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Perspectives Psy
Volume 53, Numéro 4, octobre–décembre 2014
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Page(s) | 340 - 351 | |
Section | Articles originaux | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2014534340 | |
Publié en ligne | 5 mai 2015 |
L’enfance abandonnée, indicateur d’une psychopathologie sociale inattendue au Cameroun
Child abandonment in Cameroon as an indicator of an unexpected social psychopathology
Psychiatre, Pédopsychiatre, Criminologue-Victimologue, Chef de service de la Clinique Universitaire de psychiatrie et de psychologie médicale, Hôpital Jamot. Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales, Université de Yaoundé I, BP 25254
Messa Yaoundé, Cameroun
L’abandon d’enfants est un phénomène qui a pris de l’ampleur en Afrique noire. Jadis considéré comme rare, l’on se rend bien compte aujourd’hui que la réalité n’est plus aussi idyllique qu’on pourrait le croire. À partir d’une population d’enfants abandonnés reçus au Centre d’Accueil pour Enfants en Détresse (CAED) de Yaoundé sur une période de 10 ans, l’auteur de ce travail montre les différents mécanismes qui aboutissent à ce drame au Cameroun. Ainsi, a-t-il constaté que sur 768 enfants accueillis, 507 étaient abandonnés par leurs parents, soit 66,01% de l’ensemble de l’échantillon. Parmi eux, deux principaux types d’abandons ont été distingués dont 285 cas d’abandons provisoires ou dépannages (représentant 37,1% de l’ensemble de l’échantillon et 56,2% par rapport à la population des enfants abandonnés; et 222 cas d’abandons complets ou définitifs (représentant 28,9% de l’ensemble de l’échantillon et 43,8% par rapport à la population des enfants abandonnés). Les principales victimes en sont, les orphelins, les enfants de malades mentaux, les enfants de parents vivants avec le VIH, les enfants de parents ayant perdu leurs emplois, les enfants maltraités, les enfants de la rue, les enfants de familles très nombreuses et pauvres, les enfants de familles en conflit et les enfants en conflit avec la loi… L’étude démontre une fois de plus que la société africaine est en pleines mutations, mutations qui remettent en cause les fondements de la société traditionnelle plus garante de la sécurité des enfants et de la stabilité des familles. Pour l’auteur, de telles mutations ne peuvent se faire sans changement environnemental et qui dit changement environnemental veut dire changement comportemental mais aussi changement de l’homme et de sa pathologie.
Abstract
The abandonment of children is a phenomenon which expands in Black Africa today. Formerly considered as rare, the author has observed that the reality is not as well idyllic as we could think of it. From a population of abandoned children received in the Yaoundé Center for Children in Distress (CAED) over a period of 10 years, he shows the various mechanisms which end in this drama in Cameroon. So, out of 768 children admitted in the center, 507 were abandoned by their parents (meaning 66.01%). He also observed two major kinds of abandonments amongst which 285 cases of temporary abandonments (representing 37. 1% of all children and 56.2% of the population of abandoned children) and 222 cases of definitive ones (that is to say 28.9% of all children and 43.8% of the population of abandoned children). The main victims of which are the orphans, children of mental health patients, children of living parents with the HIV, children of parents having lost their jobs, mistreated children, street children, children of large and poor families, children of families in conflict and children in conflict with the law… This situation demonstrates once more that the African society is in full alteration, alteration which questions the foundations of the traditional society more guarantor for the safety of children and for the stability of families. For this author, such alterations cannot be made without environmental changes and which says environmental changes also says changes of behavior and above all changes of the man and its pathology.
Mots clés : famille / abandon d’enfant / filiation / prise en charge de l’enfant / Afrique
Key words: family / child abandonment / lineage / child case management / Africa
© GEPPSS 2014
Préoccupé par la montée galopante des cas d’abandon d’enfants à Yaoundé en particulier et au Cameroun en général, le ministère des affaires sociales s’est doté de moyens pour faire face à ce phénomène nouveau dans une société en pleine mutation. C’est dans cette optique qu’en octobre 1989, en collaboration avec une œuvre philanthropique, l’autorité de tutelle de ce département ministériel a ouvert un Centre d’Accueil pour Enfants en Détresses (CAED) à Yaoundé, dans la capitale politique du pays. Cette structure a pour compétence territoriale l’ensemble du pays. Il accueille les enfants en détresse sociale. Initialement prévu pour les plus petits âgés de 0 à 5 ans, la limite d’âge a été portée à 16 ans compte tenu de la forte demande. La population cible comprend : les enfants abandonnés, les enfants errants (à l’instar des enfants de certains malades mentaux errants), les fugueurs, les égarés, les orphelins, les enfants victimes de maltraitance, ceux de parents vivant avec le VIH ou ceux qui sont en conflit avec la loi… La durée initiale de séjour est de trois mois selon les cas, mais les enfants y restent souvent beaucoup plus longtemps que prévu tant qu’une orientation salutaire n’est pas trouvée pour eux comme l’adoption, le retour en famille, l’admission dans une famille d’accueil ou dans une autre institution résidentielle spécialisée comme le village d’enfants SOS, le Centre National de Réhabilitation des Personnes Handicapées de Yaoundé ou toute autre institution ayant vocation à prendre en charge ce type d’enfants.
Inscrire l’enfance abandonnée comme thème de débat nous a semblé important et signifiant parce qu’il s’agit d’un phénomène qui se pratique dans une société où le don et l’abandon d’enfants était traditionnellement maîtrisé et apprivoisé par la société compte non tenu de leurs conditions socio-économiques (Ezembé, 1997a, 2000, 2003). Ce problème a pris de l’ampleur au début des années 90 qui ont marqué un vaste mouvement de démocratisation du contient noir avec, à la clé, des revendications politiques de toutes sortes, entraînant parfois des mouvements sociaux violents et des situations de crise parfois inattendues (séparations, décès d’un parent, maladies chroniques, pertes d’emploi, famille trop nombreuse, pauvreté, etc.). Pourtant, l’Afrique noire, continent pauvre et très endetté, était réputé connaître un phénomène limité d’abandon d’enfants volontiers porté au débit des concepts de solidarité agissante et de famille élargie si chers à Ferdinand Ezembé (1997a, 2000). Mais depuis quelques années, la réalité n’est plus aussi idyllique. En effet, dans un magistral travail publié en 2000 par ce psychologue, il apparaît clairement que les sociétés traditionnelles africaines n’ont toujours pas été des paradis pour les enfants. Selon lui, quatre raisons essentielles sont à l’origine de nombreux abandons d’enfants en Afrique : les croyances magico-religieuses à l’origine d’une sorte d’eugénisme social (enfants mal formés, jumeaux dans certaines cultures, enfants dont la mère meurt pendant l’accouchement, ceux qui naissent pour mourir, ceux qui viennent au monde par présentation du siège, les enfants sorciers…), le poids des contraintes économiques se traduisant par la dégradation des relations mère-enfant, l’inadéquation de certaines traditions en milieu urbains et les conflits entre parents. Ajouté à cela la perte du statut socio-économique du père en tant que pourvoyeur de la subsistance. Cette situation a souvent pour conséquence, la perte de l’autorité de ce dernier, pouvant conduire à la violence, au rejet ou à l’abandon de la mère et de ses enfants.
Son individualisation, sa reconnaissance et sa compréhension nécessite une analyse de la dynamique sociale actuelle d’un double point de vue : culturel et contextuel.
Drame ou une fatalité supplémentaire ?
Nous l’avons découvert incidemment en février 1999, à la faveur d’un séminaire sous régional sur les mauvais traitements envers les enfants, organisé à Yaoundé par la Cameroon Society for Prevention of Child Abuse and Neglect (CASPCAN) en collaboration avec l’UNESCO et l’International Society for Prevention of Child abuse and Neglect (ISPCAN) sur le thème « Mauvais traitements envers les enfants en Afrique : le rôle des parents, des enseignants et des médias ». Au cours de cette rencontre sous-régionale qui avait réuni les professionnels de la protection de l’enfance du Cameroun, du Sénégal, du Bénin et du Gabon, la directrice du CAED d’alors avait fait un vibrant témoignage sur la situation des enfants abandonnés accueillis au centre qu’elle dirigeait. Ce témoignage avait ému et bouleversé tous les participants. Ce poignant appel nous a interpellés et nous sommes allés visiter cette structure à la fin des travaux du séminaire en notre qualité de président de la CASPCAN. La CASPCAN est une association de professionnels, qui a pour objectif principal de protéger les enfants contre les mauvais traitements de toute nature. Cette association travaille autour d’un certain nombre d’axes stratégiques à savoir : un Programme de Recherche et d’Information sur l’Enfance Maltraitée (PRIME), un Programme d’Éducation et de Formation des professionnels de l’enfance sur la Maltraitance des Enfants (PEFEM), un Programme de Réhabilitation et d’Assistance aux Enfants victimes de Violences (PRAVE) et un Programme de Prévention de Violences envers les enfants (PPVE). L’abandon d’enfants n’est pas spécifique au Cameroun, mais peut-être, avec des nuances, étendu aux autres pays d’Afrique (Boucebci, 1990; Carle et Bonnet, 2009; Delaunay, 2008, 2009; Miakayizila et al., 2000). Le constat de cette dure réalité intégrée à la maltraitance infantile, nous a amené à nous interroger sur d’autres indicateurs, indices d’une psychopathologie sociale nouvelle et/ou inattendue, marquée par les infanticides, le trafic d’enfants, le travail des enfants, l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, la maltraitance physique, les abus et négligences envers certains enfants handicapés… dont les auteurs ne sont pas forcément des malades mentaux (Abé et al., 2008; Abéga et al., 2005; Abéga et al., 2007; Mbassa Menick et Ngoh, 1999, 2001, 2003, 2005; Mbassa Menick, 2000a, 2000b, 2001, 2002, 2003, 2009, 2010; Mbossa, 2008; Mbassa Menick et al., 2009). Il n’est pas seulement propre à la culture, mais concerne aussi le contexte socio-économique général lié à la mondialisation. Il n’est pas d’abord de nature économique, même si la dimension économique reste primordiale.
Depuis cette période, nous avons conduit des recherches pour mieux comprendre la détresse des enfants victimes de toutes sortes d’abus et négligences au Cameroun afin d’orienter nos activités vers les indicateurs qui pointent pour mieux les aider. Fort de ce constat, la CASPCAN a entrepris une vaste campagne de sensibilisation à travers la formation des professionnels de l’enfance à la détection, à la reconnaissance, au signalement et à la prévention de la maltraitance, les causeries éducatives (École des parents), le plaidoyer en faveur des enfants auprès des autorités pour une législation appropriée, la création de centres d’écoute pour enfants et adolescents pour la réhabilitation et prise en charge psychologique des enfants victimes. C’est dans cette optique qu’un Centre pilote d’Écoute Pour Enfants et Adolescents (CEPEA) a été crée le 1er juin 2001 par la CASPCAN à Yaoundé.
Ce travail montre et analyse les résultats d’une réalité dramatique comme en témoignent les chiffres observés rétrospectivement dans les registres du CAED en 10 ans (de 1990 à 1999), associé à la floraison des centres d’accueils pour enfants en difficulté dans la capitale du Cameroun (très souvent d’initiative privée). On dénombre ainsi plusieurs dizaines d’orphelinats dans la capitale politique du Cameroun. Mais certaines associations en ont fait leur fond de commerce; et le nombre toujours croissant, mais hélas, très perceptible des enfants de la rue. À ce sujet, Morelle (2004) a récemment estimé à cinq cent, ceux qui ont déposé leurs affaires à la gare ferroviaire centrale de Yaoundé, dans un centre d’écoute très fréquenté. Dans sa livraison du 18 février 2008, sous la plume de Patrice Mbossa (2008), le quotidien national Cameroon Tribune titre : « Maroua : sur la piste des enfants abandonnées ». Le journaliste rappelle qu’il ne se passe plus une semaine sans qu’un communiqué relatif à l’abandon d’enfant soit diffusé en boucle sur les antennes de la station régionale de la Cameroon Radio & Television (CRTV) Extrême-Nord à Maroua… Il va plus loin en affirmant que les structures sociales en charge de l’accueil des enfants sont débordées. Selon lui, le coordinateur de l’association pour la protection des enfants éloignés de leurs familles au Cameroun (APEEFC), de la ville de Maroua, affirme que sur la soixantaine d’enfants que sa structure encadre, une trentaine d’entre eux ont été recueillis les trois dernières semaines précédant l’enquête. Pis encore, depuis son ouverture le 5 février 2002, cette structure a déjà accueilli 1715 enfants abandonnées. Pour ce journaliste, une autre préoccupation des autorités publiques de la ville de Maroua (chef-lieu de la Région de l’extrême nord), est celui des enfants que l’ont ramasse dans les villages, sous prétexte que ceux-ci vont suivre des études coraniques en ville. Ces prétendus élèves arrivent généralement en masse par vagues de 15 à 30 enfants. Selon le chef de centre des affaires sociales de Maroua, dans la plupart des cas, « il s’agit d’une pure et simple exploitation des mineurs… au lieu de recevoir la formation intellectuelle ou spirituelle qui leur était miroitée au départ, ceux-ci se retrouvent en train de mendier pour survivre et faire vivre les maîtres qui les ont amenés en ville ». Dans certains cas, pour avoir commis un larcin, l’enfant est chassé de la maison. En 2007, le centre social de Maroua a réussi à ramener dans leurs familles respectives 80 enfants qui se retrouvaient dans la rue pour avoir eu des démêlés avec leurs parents. Chiffres et tendances qui expriment à eux seuls un désir mortifère de la société camerounaise d’aujourd’hui. Dans ce travail, par abandon, il faut entendre comme Valérie Delaunay (2008, 2009), « toute forme de désengagement visà-vis de la maternité et de la paternité. L’abandon peut conduire au décès de l’enfant, à grossir le nombre des enfants de la rue, tout comme il peut se rapprocher d’un confiage, temporaire ou définitif, dans l’intérêt de l’enfant. L’abandon prend alors deux dimensions : l’une intentionnelle (rejet ou don), l’autre temporelle ».
L’ampleur de la situation
En 10 années d’existence, la CAED a reçu 768 enfants se répartissant de la manière suivante :
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507 enfants abandonnées (66,1%);
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124 enfants maltraités (16,2%);
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40 enfants fugueurs (5,2%);
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35 enfants égarés (4,5%);
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12 enfants de parents malades mentaux (1,5%);
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50 enfants non classés (6,5%).
On observe une baisse croissante de l’abandon en fonction du temps.
507 enfants sur 768 ont été abandonnés (soit 66,01%). Ils sont répartis en deux groupes : les abandons complets : 222 (28,9% de l’ensemble des enfants accueillis et 43,8% par rapport à l’ensemble des abandons) et les abandons dépannages : 285 (37, 1% de l’ensemble des accueils et 56,2% des abandons).
Évolution de l’abandon au fil des ans
Types d’abandon
La maltraitance est essentiellement psychologique. Elle est représentée par un contingent d’enfants piégés par les querelles et les disputes parentales. Ils trouvent parfois un répit de quelques semaines ou quelques mois au CAED.
Typologie de la maltraitance au CAED
Discussion
La maltraitance infantile
Selon l’OMS (1999), « La maltraitance de l’enfant s’étend de toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligences ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développent ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance et de pouvoir. » Trois formes règnent de façon endémique au Cameroun. Elles sont mêmes culturellement et socialement tolérées : les punitions corporelles (EMIDA, 2000; Ezembé, 1995; Kesseng à Ribal, 1999; Mbassa Menick et Ngoh, 2005; Ngoura, 1993, 1995); les mauvais traitements affectifs ou psychologiques. La honte est utilisée comme moyen pour signifier à l’enfant sa défaillance publiquement (Ezembé, 1997b; Mbassa Menick et Ngoh, 2001; Ngoura, 1993, 1995). Parmi elles, les négligences et les traitements humiliants ou dégradants (Mbassa et Ngoh, 2001, 2005; Mbassa Menick et Akiwowo, 2006). Les deux précédentes formes sont volontiers portées au débit d’une rigidité culturelle éducative et d’une douleur dite « maturante visant à inculquer aux enfants la hiérarchie des valeurs propres à la société dans un monde où ont prévalu l’esclavage, la colonisation et où prévalent encore aujourd’hui, de grandes endémies et épidémies, les famines, les guerres, la précarisation… et où seuls les plus forts pouvaient et peuvent s’en sortir (Ezembé, 1995; Mbassa Menick et Ngoh; Ngoura, 1993, 1995); l’exploitation commerciale qui consiste à se servir d’un enfant pour un travail ou une autre activité dans l’intérêt d’autrui (Abéga et al., 2005; Abéga et al., 2007).
Les violences sexuelles sont les formes de mauvais traitements les mieux étudiées au Cameroun (Abé et al., 2008; Bang, 2007; Biyong, 1990; Kabiéna Mengel, 2005; Mbassa Menick et Ngoh 1998, 1999, 2003; Mbassa Menick, 2000, 2001, 2002, 2012b; Mbassa Menick et al., 1999; Sanama, 2004). Une autre forme est en train de prendre une ampleur dramatique, l’exploitation commerciale représentée par les enfants vendeurs plateaux sur la tête, les enfants travailleurs domestiques (souvent corvéables à souhait), les enfants employés dans les exploitations agricoles, les enfants mendiants (pris en otages par les parents handicapés et instrumentalisés dans le marché de l’aumône et de la mendicité)… et les mineurs sexuellement exploités qui se recrutent parfois dans leur lieu de travail (Abé et al., 2008; Mbassa Menick et al., 1999; Ngo Ndombol, 2005). Plus récemment, la question des infanticides a été abordée (Mbassa Menick, 2000, 2009, 2010).
L’ampleur du phénomène des abandons d’enfants
L’enfance abandonnée, forme grave de négligence de l’enfant est restée jusque-là ignorée et/ou non explorée, donnant ainsi l’impression d’un phénomène marginal ou inexistant. Sur 768 enfants accueillis au CAED, 507 (66,1%) ont été abandonnés dont 222 cas d’abandons définitifs ou complets (Tableau II) relevant de la dimension intentionnelle à laquelle Valérie Delaunay a fait allusion (2008). Dans l’abandon complet, l’enfant est généralement retrouvé par un passant dans une poubelle, sur une décharge publique, une fosse septique ou WC (nombreux sont ici à ciel ouvert), sur un passage ou sentier, dans une brousse sous un arbre non loin des habitations, ou dans un champ, devant une concession, ou il est carrément abandonné à la maternité par sa mère après l’accouchement, près d’une chapelle, une gendarmerie, etc. Dans ces cas de figure, l’enfant retrouvé vivant est conduit à un poste social, un poste de police ou de gendarmerie pour enquête avant de terminer son parcours au CAED. Il convient de reconnaître comme Carle et Bonnet (2009) que ces espaces de dépôts (en dehors des WC), mêlent de véritables intentions d’abandon à des représentations plus anciennes d’enfants exposés que d’une réelle volonté de tuer. À ce sujet, leur étude conduite en 1980 chez les Antambahoaka de Madagascar a montré que la pratique d’infanticide s’est transformée en une pratique d’abandon, soit par confiage dans une parenté éloignée, soit auprès des centres d’accueils en place (Carle et Bonnet, 2009).
285 cas d’abandons dépannages ont été identifiés soit 56,2% des abandons. Par abandon dépannage, sont regroupés les enfants accueillis temporairement, avec parents identifiés parce que ceux-ci ont d’énormes difficultés existentielles. On y dénombre, les familles très nombreuses et pauvres, les parents malades (malades mentaux errants, personnes vivants avec le VIH), ceux ayant perdu leurs emplois, les parents en conflits ou divorcés, les parents retraités. Le départ de ces enfants va parfois s’inscrire dans l’histoire conflictuelle de la famille : deuil, divorce, remariage du père ou de la mère, polygynie, alcoolisme et punitions corporelles (Morelle, 2004). Mais il y a aussi les enfants orphelins (orphelins de parents décédés, mais également des « orphelins de parents vivants », les égarés à la sortie des écoles que les parents ne sont pas venus chercher et les fugueurs au premier rang desquels ceux qui sont en conflit avec les parents. Souvent délaissés, battus, insultés, certains enfants ne trouvent plus leur place dans la famille. Dans ce groupe accueilli temporairement, la moitié des enfants finissent par séjourner longtemps au centre et prendre une autre destination à défaut de retourner dans leurs familles respectives parce que les parents ne manifestent aucune volonté de les reprendre. Ils s’en désintéressent totalement dès lors que l’enfant est pris en charge par les services sociaux. Ceux là rallongent la liste des « orphelins de parents vivants » largués par la famille (Morelle, 2004).
Une diminution des abandons a pourtant été observée en fonction du temps (Tableau I). Qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle décrue entre 1990 et 1999 ? Tout d’abord nous avons constatée que les abandons étaient plus fréquents et plus nombreux entre 1990 et 1993. Cette période correspond au moment où les revendications sociopolitiques étaient à leur comble, induites par les conséquences des politiques d’ajustement structurel du FMI et de la banque mondiale imposées aux états africains. Au cours de cette période, il y a eu la dévaluation du franc CFA accompagnée d’une inflation galopante, la baisse drastique des salaires des fonctionnaires et des agents des services publics, les licenciements massifs des personnels dans les entreprises, la déflation du personnel de l’état (fonctionnaire ou non) visant à réduire le train de vie de l’État et les effectifs du personnel considérés comme pléthoriques… L’une des conséquences immédiates de cet état de fait a été la précarisation des familles et la déscolarisation massive de nombreux enfants parce que leurs parents n’étaient plus capables de payer leurs études. D’aucuns ont été contraints de retourner dans leurs villages à contre cœur où ils ne payent pas de loyers parce qu’ils y ont construits une maison ou alors parce qu’ils pouvaient y être accueillis et hébergés par leurs familles, laissant leurs enfants à la charge d’un parent en ville.
Mécanismes qui aboutissent à l’abandon des enfants
En Afrique, ces confiages d’enfants se font sans que les parents « confieurs » aient la garantie que l’enfant confié bénéficiera de l’encadrement dont il a besoin tant au plan matériel, affectif et éducatif. Il lui suffit seulement de l’accord de principe du parent adoptant pour qu’il laisse ses enfants. Tout est fait sur la base de la confiance et de la parole donnée sans tenir compte des moyens de subsistance du parent adoptant (Ezembé, 2000). Valérie Delaunay (2008) pointe aussi du doigt ce contexte social en mutation à Madagascar, avec des changements socioéconomiques, notamment l’urbanisation et les changements de mode de production, qui ont modifié le rôle de l’enfant au sein de la famille et l’organisation sociale et économique des familles. Dans un autre travail (Delaunay, 2009), elle resserre la rengaine pour mentionner que les normes sociales en Afrique rejettent très souvent l’enfant né hors union, qu’il s’agisse de l’enfant adultérin ou de l’enfant du célibat, et cela de manière si forte que cette pression sociale a pour conséquence de nombreux abandons. Ainsi, au Cameroun, l’accroissement des enfants abandonnés est cité comme l’un des signes les plus dramatiques de la marginalisation socioéconomique des mères célibataires et de leurs enfants (Calvès, 2006).
L’enfant est aussi mis en scène dans l’abandon pour des raisons de sorcellerie. Ce phénomène des « enfants-sorciers » avait déjà été évoqué par Mbassa Menick et Ngoh (2001) pour expliquer l’abandon des enfants drépanocytaires au Cameroun. Il a aussi été mentionné par Lauren Miller (2012), lorsqu’elle a étudié le cas des enfants du Centre National de Réhabilitation des Personnes Handicapée (CNRPH) de Yaoundé. L’anthropologue Péguy Ndonko (2013) est revenu longuement sur la question dans son travail intitulé « L’enfance en péril et les enfants en périlleux en contexte bamiléké du Cameroun ». Mais le handicap physique ou mental est aussi une cause d’abandon, seulement les enfants victimes sont orientés ailleurs dans des centres spécialisés, c’est pourquoi nous ne les avons pas identifiés parmi la population des enfants accueillis au CAED (Miller, 2012). Parfois, la peur de la réprimande et de la sanction sociale a poussé certaines femmes à l’infanticide au Sénégal (Mbassa Menick, 2000; Sene, 1995, 2006).
Dans certains cas, ce sont les épouses, généralement plus jeunes dans la nuptialité africaine en général et camerounaise en particulier (Bartiaux et Benenguiss, 2001; Mudubu, 2001), qui refusent de retourner avec leurs époux au village lors de la retraite. Mudubu (2001) a montré de façon éclatante comment la mobilité conjugale peut rendre compte des inégalités de pouvoir entre hommes et femmes chez les Mvae et les Ntumu du sud Cameroun. Il ressort de ce travail que l’écart d’âge entre hommes et femmes mariés reste encore élevé. Il varie de 5,8 à 7,9 ans si la femme se marie une toute première fois avec un célibataire. Cet écart peut doubler en cas de remariage et surtout de mariage avec un polygyne de plusieurs femmes. Pour lui, la nuptialité camerounaise se caractérise par l’important écart d’âge entre époux, la précocité du mariage chez les femmes (entre 16 et 20 ans) et les remariages fréquents qui expliqueraient la pratique de la polygamie ou polygynie.
Quant à Bartiaux et Bénenguisse (2001), ils ont étudié les rapports de genre en comparant les conjoints sur deux variables : leur âge et leur niveau d’instruction pour définir la position des uns et des autres dans le couple et l’espace social camerounais. Le constat est le même, les femmes camerounaises issues des générations 1946 à 1962 ont 12,3 ans de moins que leurs conjoints. Les femmes en unions monogames sont en moyenne plus jeunes de 10,1 années que leurs maris, alors que pour leurs consœurs en union polygame, la différence moyenne d’âge est proche de 16 ans (15,8 ans). Compte tenu de cet écart, l’homme est en situation de faiblesse lorsque la décision de retourner au village natal est prise en cas de crise ou de retraite. Par exemple quand l’homme prend la retraite à 55 ans au Cameroun, sa femme en a encore moins de 45 ans. Elle ne s’imagine pas rentrer au village où les conditions de vie sont très difficiles. Ainsi, ces femmes, s’alliant généralement aux enfants, choisissent souvent de rester avec leur progéniture en ville même sans moyens. Totalement prises dans les stratégies de survie entre petits commerces, travaux champêtres et petits métiers, les enfants sont délaissés et abandonnés à eux-mêmes, si elles ne sont pas tout simplement débordées par ceux-ci à cause de leur manque d’autorité. Du coup, les enfants se mettent en stratégies de survie dans la rue pour survivre. Certaines mères prennent la place de l’absente en se réfugiant dans la dépression, la prostitution ou l’alcool.
Pour expliquer certains cas d’abandon au Cameroun, Chouala (2008) s’appuie sur la crise de la domination masculine. Selon cet auteur, dans divers domaines du jeu de la suprématie au sein de la scène conjugale camerounaise, il arrive que la femme disposant de plus de ressources matérielles et symboliques que l’homme prenne en main la direction du foyer conjugal. Dans ce sens, la domination féminine s’exerce pour l’essentiel par le biais des violences symboliques, c’est-à-dire selon Bourdieu (1998), une violence « douce, insensible, invisible pour les victimes elles-mêmes, qui s’exerce pour l’essentiel par des voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément, la méconnaissance ou, à la limite, du sentiment ». Ainsi, Chouala (2008) a identifié plusieurs domaines de pouvoir d’exercice de la domination par la femme camerounaise. Il cite ainsi les punitions sexuelles (qui consistent en la suspension unilatérale par celle-ci des rapports sexuels au sein du couple. Plus l’homme prend de l’âge plus le phénomène prend de l’ampleur); les violences matérielles qui s’expriment par la « casse domestique » des objets du conjoint, le refus de faire la cuisine et parfois la création d’un climat d’insécurité au sein du foyer. Cette transformation du couple conjugal en un enfer pour l’homme conduit souvent à sa désertion, abandonnant femme et enfants. Ceci dit, notons cependant que, si certaines femmes rebelles prennent leur revanche sur l’homme, le statut de la femme dans les sociétés africaines la confronte particulièrement au traumatisme et aux violences (Mbassa Menick, 2012a). En effet, notre travail a levé le tabou sur la toute-puissance phallocratique de l’homme dans les sociétés traditionnelles africaines. Ainsi, la femme est souvent mariée sans demander son avis (mariage précoces, prescriptifs et/ou préférentiels), parfois à leurs cousins (endogamie), souvent à un grand polygyne de plusieurs épouses ou à une personne très âgée, dans un contexte de conjugalité non cohabitante. Elle n’a pas toujours la possibilité ou le droit de choisir le nombre de maternité qu’elle désire. Elle est encore et souvent battue par son conjoint et dépend souvent économiquement de lui (violences économiques). Ces violences facilitent des expressions cliniques préférentielles de type dépressif e/ou psychosomatique (Mbassa Menick, 2012a). D’autres études se sont penchées sur les violences sexuelles dont la fille et la femme sont victimes (Mbassa Menick, 2012b; Foumane et al., 2014).
Les pratiques de confiage se diversifient et on voit apparaître des situations de crise conduisant à la mise en danger des enfants : travail des mineurs, trafic, exploitation sexuelle à des fins commerciales (Abé et al., 2008; Abéga et al., 2005; Abéga et al., 2007). Même si le phénomène d’abandon existait déjà à travers « don et abandon d’enfants » comme l’ont montré plusieurs auteurs (Ezembé, 1997a, 2000, 2003; Lallemand, 1988, 1993). Il a connu une accutisation depuis les années 90 dans le système-monde actuel imprimé par la mondialisation. Ainsi face à la mondialisation, il y a eu fragilisation des systèmes traditionnels de solidarité et de protection sociale avec marchandisation des relations de solidarité, accentuation des différenciations professionnelles par le genre, l’augmentation massive du travail des enfants formel ou informel; le travail des enfants n’arrête pas de se développer sans leur permettre de sortir de la précarisation comme l’a constaté JeanFrançois Le Goff (2009). Fort de ce qui précède, les familles déjà nombreuses au Cameroun comme partout en Afrique, ont été engagées dans un processus de précarisation avancé dont les enfants sont les premières victimes. Le mot précarité est ici corrélé à la perte des sécurités de base : logement, travail, formation, revenus, accès aux soins, liens familiaux et sociétaux (Wrezinski, 1987). Dans ce monde de désespoir, une nouvelle forme de maltraitance pointe : l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales (Abé et al., 2008; Mbassa et al., 2009). Ce trafic se nourrit et se construit sur la pauvreté et la misère des familles. Au Cameroun, l’argent a pris une place prépondérante dans les relations sociales. Il n’est plus étonnant que l’espace de celui qui n’a aucune rentabilité économique pour sa famille soit étroit. C’est pourquoi, on peut dire que les familles ont ici une lourde responsabilité. La misère a rendu certaines d’entre elles très vulnérables, au point où, aujourd’hui, l’exploitation sexuelle de l’enfant à des fins commerciales est devenue une alternative à la misère. Hier, si les familles ne l’encourageaient pas, elles ne la dénonçaient pas non plus (Mbassa Menick; 2001; Mbassa Menick et al., 2009). Aujourd’hui, fait plus grave, elles les encourageraient implicitement, comme si l’on est passé de la culture de la tolérance à celle de l’indifférence, voir même à celle de l’instrumentation des enfants dans le commerce sexuel dans un business qui a pris une dimension familiale (Abé et al., 2008). L’existence d’une forte demande des touristes conforte les parents dans cette voie en déplaçant leur culpabilité. De nombreuses familles abandonnent aujourd’hui leurs enfants à des inconnus, sans la moindre garantie de les revoir un jour, pour des sommes dérisoires. C’est à cette souffrance psychique en rapport avec la pauvreté, la précarité et l’exclusion qu’est consacré l’article de Furtos et Laval (1998) sur cette clinique de la disparition comme défi du troisième millénaire. Aussi, soulignent-ils fort opportunément qu’on observe de nouvelles modalités de souffrance devant lesquelles les professionnels se sentent incompétents, comme si la déqualification sociale croissante renvoyait à une crise identitaire des aidants autant dans le champ sanitaire que social. Les conséquences de la précarisation sont dans ce cas bien évidentes : la déstructuration des familles, la perte de confiance en l’avenir, le sentiment d’exclusion du monde humain, la perte de la croyance de la perception de la qualité d’être humain dans la précarisation, le repli communautaire ou identitaire et malheureusement parfois, la violence et la délinquance comme dernières armes du désespoir en violation des lois républicaines (Le Goff, 2009).
La diminution des abandons pourrait en partie trouver son explication, peut être dans la capacité d’accueil limitée du CAED, dans la multiplication des centres d’accueils des associations, dans les activités de sensibilisation et de formation, aussi et surtout dans la multitude des enfants de la rue que l’on rencontre aujourd’hui dans nos cités, le trafic des enfants qui est de plus en plus dénoncé… Ce travail pose à nouveau, le problème des mauvais traitements infligés aux enfants au Cameroun. Il ressort clairement que sur un total de 124 enfants maltraités, 75,8% sont victimes de mauvais traitements psychologiques et de négligences graves qui se terminent par un abandon. Il s’agit dans bien des cas, d’une dysparentalité de crise comme nous l’avons évoqué avec le cas des enfants drépanocytaires c’est-à-dire que, ce sont des familles qui ont relativement bien fonctionné, jusqu’à ce qu’une crise surviennent (Mbassa Menick et Ngoh, 2001). Celle-ci piège alors les éléments les plus faibles et les plus fragiles de la chaîne familiale que sont les enfants. Dans le cas d’espèce, il s’agissait souvent des parents ayant perdu leur emploi dans la vague des mesures imposées par le FMI et la banque mondiale. Ce pourcentage est largement supérieur au taux retrouvé au CEPEA (Centre d’Écoute Pour Enfants et Adolescents). En effet, sur 366 mineurs reçus au CEPEA de juin 2001 au 31 mai 2006, 40 étaient victimes de maltraitance psychologique et de négligences, soit 15, 3%. La maltraitance psychologique se résume aux traitements humiliants et dégradants envers l’enfant ainsi qu’aux négligences. Elle peut prendre plusieurs formes : des propos iconoclastes, des phrases assassines et injurieuses, des malédictions. Elle peut aussi consister à rabrouer l’enfant, le rudoyer, lui refuser la parole ou prendre l’allure ou la tendance à le ridiculiser, à lui faire honte, à l’ignorer ou à l’isoler… Parfois elle peut menacer les droits de l’enfant à l’éducation, au développement harmonieux, à la santé et à la survie. Malheureusement, il enseigne à l’enfant que la violence est une stratégie appropriée et acceptable pour résoudre les conflits ou pour soumettre les autres à faire ce que l’on veut. Elle peut provoquer l’identification à l’agresseur et promeut la notion d’inégalité. L’enfant perd confiance en lui et en l’adulte protecteur. Nous l’avions déjà dénoncé dans un travail précédent (Mbassa Menick et Ngoh, 2001).
Dans ce travail, 16,1% d’enfants accueillis étaient victimes de punitions corporelles. Il ne s’agit en réalité que du côté visible de l’Iceberg, puisque les enfants sont toujours battus en Afrique même à l’école comme l’a montré Kesseng à Ribaé (1999) à Yaoundé et le rapport d’EMIDA (2000) dans plusieurs provinces du Cameroun. Dans un travail publié en 2005 sur les violences à caractère éducatif au Cameroun, Mbassa Menick et Ngoh (2005) ont trouvé un taux légèrement inférieur, autour de 12% à l’ancien pavillon Jeanne Irène Biya de l’hôpital central. Ce taux n’étonne pas lorsqu’on sait qu’en Afrique, tout le monde s’accommode des punitions corporelles et des traitements humiliants et dégradants envers les enfants au cours de leur processus éducatif. Ils sont même légitimés par les autorités administratives, judiciaires et académiques (Ezembé, 1995). Seuls les abus sont punis. Il faut cependant reconnaître que les cas d’abandon reçus et identifiés au CAED n’ont rien à voir avec des abandons relevant du registre socioculturel comme le cas des enfants jumeaux jadis évoqués à Madagascar par Delaunay (2008; 2009), des enfants nés de rapports incestueux, de relations adultérines ou de viols comme l’ont mentionné Carle et Bonnet (2009) au Burkina parce que le principe de filiation propre au droit traditionnel indique que l’enfant appartient au groupe lignager du père chez les Moose. S’il ne peut pas être reconnu alors il est abandonné; ou enfin celui des enfants malades au sens d’enfants handicapés tels que relevé par certains auteurs (Dassa et al., 2009a; Dassa et al., 2009b; Delaunay, 2009; Mbassa Menick, 2010).
Conclusion
À travers ce travail, l’on comprend clairement que l’enfant abandonné est un enfant otage. Il est otage des traditions socioculturelles de sa communauté d’origine, otage des conditions socioéconomique des ses parents, mais également otage de la mondialisation dont l’un des analyseurs critiques est la précarité. Ce phénomène ira malheureusement en s’amplifiant, mettant en danger les enfants parce qu’il a totalement bouleversé et remis en cause les fondements de la société traditionnelle d’hier qui était plus garante de la protection de l’enfant malgré sa circulation qui semblait anarchique mais contrôlée. Autrement dit, l’évolution sociale en Afrique centrale a un impact négatif sur la structure familiale et le sort de l’enfant. De ce fait, les enfants devront faire face à des angoisses identitaires dans la recherche de leur personnalité (Ezembé, 1997). Malheureusement, les plus fragiles, piégés par les contradictions de l’entre-deux culturel peuvent en perdre la raison. Les pouvoirs publics, les institutions religieuses et associatives font déjà d’énormes efforts pour ces enfants en termes d’hébergement, de formation, de scolarisation et de soins. Mais il y a un grand besoin de création des centres d’accueils spécialisés, d’écoute, d’information et de prise en charge psychologique des victimes. Une prise en chage globale et adéquate trouverait des solutions dans un travail intégré et pluridisciplinaire en équipe et dans les partenariats. Aujourd’hui, on ne peut plus, on ne doit plus dissocier le corps de l’esprit.
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