Numéro
Perspectives Psy
Volume 54, Numéro 4, octobre-décembre 2015
Page(s) 367 - 373
Section Articles originaux
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2015544367
Publié en ligne 15 janvier 2016

© GEPPSS 2015

L‘errance peut être définie comme la rupture des liens antérieurs au profit d’autres, potentiels, non encore advenus (Olivier, 2009). L’errance n’est pas un fait nouveau propre à la société contemporaine. L’usage du terme remonte au XIIe siècle et lie étymologiquement iterrare et errare, c’est-à-dire l’itinéraire et l’erreur. Il atteste l’existence d’un phénomène ancien qui revêtira plusieurs formes et recevra des dénominations différentes et des traitements spécifiques selon les époques (Benslama, 2005). L’errance touche les patients psychiatriques, mais aussi les demandeurs d’asile, les sans logements, les personnes de passage dans une ville, ainsi que souvent les jeunes en situation de rupture familiale (Tisonet Jehl, 2005). La place accordée à la personne errante par la société a évolué dans le temps. Le Moyen Âge était marquée par l’organisation de l’exclusion par la création de villages réservés aux démunis, puis par la suite, la naissance d’institutions hospitalières d’inspiration religieuse (Tison et Jehl, 2005). Au Moyen Âge et la Renaissance, l’idéologie dominante sur la cause des maladies mentales était la croyance de la possession démoniaque. Les traitements consistaient essentiellement en des exorcismes et les pèlerinages (Christophe, 2007). À partir des années 1453, le développement du commerce lié à la montée en puissance de la bourgeoisie urbaine fait du travail une valeur; ainsi le besoin de main d’œuvre va constituer un début d’intégration des « marginaux » à la société. Leur enfermement dans des villages reste parcellaire avec deux objectifs : pour les autorités religieuses, il s’agissait de «rééduquer» moralement ces marginaux pour les libérer des chaînes et de l’esclavage de leurs péchés. Pour les gouvernements, l’enfermement visait à maintenir l’ordre public et rendre ces marginaux utiles en les faisant travailler dans les ateliers de fabrication. Après cette période où les malades errants étaient enfermés, appelée le Grand Renfermement, le Siècle des Lumières a permis d’aller vers des bases plus neurologiques, même si certaines croyances comme le magnétisme prévalaient encore (Christophe, 2007). Au siècle des Lumières, les malades mentaux errants et les autres marginaux n’étaient plus considérés comme la marge des criminels en puissance, mais comme l’immense multitude du petit peuple travailleur et honnête, car pour les philosophes de cette époque, les démunis étaient plutôt des victimes (Christophe, 2007). À l’époque contemporaine, lors de la révolution française, les marginaux (malades mentaux errants, pauvres, etc.) ont été libérés des hospices où ils étaient internés. On assiste alors à la naissance de l’assistance psychiatrique moderne avec Pinel qui va faire un tri entre les malades mentaux d’une part, les mendiants et autres marginaux d’autre part (Tison et Jehl, 2005). La société postrévolutionnaire abondait ainsi dans le sens de l’instruction et de la moralisation. Progressivement en Europe, au lieu d’attitudes de bienfaisance, les malades mentaux errants connaitront la solidarité puis les tentatives d’insertion dans la société. De ce fait, la « maladie mentale » se définit comme procédant à la fois d’une logique de la nature, c’est le champ revendiqué par la médecine, et comme un objet socialement construit qui ne s’appréhende, dès lors, qu’à travers des représentations collectives soumises aux contingences des structures sociales et des spécificités culturelles (Scheid et Raveau, 1991). Les traitements reçus par les patients psychiatriques ont toujours été dépendants des croyances de l’époque. Bien que la superstition et la rationalité plus scientifique aient toujours cohabitées ensemble, chaque période historique a donné une plus grande attention à l’une d’elles (Christophe, 2007). Quelle place occupent les influences culturelles et socioéconomiques dans les choix thérapeutiques des maladies mentales en milieu urbain aujourd’hui au Burkina Faso ? Tel est l’intérêt de la question que nous nous posons dans le présent article.

Méthodes

L’étude s’est déroulée dans la ville de Ouahigouya. La commune urbaine de Ouahigouya est située dans la partie nord du Burkina Faso. En 2012, la population de la ville de Ouahigouya était estimée à 73153 individus dont 49,7% d’hommes et 50, 3% de femmes. La religion musulmane était majoritaire avec un taux de 86%, contre 11% de catholiques et 3% de protestants. Le taux brut de scolarisation était évalué à 93, 2% avec un taux d’achèvement d’environ 38, 4%. L’échec scolaire était considérable avec 62, 5% de la population n’ayant aucun diplôme de l’école conventionnelle (données de l’Institut National de la Statistique et de la Démographie citées dans le Plan Communal de Développement 2009-2013 de la ville de Ouahigouya).

Nous avons réalisé une étude transversale descriptive et analytique sur les déterminants culturels et socioéconomiques de l’errance des malades mentaux dans la ville de Ouahigouya entre le 1er et le 31 août 2013. Après un repérage des structures administratives publiques, confessionnelles et associatives impliquées dans la prise en charge des malades mentaux errants, nous avons procédé à un échantillonnage raisonné pour le choix des responsables des structures précédemment citées. Les enquêtés dans la population générale ont été recrutés de manière aléatoire au fur et à mesure qu’ils se présentaient pendant la période de l’enquête. Ont été pris en compte dans notre étude, une autorité municipale de la ville de Ouahigouya, une autorité sanitaire de la Direction Régionale de la santé du Nord, une autorité de l’action sociale, le personnel soignant du service de psychiatrie du CHR de Ouahigouya, un responsable des forces de police et de gendarmerie, le responsable de la structure associative « SAULER », un responsable dans chacune des confessions religieuses catholique, protestante et musulmane, un échantillon de la population de la ville de Ouahigouya. Une interview individuel avec chaque enquêté a été réalisé. Un guide d’entretien semi-structuré a servi comme instrument de collecte des données. Les variables suivantes ont été étudiées : les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés, leurs attitudes et croyances sur la maladie mentale, les caractéristiques économiques et organisationnelles de la prise en charge des malades mentaux errants.

Les critères d’inclusion

Ont été inclus dans l’étude, tout responsable d’une structure impliquée dans la gestion des malades mentaux errants dans la ville de Ouahigouya, tout résident de la ville de Ouahigouya, en bonne santé apparente, et acceptants de participer à l’enquête. Ont été exclus de l’étude, tout responsable d’une structure impliquée dans la gestion des malades mentaux errants dans la ville de Ouahigouya mais absent de la ville de Ouahigouya durant la période de l’enquête ou n’acceptant pas de participer, tout résident en bonne santé apparente mais absent de la ville de Ouahigouya durant la période de l’enquête ou refusant de participer à l’étude, toute personne avec des signes manifestes de pathologie mentale. Les données recueillies ont été codées, saisies et analysées sur un micro-ordinateur équipé d’un logiciel de traitement statistique Epi-Info dans sa version 3.5.1.

Résultats

Résultats globaux

Durant la période d’étude, 44 personnes ont été interviewées. Sept différentes catégories de cibles (Tableau I) ont été concernées avec un taux de participation de 97, 14%.

Tableau I.

Répartition des enquêtés par cible.

Le Tableau I ci-dessous donne la répartition des enquêtés par cible.

Caractéristiques sociodémographiques des enquêtés

L’âge des enquêtés variait entre 18 et 57 ans. La majorité des enquêtés (45, 71%) avait un âge compris entre 18 et 27 ans. 51, 43% des enquêtés étaient de sexe féminin. Les sujets ayant un niveau de scolarisation égal au primaire (40%) et non instruits (34, 29%) étaient les plus représentés. Quatre principaux groupes professionnels composaient notre échantillon : les agriculteurs (65, 72%), les fonctionnaires (17, 14%), les éleveurs (2, 86%) et les commerçants (14, 29%). L’ethnie Mossi représentait 71, 43% des enquêtés. La religion musulmane concernait 85, 72% des enquêtés; les autres religions représentées étaient la religion protestante (5, 71%) et catholique (8, 57%).

Opinion des enquêtés sur les causes des maladies mentales

La Figure 1 ci-dessous donne la répartition des opinions des enquêtés sur les causes des maladies.

thumbnail Figure 1.

Répartition des opinions des enquêtés sur les causes des maladies mentales.

Opinion des enquêtés sur la prise en charge des malades mentaux errants

La majorité de nos enquêtés (71, 43%) des enquêtés a déjà eu comme premier recours thérapeutique la tradithérapie (guérisseurs, charlatan, devin) en cas de maladie mentale. Le coût mensuel moyen du traitement médicamenteux pour un patient souffrant d’une pathologie mentale chronique était estimé entre 10 000 et 20 000 francs CFA, par le personnel soignant du service de psychiatrie du CHR de Ouahigouya. 68, 57% des enquêtés estimaient que ce coût en médicament ne leur était pas financièrement accessible. Il n’existe à Ouahigouya aucun dispositif public de prise en charge des malades mentaux errants. La majorité des enquêtés (77, 14%) pense que la psychiatrie moderne ne peut guérir les maladies mentales.

Discussion

Cette étude comporte quelques limites. En effet, relativement peu d’études dans la littérature internationale ont abordé la question de l’errance des malades mentaux rendant ainsi difficiles les comparaisons de nos résultats avec ceux d’autres études. Benslama (2005) écrit « La prise en compte de l’errance dans le champ de la clinique est assez récente, bien que mentionnée d’une manière occasionnelle dans les ouvrages de psychopathologie où, souvent, elle était confondue avec la fugue. Son traitement systématique comme un symptôme ne date guère de plus d’une dizaine d’années ». Notre étude présente néanmoins l’intérêt d’aborder en milieu urbain au Burkina Faso, les déterminants socioculturels et économiques de l’errance des malades mentaux.

Sur le profil sociodémographique des enquêtés

Nous avons constaté chez nos enquêtés, une prédominance de la tranche d’âge des 18 à 27 ans, soit 45, 71% de la population de notre série. Ce taux pourrait s’expliquer par la jeunesse de la population dans la province du Yatenga. En effet, la proportion des jeunes de moins de 20 ans dans la province de Yatenga (comprenant la commune de Ouahigouya) était de 55, 30% (Plan communal de développement 2009-2013). Les enquêtés de sexe féminin constituaient 51, 43% de notre échantillon. Ce taux est proche de la proportion de femmes dans la population générale du Burkina Faso (52, 80%) (Plan communal de développement 2009-2013). Les sujets ayant un niveau de scolarisation égal au primaire (40%) et non instruits (34, 29%) étaient les plus représentés. Cette situation s’explique par le fait que dans la province du Yatenga, le taux d’achèvement des études primaires est faible (28, 9%) (Plan communal de développement 2009-2013). Chez les enquêtés, cinq principales professions étaient représentées avec une prédominance des agriculteurs (65, 72%). La prédominance des agriculteurs pourrait s’expliquer par la faible scolarisation enregistrée dans la région et le taux d’échec scolaire élevé; 62, 5% de la population n’a aucun diplôme de l’école conventionnelle. La forte représentation de l’ethnie mossi parmi nos enquêtés (71, 43%) est proche des données du Plan Communal de Développement 2009-2013 qui recensait dans la commune de Ouahigouya 85, 6% de mossis. Parmi nos enquêtés 85, 72% étaient de la religion musulmane. Cette proportion reflète les données du Plan communal de développement 2009-2013 de la commune de Ouahigouya qui mentionnait que 86% des résidents sont de religion musulmane.

Sur les étiologies des maladies mentales

Nos observations sur les causes des maladies mentales dans la commune de Ouahigouya au Nord du Burkina Faso note la prédominance de la cause surnaturelle parmi les opinions des enquêtés (94, 20%). Nos résultats sont similaires à ceux de Ouango, Karfo, Kere, Ouedraogo, Kabore, et Ouedraogo (1998) et Bonnet (1989) dans des études sur le concept traditionnel de la folie chez les Mossé du Kadiogo dans la région centrale du Burkina Faso. Une étude faite dans d’autres régions du Burkina Faso par Pale (1994) avait montré que l’interprétation surnaturelle de la maladie mentale est partagée sur l’ensemble du Burkina Faso. La majorité des enquêtés (71, 43%) appartenait à l’ethnie mossi. La société traditionnelle Mossi a une vision animiste du monde. Dans cette perspective animiste, il existe un monde matériel visible qui est celui des humains, et un monde invisible où demeurent les ancêtres, les défunts et d’autres entités capables d’influencer l’existence des vivants. La prédominance de l’étiologie surnaturelle dans les maladies mentales pourrait s’expliquer d’une part par la forte proportion de l’ethnie mossi et d’autre part aussi par la prédominance de la religion musulmane, qui dans les deux cas partagent certaines interprétations communes (génie, sort jeté par une personne malveillante, sanction suite à une infraction d’une règle spirituelle) sur l’origine sociale de la maladie mentale. L’origine surnaturelle sur les causes des maladies mentales qui a été évoquée par la majorité de nos enquêtés est similaire à celle de Raharivelo (2011) à Madagascar. L’étiologie des maladies mentales à Madagascar est attribuée le plus souvent à des actes de sorcellerie, à des possessions par des esprits mal intentionnés, au non respect des devoirs dus aux ancêtres, ou à la transgression de tabous. Cette attribution à l’origine surnaturelle de la maladie semble être partagée par toute l’Afrique. En effet, dans son étude des systèmes étiologiques traditionnels (Foster, 1976 cité par Scheid et Raveau, 1991), l’auteur distingue deux types de représentations causales desquelles vont dépendre tous les autres éléments du système médical. Il distingue les systèmes « personnalistes » où les maladies sont dues à l’intervention d’agents humains (sorcellerie), non humains (fantômes, ancêtres…) ou divins, dans lesquels le hasard a peu de place et les systèmes « naturalistes », déterminés par la rupture d’un équilibre sous l’influence d’éléments naturels (température, alimentation, émotion…). Les premiers systèmes seraient caractéristiques de l’Afrique (Scheid et Raveau, 1991, et Laplantine, 1976), tandis que les seconds se retrouveraient de la Chine à toute la culture indo-aryenne (Scheid et Raveau, 1991). L’errance dans les rues des villes est un phénomène qui semble universel car il se rencontre aussi dans les pays développés (Tison et Jehl, 2005). Cependant, il semble exister une différence entre le profil des errants dans les rues urbaines en Afrique et celui des errants dans les rues urbaines des pays développés, exception faite « des jeunes vivant en rue ». À Ouahigouya, le groupe des errants dans les rues était constitué essentiellement de malades mentaux, ce qui diffère de celui retrouvé par Tison et Jehl (2005) dans les pays développés où l’on rencontre d’autres candidats tels les demandeurs d’asile, les personnes de passage dans une ville; mais aussi également l’errance dans le milieu urbain des pays développés se croise encore dans les hébergements à plus long terme qui restent temporaires et réservés à ceux qui sont en mesure de faire des démarches de réinsertion sociale (Tison et Jehl, 2005). Néanmoins, quel que soit le continent, l’errant en général cristallise les peurs de l’imaginaire social car comme le rappelle Michel Maffesoli (cité par Tison et Jehl, 2005), dans les sociétés modernes actuelles qui se sont développées avec la sédentarisation de leurs membres, la norme se trouve définie dans «l’assignation à résidence » et dans la réalisation individuelle à travers l’activité professionnelle (Tison et Jehl, 2005).

Sur la prise en charge des malades mentaux errants

La majorité de nos enquêtés (71, 43%) a déjà eu comme premier recours thérapeutique la tradithérapie (guérisseurs, charlatan, devin) en cas de maladie mentale. Cela pourrait s’expliquer par l’étiologie surnaturelle attribuée aux maladies mentales par les populations. Dans cette optique, les phénomènes surnaturels ne relevant pas de la compétence des structures sanitaires modernes (service de psychiatrie), il paraît donc évident aux yeux des populations que devant une maladie causée par un phénomène surnaturel, le premier recours soit traditionnel pour rechercher la thérapie de la maladie. En effet, la perception de la pathologie et les représentations étiologiques peuvent être considérées comme les organisateurs d’où s’amorcent des réactions en chaîne aboutissant à des choix thérapeutiques, à des processus d’exclusion ou de tolérance aux malades (Scheid et Raveau, 1991). Nos résultats rejoignent ceux de Ouango, Karfo, Kere, Ouedraogo, Kabore, et Ouedraogo (1998) ainsi que ceux de Mitelberg (1990) qui avaient conclu à l’issue de leurs études que les difficultés liées au traitement psychiatrique chez les moosés sont dues au fait que les gens amènent leurs patients au service de psychiatrie pour la rémission des symptômes gênants comme l’agitation et l’agressivité, le traitement étiologique ne relevant pas selon eux de la compétence des psychiatres. D’autres auteurs en Afrique (Anne, 2006; Geneviève et al., 2014) ont aussi retrouvé le recours initial par les patients psychiatriques à d’autres thérapies que médical. Scheid et Raveau (1991) dans leur article sur les représentations sociales de la maladie ont constaté qu’en général, les opinions et les attitudes des patients diffèrent peu de celles du public et que les recherches portant sur des aires culturelles différentes ont montré l’importance des modèles explicatifs de la maladie auxquels les malades adhèrent, dans leur décision de consulter et dans le choix de leur thérapeute. Divers auteurs, Raharivelo (2011) et Anne (2006) ont relevé des valeurs positives liées à l’approche traditionnelle de prise en charge des maladies mentales. Pour Raharivelo (2011), les traitements psychothérapeutiques traditionnels sont des traitements complexes impliquant des sacrifices importants et la participation de toute la communauté villageoise, ce qui sous-entend une forte solidarité de la famille (Raharivelo, 2011). Pour Pierrette Soumbou (Anne, 2006) au Congo, dans l’approche thérapeutique traditionnelle africaine de la maladie mentale, il y a une responsabilisation collective de la santé mentale qui épargne de désigner l’individu comme malade, mais en conséquence elle ne permet pas qu’une personne soit reconnue dans sa souffrance individuelle et encore moins qu’elle se vive comme victime. Elle protège encore un peu de la discrimination et de l’isolement, du moins tant que la situation n’est pas trop grave, mais elle s’adapte mal au processus d’individualisation que rencontrent les sociétés africaines ouvertes à la mondialisation (Anne, 2006). L’idée d’incurabilité des maladies mentales par la psychiatrie moderne qui a été observée dans notre étude a été aussi constatée dans des études faites dans la population Française (Paillard et les étudiants de l’Ifsi de Nanterre, Les populations en Afrique recourent souvent à la psychiatrie moderne pour calmer les symptômes gênants (Ouango et al., 1998). L’étude en France note cependant une différence : en Afrique, les populations parlent facilement de la maladie mentale alors qu’en France il existe une réticence pour aborder le sujet en population générale (Paillard et al., 2007). Avec la pauvreté et l’insuffisance de structures de soins psychiatriques, les populations en Afrique s’accommodent de la présence de malades mentaux dans la vie quotidienne, d’où un plus grand nombre de malades mentaux errants (Anne, 2006). Ce constat est analogue à celui de notre enquête; en effet, il n’existe à Ouahigouya aucun dispositif public de prise en charge des malades mentaux errants et les ressources financières des populations sont limitées car vivant majoritairement de l’agriculture. D’autres auteurs, Raharivelo (2011), Anne (2006) et Bonnet (1989) ont confirmé dans leurs études le fait qu’en Afrique le malade mental vit au sein de sa communauté, est toléré, tant que n’apparaît pas un comportement de violence, occasionnant alors un enfermement ou un transfert vers les structures psychiatriques hospitalières. Scheid et Raveau (1991) ont affirmé dans leur étude : « Il a été démontré que la décision de l’hospitalisation, la fréquence des rechutes et le succès de la réinsertion dépendaient de la tolérance des proches et du degré de cohésion familiale. » Cette cohabitation quotidienne avec les malades mentaux errants en Afrique contraste avec leurs situations dans les pays développés, où, dès le moindre symptôme psychiatrique manifeste dans la rue, un patient est immédiatement recueilli par les forces de l’ordre et hospitalisé dans une structure de soins psychiatriques. Dans le contexte socioculturel burkinabé, tant qu’un malade mental errant ne manifeste pas un comportement de violence, il est parfaitement toléré, et la population vaque à ses occupations quotidiennes en partageant le même espace géographique de vie que les malades mentaux. L’errance des malades mentaux à Ouahigouya pourrait donc s’expliquer d’une part par l’insuffisance de moyens financiers des familles, et par l’absence d’un dispositif public de prise en charge des malades mentaux errants, mais aussi, d’autre part, par la tolérance culturelle dans le champ de la vie quotidienne des malades errants non violents.

Conclusion

Depuis les années 1986, le Burkina Faso a opté pour une psychiatrie ouverte en supprimant les cabanons et en décentralisant les soins psychiatriques. Ainsi la marginalisation et la désocialisation par l’enfermement définitif dans les asiles psychiatriques relèvent désormais du passé. Cette humanisation de la prise en charge des malades mentaux a cependant eu pour corolaire de favoriser l’errance dans les rues des villes au Burkina Faso, des patients issus des familles démunies. Il est impératif pour des raisons éthiques que les systèmes de santé réfléchissent et mettent en place les soins pour ce groupe spécifique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des tableaux

Tableau I.

Répartition des enquêtés par cible.

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Répartition des opinions des enquêtés sur les causes des maladies mentales.

Dans le texte

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