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Perspectives Psy
Volume 55, Numéro 4, octobre-décembre 2016
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Page(s) | 232 - 239 | |
Section | Les attentats... et après ? | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2016554232 | |
Publié en ligne | 1 février 2017 |
L’accueil d’enfants après un attentat
Children’s care after a terrorist attack
Centre de victimologie pour mineurs, Hôpital Armand Trousseau,
AP-HP, 26, avenue du Docteur Arnold-Netter, 75012
Paris, France
Un attentat représente un événement exceptionnel particulièrement violent rompant le continuum d’une existence. Il peut s’accompagner de la mort de proches, ajoutant une dimension de perte. La dimension psycho-traumatique s’impose par l’irruption soudaine d’une menace à la vie. À l’effroi suscité s’ajoute la terreur voulue. Pour un enfant, il s’agit aussi d’une fracture délétère. Même le jeune âge ne protège pas de possibles conséquences psychopathologiques à court et long terme. Il s’agit d’un incident particulièrement difficile à comprendre et à intégrer pour un être jeune brutalement confronté à une discontinuité du sens. La perte de sécurité est majeure. L’entourage familial, principal soutien, est remis en question. Le développement peut être compromis. Le quotidien est souvent bouleversé. Nous voulons présenter les particularités de l’accueil d’une jeune victime, les aménagements qui s’imposent et les principales complications à craindre.
Abstract
An attack is a particularly violent exceptional event breaking the continuum of existence. It can be accompanied by the death of near relations, adding a dimension of loss. The psycho-traumatic dimension is generated by the sudden irruption of a threat to life. To the dread elicited by the attack is added the fact that this terror was deliberately created. For a child, it is also a deleterious fracture. Even the young age does not protect from possible psychopathological consequences in the short and long term. This is an incident particularly difficult to understand and integrate for a youngster brutally confronted with a discontinuity of meaning. The loss of security is major. The family environment, the mainstay, is being questioned. Development may be compromised. The everyday life is often overthrown. We want to present the particular features of the care of a young victim, the amenities that are necessary and major complications to fear.
Mots clés : attentat / enfant / psycho-traumatisme / deuil traumatique
Key words: attack / child / psycho-traumatism / traumatic grief
© GEPPSS 2016
Un attentat renvoie, au niveau individuel, à la confrontation à sa propre mort ou à celle de proches, aux blessures physiques éventuelles, à l’effraction psychique et l’effroi suscité. Le deuil se fige sous l’effet du processus traumatique. La base de sécurité se fissure rendant tout étayage précaire. Au niveau collectif, il s’agit pour ceux qui commettent un tel attentat d’imposer le règne de la terreur, d’empêcher de penser, et de paralyser pour inhiber toute réponse adaptée. Le silence se fait. La violence triomphe. L’idée de la Loi, de toute loi, s’effrite. L’horreur est instrumentalisée pour être mise au service du chaos. Les morts et les blessés sont transformés en signes de cet appel au néant. Les survivants et les témoins sont là pour relayer et diffuser la contamination. Face à l’éclatement et à la dissolution des liens, s’organiser c’est lutter, ne pas accepter et agir. Loin de l’agitation et de l’émotion brute, il y a lieu d’opposer une pensée et de proposer de la structure. Le vivant, ensemble coordonné de cellules fonctionnant en harmonie, nous donne le modèle de ce qu’il faut opposer aux attaques mortifères. L’accueil est un des points essentiels de ce qu’il faut proposer en tant qu’organisation, comme symboliquement un port face à la tempête, un lieu d’où repartir. Il s’agit de réinscrire des victimes déshumanisées, objectalisées, sidérées, dans le lien et dans l’ordre d’un Humain espéré. Cette main tendue permet de réduire la dérive, d’éviter de sombrer, et ouvre la porte vers les soins et la possibilité de surmonter l’épreuve en étant accompagné.
Nous présenterons le cas d’une enfant victime d’attentat accueillie en consultation externe avec sa famille et tenterons d’en dégager quelques considérations.
Observation et suivi clinique
Suzanne a huit ans en janvier quand son père est tué dans un attentat. Elle a un frère de trois ans et une sœur de 20 mois. Elle a aussi un frère qui est mort à deux ans quand elle avait quatre ans. Elle consulte le 18 mars. Elle était à l’école quand les faits se sont produits; son père l’y avait amené le matin. Sa mère est allée la chercher; le père aurait dû être à la sortie de l’école : « c’est bizarre ! ». Revenues à la maison, elles se sont inquiétées car le père ne rentrait pas; il était sorti faire des courses comme d’habitude pour le repas du soir. Sa mère a entendu aux informations qu’il se passait une prise d’otage dans le magasin que le père fréquentait d’habitude. Suzanne a vu que sa mère pleurait; elle a pleuré aussi, l’absence du père se prolongeant. Elle s’est inquiétée. Elles sont allées chez une tante où sa mère a allumé la télé : « On a vu mon père sur un brancard ». Quelqu’un a annoncé à sa mère « une mauvaise nouvelle : qu’il était mort ». Sa mère lui a dit qu’il était blessé, « pour pas me faire de la peine ». Elle ne lui a appris qu’ensuite sa mort, disant d’abord : « Il s’en sort; ça va... ». Mais Suzanne savait déjà qu’il était mort. Sa petite cousine l’ignorait et Suzanne n’a pas voulu lui dire : « je ne voulais pas qu’elle pleure ! ». La nuit, elle n’arrivait pas à dormir; elle n’arrêtait pas de se réveiller : « je pensais trop à lui ! Il y a des gens qui ont commencé à tirer. Il a été blessé. Il a voulu sauver quelqu’un ou il n’a rien vu et il a été tué... On n’a pas vu mon père sortir, à la télé. On s’est demandé. Il aurait appelé. Maman, elle avait le téléphone dans la main. C’était incroyable ! Je ne pouvais pas penser qu’il s’est passé ça. Il n’a même pas appelé ! Moi et Maman, on était en pleurs. C’était vraiment triste !... Une fois, je l’ai vu en rêve; un beau rêve; on jouait ensemble au parc; au toboggan; il m’a rattrapée et on a fait un câlin... Je n’arrête pas de penser à lui; tous les matins, je pleure parce qu’il me manque; tous les jours, il y a quelque chose qui me fait penser à lui : il faisait quelque chose que je fais et je pense à lui quand je le fais... Je ne pense jamais à lui l’après-midi, sauf quand je suis à la maison; pas à l’école... Je suis 1re à l’école; c’est facile ! Tous les jours je parle à Maman et à la maîtresse; ça me fait rien d’en parler ici; d’habitude, j’ai envie de pleurer; là je ne pleure pas... ». Elle pense aux personne de la famille qui ont disparu : le grand-père, son frère mort de la varicelle : « Il saignait; on n’a rien compris; je ne sais pas pourquoi; je pense à lui ». Elle prie le matin enveloppée dans le vêtement de son père : « Il y a un manque ! Je pense à lui chaque jour... ».
Suzanne voudrait être médecin, pour s’occuper de sa famille... Elle aime lire, regarder des dessins animés; elle adore la musique et dessiner. Elle rêve de faire du piano.
Sa mère a eu une seule consultation d’une psychiatre en ville un mois après les faits, recommandée par une association. Elle ne va pas bien et en est consciente mais ne se décide pas à poursuivre un suivi. Elle n’est pas arrivée à retourner vivre chez elle; elle est hébergée temporairement par le frère de son mari. Elle est en attente d’un nouvel appartement dans le même immeuble qu’elle habitait. Elle ne travaillait pas mais avait entrepris de se présenter au concours de professeur des écoles en avril; elle ne s’est pas sentie la force de le faire.
Suzanne est studieuse, 1re de sa classe, en CE2. Les nuits sont perturbées; les enfants dorment avec leur mère. Elle semble protéger sa mère, ne voulant pas lui faire de peine. Suzanne tient un cahier de souvenirs de son père, pour ne pas l’oublier quand elle sera grande. Elle parle de lui en épelant P-A-P-A. Elle dessine à maintes reprises des dessins de famille avec son père ou fait des dessins de son père, avec des cœurs et des « Je t’aime ».
Le rendez-vous suivant du 11 mars est annulé pour une commémoration.
Suzanne est revue le 25 mars : « J’ai beaucoup pleuré ce matin en entendant une chanson douce; j’ai pensé à Papa... J’ai fait un rêve horrible : j’étais en forêt avec ma classe et ma maîtresse; ma copine Léana est partie seule dans la forêt; deux loups sont revenus l’un avec son pied et l’autre la tête de ma cousine... ». La famille est maintenant hébergée chez le grand-père. Suzanne dort bien, dans le lit de sa sœur et de son frère; elle ne se réveille plus la nuit. Elle évoque un souvenir à un an où elle serait allée avec son père à la tour Eiffel. Elle parle de son frère mort, de ses grands-mères mortes, de son père; elle est triste : « je les aime ! ». Sa mère dit qu’elle a pris pour la nuit le doudou de son frère mort. Elle chantait beaucoup avec son père. Elle mange beaucoup : elle a pris trois kg en trois mois.
Madame revient le 6 mai avec ses enfants et leur grand-père. Ils sont allés passer quelques jours de vacances en Corse. Suzanne pensait tous les soirs à son père. Elle fait toujours le même rêve : « Papa vient me chercher à l’école ». Hier soir elle a pleuré : « je fais souvent descauchemars. Après un film, j’étais avec ma famille avec mon père, le méchant nous a tiré dessus !... À chaque cauchemar, il y a Papa... ». À l’école, cela se passe bien; le directeur vient lui parler. Elle fait un dessin de sa famille puis un visage en forme de cœur avec écrit : « Je t’aime Papa »...
Sa mère trouve que Suzanne va plus mal. Ellemême est fatiguée, les traits tirés, elle ne dort pas, « cogite » sur les évènements, le futur; elle ne fait pas de cauchemars mais dit, dans un doute sur la : « Je vis un film; ce n’est pas possible ! Je survis pour les enfants ». Elle est très anxieuse : « J’ai peur de tout; j’ai peur qu’on s’en prenne aux enfants; je mets une alarme et j’ai une porte blindée chez moi... Je n’ai pas revu le psychiatre pour moi; je n’ai pas le temps ! ». Elle est très entourée de sa famille.
Suzanne dessine tout le temps; elle écrit des « Je t’aime ». Depuis quelques jours, elle est effacée à l’école. Elle dort dans sa chambre... Revue le 3 juin, Suzanne dit aller bien et n’avoir plus de peur. Avec sa famille, elle a emménagé dans leur nouvel appartement. Elle a sa chambre et a retrouvé une intimité. Elle ne fait pas de mauvais rêves, « que des beaux rêves » dont elle ne se souvient pas... Elle s’inquiète pour ses notes mais elle n’en a que de bonnes; elle ne peut s’empêcher d’avoir peur de redoubler quand même : « Je ne sais pas pourquoi !... » Suzanne dessine très soigneusement une maison très colorée avec un grand ciel bleu et le soleil.
Sa mère est fatiguée, suite au déménagement. Elle voit que Suzanne en est contente. Madame a demandé à son père de passer quelques jours avec eux car elle a peur d’être seule : « Je n’arrive pas à me faire à l’absence ! ». Elle se met à pleurer...
Le rendez-vous du 24 juin est annulé car toute la famille est malade. Elle ne pourra être vue le 1er juillet.
Le 8 juillet, Suzanne parle de nuits difficiles : « j’entends Maman qui pleure depuis mon lit; ça me fait de la peine... Je fais beaucoup de cauchemars; il y a Papa; je pleure; il me parle : Je suis là !; quelqu’un vient et le tue. C’est toujours le même rêve... ». Elle dort dans sa nouvelle chambre, dans son lit, seule, mais parfois elle rejoint sa mère car elle pense à son père. Elle s’endort tard le soir et se réveille fatiguée, avec un mal de tête. Elle ressent douloureusement l’absence : « Papa me manque beaucoup en ce moment; je le demande à Maman. A l’école, je pleure parce qu’il me manque... ». Son anniversaire est dans une semaine; elle ne voulait pas fêter ses 9 ans : « Je pense à mon dernier anniversaire, à 8 ans, en juillet avec mon père... ». Elle dessine sa famille où tout le monde pleure, son père est étendu sur un nuage les yeux fermés et elle écrit autour d’un cœur noir : « Papa, tu me manques beaucoup ». Elle mange beaucoup et prend du poids, ayant tout le temps faim.
Madame ne dort pas beaucoup. Elle « tombe de fatigue ». Elle s’occupe beaucoup...
La famille part en vacances le 14 juillet pour l’été.
Ils reprennent contact pour un rendez-vous le 30 septembre, après les fêtes. Suzanne est rentrée en CM1 dans la même école; elle s’ennuie, le niveau n’étant pas assez élevé pour elle, malgré du travail en plus et de la lecture. Elle n’allait pas bien pendant les fêtes, se rappelant quand elle les préparait avec son père. Sa mère pleurait; Suzanne aussi : « C’était dur ! ». Elle dort bien; elle ne fait pas de cauchemars, ou rarement, ni de rêves. Elle est fatiguée et a du mal à travailler car elle ne se sent pas bien. Elle pleure tous les matins; elle se rappelle qu’elle chantait avec son père. Elle mange moins. Elle va faire de la danse modern- jazz. Elle se sentait bien en vacances, entourée par la famille. À l’école, les autres ne sont « pas gentils » avec elle : « Ils ont peur de moi ! La colère, je connais. Je m’énerve toute la journée. Je leur hurle dessus à l’école. Pas à la maison; j’ai peur de Maman ! Papa était gentil; pas sévère; pardonner les méchants pour Papa, c’est très dur... ». Elle dessine son père...
Suzanne a « des hauts et des bas ». Madame a été convoquée par le directeur car elle ne tient pas en place et manque de concentration; elle a moins envie de travailler. Elle s’ennuie. Elle a refusé en larmes d’aller en classe de neige : « Je n’ai plus Papa; je ne veux pas que tu ne sois plus là quand je reviens ! J’ai peur ! »... Madame se dit incapable de lui dire la vérité sur la mort de son père qu’elle a voulu lui cacher initialement, ne sachant quoi faire. Sollicitée, Suzanne lui dit avec un sourire : « Je le savais dès le début ! J’avais compris quand tu étais en train de pleurer; je ne voulais pas que tu le saches et je ne n’ai rien dit; j’ai fait semblant de te croire ! ». Sa mère n’arrive pas à la croire... Chacun protège chacun... Suzanne dessine son père et écrit autour : « PAPA, je t’aime, je ne t’oublierai jamais, je t’adore, bisous, bisous ! » avec un cœur en rouge... Au dos, elle fait une maison-visage en rouge dans le ciel bleu.
Suzanne souffre. Elle pleure beaucoup. Elle est confrontée à une absence intolérable, inélaborable, trop soudaine et brutale. Elle est assaillie de répétitions où l’être cher lui revient, lui fait don d’un bon moment partagé puis lui est brutalement enlevé par des tueurs. Inlassablement elle tente de rétablir le contact par des dessins répétitifs de sa famille au complet, de son père et de représentations du ciel. Elle lui renouvelle sans cesse les déclarations d’affection. Elle répète des gestes propres à son père et des activités qu’elle avait avec lui, comme chanter. Elle pense beaucoup au disparu, aux moments partagés qui lui ont été définitivement volés, faisant correspondre passé révolu et manque au présent dans le processus de deuil. Elle s’inquiète pour sa famille qu’elle tend à protéger en minimisant l’expression de sa douleur. Elle a peur que sa mère disparaisse et de se retrouver seule. Elle maintient une bonne adaptation et travaille bien, le scolaire étant très investi par elle et sa mère, qui n’a pas eu la possibilité de poursuivre ses études. Elle dort mal et est fatiguée. Elle mange beaucoup. Elle est tendue, se concentre moins bien, s’énerve facilement contre ses camarades, sentant en elle une forte colère.
Son frère et sa très jeune sœur partagent cette tension. Ils sont agités, coléreux et dorment mal. Ils réclament leur père absent et n’acceptent pas sa disparition. Le frère de Suzanne attend son retour; il est en difficulté à l’école, mange mal et a régressé pour la propreté. Il a le sentiment d’être puni par la privation de son père sans savoir de quelle faute.
Leur mère a du mal à les canaliser. Elle est accablée par la mort brutale de son mari et désemparée de rester seule avec ses enfants en difficulté. Elle craint de sortir au dehors, d’être repérée, et qu’ils soient à nouveau attaqués. Elle a du mal à réaliser ce qui s’est passé et qui a un aspect irréel à ses yeux. Elle dort mal et est fatiguée. Elle est très tendue, nerveuse. Elle s’occupe beaucoup pour ne pas penser mais n’arrive pas à s’autoriser à se soigner, malgré la détresse qu’elle ressent. Elle a suspendu son projet professionnel et n’a pu retourner dans le logement qu’ils occupaient, sans vraiment s’en éloigner. Garder le souvenir du père est une préoccupation forte, les enfants étant très jeunes et cet homme ayant laissé le souvenir d’une bonté et d’une proximité avec eux.
Tous les quatre, à leur façon, sont demandeurs de l’aide qui leur est proposée. Les enfants ont une importante quête affective. Ils cherchent des substituts paternels. Ils souffrent. Leur mère pose des questions et s’appuie sur les conseils. Ils ont pu être vus rapidement après l’attentat, après un premier contact dans une réunion des victimes et de leurs proches. Ils bénéficient d’un accompagnement juridique du fait de la nature de l’agression, une enquête ayant été ouverte. Leur famille est très présente. La religion tient une place importante pour eux, permettant de croire en une certaine présence du disparu et se concrétisant dans la prière et les rites. D’autres événements violents depuis janvier ont entretenu leurs inquiétudes, même si les mesures de sécurité prises au niveau national les ont un peu rassurés.
Clinique du Trauma chez l’enfant
Le point capital dans le Trauma est de rompre, de séparer, d’isoler et finalement de détruire. L’attentat, par sa dimension collective et son impact à grande échelle, relayé largement de nos jours par les media, démultiplie cette dimension. Le traitement passe par réunir ou maintenir une unité, unité interne et de la partie avec le tout. Suis-je une personne ? Comment croire en moi, en autrui ? En une société ? Y a-t-il un prochain ? A-t-on une place ici ? Qu’attendre de demain ?
L’enfant renvoie à demain. Il est en devenir. S’en prendre aux enfants, c’est tuer la possibilité d’une survie, d’un avenir, la représentation d’une Vie que se transmet. Si l’on détruit l’humain en l’enfant, si on le transforme en mort-vivant, si on vampirise son psychisme, c’est l’âme du groupe auquel il appartient que l’on menace. Plus encore que toute victime, l’enfant doit être accueilli, aidé, soutenu et soigné.
La situation échappe à toute possibilité de contrôle, par l’enfant ou ses protecteurs naturels, les adultes. Il s’est confronté lors de l’attentat à son impuissance; il n’a pu que subir. Ses parents, sa famille ont été incapables de le protéger, voire de se protéger euxmêmes. Des adultes lui ont fait du mal volontairement. Accueillir l’enfant victime c’est tenter de lui redonner confiance en autrui.
Il nous semble que la survenue d’attentats dans une ville pose des questions délicates de conduite à tenir. Les évènements ayant eu lieu de jour, beaucoup d’enfants étaient dans leur école. Ils y ont été exposés aux échos de ce qui se déroulait plus ou moins loin, répercuté par leurs tablettes et téléphones portables. Ils peuvent entendre depuis les salles de classe, les couloirs et les cours de récréation, des sirènes, des bruits de véhicules, des cris, des détonations voire des explosions; ils peuvent voir passer des unités d’intervention, comme des hélicoptères qui peuvent rester en vol stationnaire à proximité. Les adultes, enseignants ou autres professionnels scolaires, peuvent être plus ou moins informés de ce qui est en train de se dérouler et se sentir ou non en droit et en état d’informer ou d’expliquer aux élèves ce qui arrive. Ils peuvent faire partager leur émotion, aider les élèves à gérer la leur, ou les inquiéter. Ils peuvent désamorcer des rumeurs ou en créer. Des élèves nous ont dit après cet attentat proche de leur collège qu’ils avaient eu très peu d’information en cours, n’ayant pour des raisons socio-économiques que peu de téléphones équipés d’internet et les adultes ne leur ayant rien dit, et qu’ils avaient eu très peur que des terroristes pénètrent dans leur établissement et s’en prennent à eux, comme cela s’était produit à Toulouse dans l’affaire Merah. Dans les établissements scolaires les plus proches des événements, les élèves avaient été maintenus autoritairement dans l’école pour leur sécurité, coupés des familles et sans information précise, ce qui avait suscité une montée d’angoisse tant chez les jeunes que chez les parents. Nous avons eu la surprise de constater qu’il y a eu fort peu de demandes de consultations psychologiques pour les enfants de ces établissements scolaires dans les jours suivants, même quand des propositions d’interventions avaient été faites auprès des directeurs. La tendance est de penser que quand les faits ont pris fin, tout doit rentrer dans l’ordre et s’oublier. L’expérience montre pourtant que l’oubli est impossible ou problématique.
Personne n’aime être une victime, à moins d’un fonctionnement pathologique et/ ou de la recherche de bénéfices. Il y a loin de l’enfant qui se plaint pour un « bobo » à celui qui, traumatisé, va attirer l’attention sur lui. En fait, les victimes sont le plus souvent dans l’évitement, voire la fuite. Un animal, face à l’attaque d’un prédateur, va combattre, fuir ou rester sidéré, faire le mort; il est trop tard pour se cacher. Le combat n’est que rarement équilibré. Combattre demande de s’organiser et donc nécessite un recul pour penser. Restent la paralysie ou la fuite. Seule la fuite donne une chance de survie dans bien des cas, d’où le nombre de réfugiés dans les guerres. Ce modèle de la fuite au moment critique va s’imposer comme un modèle de fonctionnement permanent. La victime va chercher à éviter la confrontation à ce qui lui fait mal, ce qui l’a blessée, ce qui lui rappelle la rencontre traumatique. Evoquer le passé, parler des évènements, parler de son état à la suite de l’effraction, en font partie. Surtout faire le lien entre ce passé et ce que l’on ressent. La victime va éviter d’en parler, éviter les discussions, les situations, les personnes, les émotions, en lien avec son Trauma. La psychothérapie en fait partie, puisqu’il est évident qu’il faudra aborder ce qui fait mal et donc raviver les blessures. En effet, pour une personne traumatisée, évoquer le Trauma c’est réactiver les symptômes, la peur, l’angoisse, la colère et les renforcer, les rendre plus forts une prochaine fois. En conséquence, les victimes tendent à éviter d’aborder ce passé et fuient souvent la thérapie. Elles évitent de se faire reconnaître, de demander de l’aide, de consulter, de porter plainte. Il n’est donc pas facile de les aider, quel que soit le type d’aide. Elles ont comme écorchées, hypersensibles, sur le qui-vive, craignant de nouvelles agressions et doutant qu’il soit possible de les aider.
Les attentats réalisent des troubles psychotraumatiques de type I qui sont le type de description de l’État de Stress Post-Traumatique (Terr, 1991). Ils surviennent après l’exposition brutale et imprévisible à un événement unique et limité dans le temps. Leur survenue est généralement rapide et tranche avec le niveau antérieur de fonctionnement de l’enfant. En contraste, les troubles psycho-traumatiques de type II sont consécutifs à l’exposition prolongée ou répétée à des événements majeurs (Terr, 1991). Ils se distinguent des trauma de type I par l’absence de surprise, voire la résignation qu’ils entraînent chez l’enfant, y compris durant leur survenue. On peut s’interroger sur l’effet que pourrait produire sur le développement des jeunes la répétition des attentats, la persistance d’une menace terroriste pendant une longue période et son impact sur toute une génération, notamment sur des populations plus exposées; les écoles sont malheureusement des cibles de choix pour des terroristes. Les trauma de type II entraînent des syndromes psycho-traumatiques dont les caractéristiques sont voisines de celles du type I en réalisant un ESPT chronique. La survenue de troubles dépressifs peut compliquer la présentation. Mais certaines manifestations cliniques sont plus spécifiquement retrouvées dans les trauma de type II. Les enfants évitent de parler d’eux et des événements. Ils parlent rarement de l’agression et se rétractent souvent, gardant longtemps le secret ou respectant la « loi du silence ». Plus qu’un simple évitement, le déni massif du traumatisme, l’inhibition intellectuelle, l’émoussement affectif, le détachement avec restriction des intérêts et des relations, sont plus marqués que pour le type I. Les plaintes somatiques (céphalées et douleurs abdominales) sont habituelles. L’amnésie de pans entiers de souvenirs de l’enfance, le manque d’empathie, l’indifférence à la douleur peuvent être rapprochés de phénomènes de dissociation de la conscience : anesthésie corporelle ou émotionnelle, amnésie dissociative, dépersonnalisation, phénomènes auditifs ou visuels d’allure hallucinatoire. Ces phénomènes correspondraient à des mécanismes psychiques que développe l’enfant pour échapper à des stress répétés insupportables. Des manifestations incontrôlables de rage, de colère extrême et d’auto-agressivité avec automutilations ou tentatives de suicide sont fréquentes. On a signalé également les abus d’alcool et de substances toxiques, la boulimie, l’agressivité et les conduites prédélinquantes. À l’inverse, des attitudes de passivité extrême ou l’établissement de liens pathologiques de dépendance avec le persécuteur (identification à l’agresseur) peuvent coexister. On peut observer le développement précoce de troubles de la personnalité empruntant des caractéristiques aux personnalités narcissique, antisociale, borderline et évitante.
En cas d’attentat, l’enfant est directement victime du réel
C’est l’exposition à un évènement menaçant la vie ou l’intégrité de la personne qui va provoquer directement des troubles post-traumatiques et non l’effet de la réaction parentale sur l’enfant. La famille jouera certes un rôle modulateur mais pas le rôle causal, à moins qu’ils ne soient les auteurs de l’agression en cause, comme dans la maltraitance.
La clinique du Trauma, issue de l’adulte, s’applique aux enfants. On sait que les tableaux comparables à ceux observés chez les vétérans du Vietnam sont retrouvés dans le domaine civil. On a montré aussi que les enfants présentent des troubles comparables à ceux des adultes. Ils ont très souvent des « états de stress post-traumatiques », isolés ou associés à d’autres troubles (APA-DSM4, 1996). Il est apparu que le polymorphisme est très important, empruntant ses catégories à presque toute la nosographie psychiatrique. Le modèle de référence pour la description de l’ESPT chez le grand enfant et l’adolescent reste celui des classifications internationales, CIM-10 ou DSM-IV (WHO-CIM10,1993 et APA-DSM5, 2015) même si certains auteurs soulignent leurs insuffisances pour les jeunes victimes. Ce modèle est constitué de la notion d’exposition antérieure à un événement potentiellement traumatique avec réaction de détresse immédiate, d’un syndrome de remémoration ou de reviviscence, d’un syndrome phobique (détresse à l’exposition, évitements et anticipation anxieuse), d’un émoussement de la réactivité générale et d’un état d’alerte avec hyperactivation neurovégétative. Le trauma est constamment remémoré ou “revécu”, de façon anxiogène et envahissante, comme en témoigne la présence de souvenirs intenses, de rêves répétitifs, d’impressions ou d’agissements « comme si » l’événement allait se reproduire (sentiment de revivre l’événement, illusions, voire hallucinations, épisodes dissociatifs ou “flashback”). Quand le sujet est exposé à des situations ressemblant à l’évènement traumatique ou associées à ce dernier, il éprouve un sentiment de détresse marquée ou une réactivité physiologique. Le patient tend à l’évitement de situations, d’activités, de lieux, de personnes, de pensées, de sentiments, de conversations associés au facteur de stress. Il présente une incapacité, partielle ou complète, à se rappeler des aspects importants de la période d’exposition au facteur traumatique, un sentiment de détachement d’autrui, de devenir étranger, d’avenir bouché, une restriction des affects. Des symptômes persistants traduisent une activation neurovégétative : hypervigilance, difficultés d’endormissement ou du maintien du sommeil, irritabilité, accès de colère, difficultés de concentration et réaction de sursaut exagérée. Une culpabilité, des troubles de l’humeur ou du comportement sont fréquemment associés.
Un certain nombre de spécificités sémiologiques et développementales colorent la présentation de l’ESPT du jeune patient. Le syndrome de répétition reste l’élément central et quasi pathognomonique. Les enfants présentent des jeux répétitifs, des “remises en actes”, dont la dimension de plaisir est absente, à la différence du jeu proprement dit, évoquant certains aspects de l’événement traumatique qu’ils n’ont pas conscience de rejouer ainsi. Les souvenirs du traumatisme, répétitifs et intrusifs, peuvent être visualisés sous la forme d’hallucinations, d’illusions et de flash-back, bien que moins souvent que chez l’adulte. Des reviviscences auditives, tactiles ou olfactives sont parfois rapportées. De tels souvenirs, fortement sensorialisés, sont déclenchés par des stimuli actuels rappelant le traumatisme ou surviennent spontanément, notamment dans les moments où l’attention des enfants se relâche : lorsqu’ils s’ennuient en classe ou devant la télévision, au repos ou au moment de l’endormissement. Les rêves récurrents de reviviscence traumatique, considérés comme le cœur sémiologique de la névrose traumatique de l’adulte, sont moins fréquents chez l’enfant qui présenterait, notamment avant l’âge de 5 ans, plutôt des cauchemars à thèmes non spécifiques, sans contenu reconnaissable, ou des terreurs nocturnes. L’émoussement de la réactivité générale avec anesthésie affective, réduction des intérêts et sentiment de détachement, classique chez l’adulte, est rare chez l’enfant à la suite d’un traumatisme unique et ce d’autant qu’il est plus jeune. Fatalisme, pessimisme et sentiment d’avenir bouché témoignent fréquemment d’une attitude changée vis-à-vis de la vie et à l’égard des autres : ces enfants ont la conviction que d’autres traumatismes se produiront nécessairement, un sentiment profond de vulnérabilité et la perte de la confiance habituelle accordée aux adultes protecteurs. Les peurs spécifiques liées au traumatisme constituent, pour Terr (1991), après les reviviscences, les « comportements de répétition » (remises en acte, jeux et dessins compulsifs post-traumatiques) et l’attitude changée vis à vis des gens, de la vie et de l’avenir, la quatrième caractéristique principale des psycho-traumatismes de l’enfant. Ce sont des manifestations phobiques inhabituellement tenaces. On rapproche de ces peurs l’évitement persistant des stimuli associés au traumatisme. Il s’agit d’efforts délibérés pour éviter les activités ou les situations en rapport avec l’événement traumatique, mais aussi les pensées et les sentiments qui y sont liés. L’amnésie psychogène post-traumatique est assez rare chez l’enfant qui présente, en revanche, vis à vis des événements traumatiques, des distorsions des cognitions et des souvenirs souvent marquées. En effet, tandis que les faits peuvent être relatés avec une clarté et un luxe surprenant de détails, leur chronologie est évoquée dans le désordre et les interprétations erronées concernant leur déroulement sont fréquentes. Enfin, la « réévaluation cognitive » des événements a posteriori génère la croyance en des présages, des mauvais augures que l’enfant pense « prédictifs » de ce qui allait se passer, reconstructions et réinterprétations du passé ou des souvenirs de l’enfant. L’hyperactivité neurovégétative recouvre un ensemble de symptômes apparus au décours du traumatisme : difficultés d’endormissement et réveils multiples, irritabilité et accès de colère, état d’alerte, hypervigilance et réactions exagérées de sursaut, troubles de l’attention et de la concentration se répercutant sur la scolarité. Les plaintes somatiques (céphalées et douleurs abdominales), très fréquentes chez l’enfant, peuvent en être rapprochées. Chez l’enfant, les phénomènes régressifs (une énurésie, un parler « bébé » ou une succion du pouce par exemple) sont fréquents après un psychotraumatisme.
Quand il s’agit d’attentats, on est dans la guerre et l’on ne peut s’étonner de trouver des troubles identiques à ceux des vétérans de guerre. Nous avions montré, il y a quelques années, la très grande fréquence des troubles post-traumatiques chez des enfants en école primaire pris en otages dans leur classe, une circonstance comparable; la quasi-totalité des enfants avaient des troubles dans les semaines suivant l’événement et 2/3 ont présenté des troubles post-traumatiques dans les mois suivants. Un attentat va donc avoir un impact quantitativement au moins aussi large (Vila, Porche, Mouren-Simeoni, 1999).
La clinique du Trauma s’applique aux enfants même très jeunes. Le DSM-V, malgré les critiques qu’on peut lui adresser, consacre une clinique de l’enfant de cinq ans et moins dans les suites des travaux de Sheeringa sur des critères diagnostiques adaptés (APA-DSM5, 2015).
L’évolution des troubles sera conditionnée par des facteurs de modulation qui vont renforcer ou réduire l’intensité et la durée des troubles. C’est donc ce qui pourra se mettre en place ou se poursuivre dans l’environnement de l’enfant après les évènements qui contribuera à son état ultérieur. Les psychothérapies en font partie. Mais aussi la famille et l’école. D’autres encore, comme le soutien de la communauté et les aides reçues. Les ressources personnelles jouent un rôle essentiel aussi dans l’équation de la survie et du retour à l’équilibre.
L’accueil de l’enfant victime, s’il est fait dans de bonnes conditions, permet de rendre crédible le soin, de limiter les réactions de fuite et d’accompagner les familles vers un nouvel équilibre après une fracture irréversible.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- American Psychiatric Association. (1996). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th ed. Washington DC. Critères diagnostiques. Traduction française par Guelfi JD et al. Paris : Masson. [Google Scholar]
- American Psychiatric Association (2015). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th ed. Washington DC. Critères diagnostiques. Traduction française par Guelfi JD et al. Paris : Masson. [Google Scholar]
- Terr, L C. (1991). Childhood traumas : an outline and overview. Am J Psychiatry, 148 : 10–20. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Vila, G., Porche, L.M., Mouren-Simeoni, M.C.. (1999). An 18-month longitudinal study of post-traumatic disorders in children who were taken hostages in their school. Psychosomatic Medicine, 61 : 746–754. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- World Health Organization. (1993). CIM 10/ICD 10. Classification internationale des maladies, 10e révision. Troubles mentaux et troubles du comportement. Descriptions cliniques et directives pour le diagnostic. OMS (Genève). Traduction de l’anglais coordonnée par Pull CB. Paris : Masson. [Google Scholar]
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