille fondée par Arthur Tatossian, ont traité de L’apport de la psychopathologie d’Eugène Minkowski à la compréhension des personnes souffrant de schizophrénie (Granger, 1999, pp. 25-42). • Moi- même d’Eugène Minkowski et le
groupe de L’Évolution psychiatrique puisque je le présidais alors (Granger, 1999, pp. 43-56).
• D.-A. Allen du Rationalisme morbide dans l’Histoire : à propos d’un cas paradigmatique : Gaston l’utopiste ou E. Minkowski avec G. Orwell) (Granger, 1999, pp. 57-74).
• Anne Wiltock De la cosmologie à l’anthropologie et à la position phénoménologique du psychothérapeute (Granger, 1999, pp. 75-90). • Marianne Minkowski de La main tendue (L’œuvre sociale et le Centre Minkowska) (Granger, 1999, pp. 91-97).
• Bernard Granger de L’œuvre écrite d’Eugène Minkowski (Granger, 1999, pp. 99-111)
• Ces articles sont suivis d’une bibliographie des écrits d’Eugène Minkowski (Granger 1999, pp. 113-125).
• Du temps de l’étoile jaune qui comprend une allocution du Dr Bessière, le discours d’Eugène Minkowski lors de la réunion de l’OSE le 22 avril 1945 que j’ai rapporté et une allocution du Dr V Kremer (Granger, 1999, pp. 126-149).
• d’une allocution faite le 13 décembre 1967 au Cercle d’Études psychiatriques organisé par Ey pour les jeunes psychiatres Discussion sur le problème du délire où Minkowski raconte avec humour ses déboires alors, qu’après la Grande guerre il avait obtenu pour gagner sa vie grâce au professeur Claude une place de médecin particulier auprès d’un riche malade en proie à une mélancolie délirante auprès duquel il passait vingt-quatre heures par jour, expérience éprouvante mais qui lui a fait découvrir le phénomène de l’intuition délirante (Granger, 1999, pp. 153-162).
* Et enfin d’une postface L’homme, le père, le citoyen, écrite par son fils Alexandre Minkowski, professeur émérite de l’Université René Descartes (Granger, 1999, pp. 163-166). Celui-ci parle non seulement de son père et de sa mère mais aussi de sa fille Marianne qui présidait alors le Centre Françoise Minkowska.
Bernard Granger a rassemblé plus tard sous le titre Écrits cliniques des textes d’Eugène Minkowski avec une présentation et surtout une bibliographie complète de ceux-ci (Granger, 1999).
Signalons enfin que Jeannine Pilliard-Minkowski a publié en 2009 un petit livre sur ses parents qu’elle a sous-titré Éclats de mémoire (Pilliard-Minkowski, 2009). C’est une évocation de leurs vies et de leurs œuvres à partir de ses souvenirs dont certains remontent à son enfance donc avant la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons ainsi la surprise de lire le portrait des premiers membres de L’Évolution psychiatrique telle que pouvait les voir une jeune adolescente quand certains venaient au domicile de la famille qui s’était installée en 1931 au 132 du boulevard Montparnasse. Nous voyons ainsi qu’Edouard Pichon apparaissait à ses yeux comme un bon chanteur et linguiste distingué, qui chantait des airs bien français, qu’Angélo Hesnard est surtout impressionnant par son uniforme de médecin de la Marine ou que Gilbert Robin rappelle Charles Trenet jeune (pp. 28-29) !
Elle évoque ensuite l’activité de L’Évolution psychiatrique après la guerre du temps d’Henri Ey jusqu’aux cérémonies qui commémorèrent à Perpignan en 1997 le vingtième anniversaire de la mort de celui-ci. Nous apprenons que se réunissait aussi chez les Minkowski les philosophes Koyré, Le Senne, Merleau-Ponty et Gabriel Marcel. Mais la partie la plus émouvante de ces mémoires est celle qui porte la Guerre et l’Occupation où elle évoque la rencontre à Sainte- Anne avec Sven Follin et Julian de Ajuriaguerra jusqu’à l’arrestation le 23 août 1943 par des policiers français qui lui permettent d’aller prévenir dans la nuit Cénac qui obtient du Préfet de police que ses parents ne soient pas remis aux allemands. Ces éclats de mémoire comportent aussi un passage sur le discours de Lacan, à l’époque très beau et très jeune, dit-elle, au nom de L’Evolution psychiatrique aux obsèques de Françoise Minkowska. Elle évoque aussi le retour de son père de ce congrès de Madrid où il s’était rendu seul et enfin sa mort.
Je remercie les organisateurs du colloque sur « Le sens de soi dans la schizophrénie » qui s’est tenu à Lyon le 8 juin 2016 de m’avoir invité à parler de l’introduction de la phénoménologie en psychopathologie en France, me permettant ainsi de retracer une période importante de l’histoire de la psychiatrie française qui a été marquée par des événements dramatiques.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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