Numéro
Perspectives Psy
Volume 53, Numéro 2, avril-juin 2014
Page(s) 103 - 106
Section Pratiques et transmission de la psychothérapie en psychiatrie
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2014532103
Publié en ligne 8 octobre 2014

© GEPPSS 2014

Nous avons souhaité aborder cette question à partir de deux points de vue.

  • Celui d’un ancien interne (Bernard Voizot) qui, comme jeune psychiatre, a participé à la création de services de soins au moment de la mise en place de la politique de sectorisation et qui, après avoir quitté ses fonctions de responsable institutionnel, s’est engagé dans les actions de formation des jeunes membres des équipes.

  • Et celui d’un praticien hospitalier (Jean Chambry), responsable d’un pôle et actuellement engagé dans les actions de formation au plan universitaire.

Nous pourrons ainsi analyser ce qui constitue le quotidien des internes et les demandes et les critiques qu’ils peuvent adresser aux services qui les accueillent. Nous entendrons aussi les remarques des responsables des services qui s’efforcent d’améliorer l’accueil des internes et leur formation.

Nous ne saurions avoir la prétention de dire de façon définitive ce que doit être la place des internes dans les services de psychiatrie en 2012. Il s’agit plutôt d’amorcer une réflexion collective sur les modes de transmission des pratiques de psychiatrie aux jeunes collègues.

Pour introduire notre démarche il paraît utile de mentionner quelques remarques

Le temps de l’internat en médecine représente un moment-clé dans la formation des jeunes psychiatres. Les études de médecine et la préparation du concours se sont effectuées en référence à des études poussées dans le domaine des sciences dites dures mathématique, physique, chimie, etc. et dans une perspective où la pathologie est rapportée à des lésions observables grâce à l’imagerie médicale et à des perturbations biologiques mises en évidence par des examens complexes.

La formation à une clinique de l’observation et de la déduction intellectuelle transmise par des maîtres a été supplantée par l’idéalisation d’une démarche scientifique faite de procédures et de protocoles. Le choix des jeunes collègues qui veulent s’intégrer dans des services de psychiatrie marque un écart avec la démarche de ceux qui vont en médecine, chirurgie, obstétrique.

D’autre part, la période de l’internat représente un moment du passage à l’âge adulte au cours duquel les internes se trouvent confrontés à des problématiques psychopathologiques qui peuvent être impressionnantes. Nous ne devons pas méconnaître l’aspect traumatique de cette découverte brutale de la désorganisation psychique et des passages à l’acte. Il se produit alors un remaniement et des modifications, voire des bouleversements des idéaux de l’adolescence et de la post-adolescence. Il s’agit aussi d’une période où l’interne se trouve confronté à des pratiques nouvelles dans laquelle la dimension relationnelle est majeure et n’a pas été enseignée pendant les années d’enseignement universitaire qui s’effectue plutôt sur un mode abstrait. Dans la plupart des services, ils sont placés dans une situation de responsabilité avec le soutien des aînés. Mais dans un nombre important de situations, ils ressentent un sentiment de solitude et d’abandon.

Notre analyse doit aussi prendre en compte ce que représente être soignant en psychiatrie avec les limites liées à la réalité du fonctionnement des services de psychiatrie. Cela peut entraîner chez les plus jeunes membres des équipes un sentiment de découragement, d’abattement et de dépression qu’il est nécessaire de pouvoir verbaliser. Au cours de cette période de la découverte des pratiques, il faut aussi tenir compte de la mise en place de conduites phobiques d’évitement de la relation avec les patients ou de la limitation des qualités d’observation et de déduction intellectuelle.

Nous devons avoir conscience de la modification fondamentale des conditions d’exercice des internes. Il faut comparer la situation actuelle avec celle qui a correspondu à la période du développement de la médecine hospitalière des années 1950-1970. À l’époque, il y avait un primat de la clinique et de la formation par des maîtres. On peut dire qu’il s’agissait d’une transmission sur un mode vertical, hiérarchique plutôt patriarcal. L’augmentation du savoir médical était progressive. Les conditions d’exercice étaient reliées à des démarches diagnostiques et thérapeutiques. Il y avait un développement des examens complémentaires mais la démarche clinique primait. Actuellement, l’augmentation massive du savoir a introduit un nouveau mode de relation avec les maîtres. Il y a surtout une augmentation des contraintes administratives.

D’autre part, l’importance prise par le point de vue psycho-pharmacologique a conduit à mettre en valeur des symptômes et à étudier les effets des psychotropes. Cela a réduit les travaux d’évaluation et de recherche concernant le fonctionnement institutionnel des structures de soins en psychiatrie. L’intérêt que les internes portent à l’histoire de la psychothérapie institutionnelle amène les praticiens de psychiatrie à construire de nouveaux modèles de transmission de leur expérience pour permettre à ces jeunes collègues de prendre leur place dans les fonctions de responsabilité de l’organisation des soins. Il s’agit d’établir collectivement de nouvelles représentations de l’organisation actuelle du cadre des soins en psychiatrie qui tienne compte à la fois des contraintes budgétaires et de l’idéologie gestionnaire qui s’installe en médecine, chirurgie, obstétrique. Il faut aussi situer la psychiatrie dans son rapport aux sciences humaines et à la psychanalyse.

Quelles sont les places et fonctions accordées actuellement aux internes ?

Cela dépend des différents services mais le risque existe qu’ils soient utilisés voire exploités pour remplacer des postes d’assistants manquants. Notre réflexion ne doit pas occulter les questions posées par l’exercice du pouvoir dans les groupes. Les internes se trouvent confronté aux conflits avec les autres soignants mais aussi aux réactions de rejet de la société vis-à-vis du monde psychiatrique. Il y a aussi le manque de lieux de rencontre, de soutien. Les générations précédentes ont connu la vie dans les salles de garde qui constituaient un lieu de partage pour les internes qui se trouvaient confrontés à la folie, à la vie et à la mort.

L’augmentation de la proportion de jeunes femmes parmi les internes en psychiatrie doit nous faire réfléchir sur les choix qu’elles ont à effectuer. Elles sont ainsi amenées à s’interroger sur leur possibilité d’accéder à la maternité et leur vie de femme en considérant les exigences de la carrière hospitalière et des contraintes administratives. La complexité de ces questions tient aux difficultés de maintenir les possibilités d’épanouissement personnel avec une charge de travail et un mode d’exercice perturbateurs.

Nous devons réfléchir collectivement sur la manière dont les internes sont confrontés aux limites de leur participation aux activités soignantes en psychiatrie. Un interne peut être interdit de consultation ; un autre, interdit de certains actes de soin ; alors que d’autres peuvent être introduits dans des groupes de psychodrames.

Cette situation marque une grande différence avec la période précédente dans lequel un jeune interne était accompagné par des attachés qui n’étaient pas à plein temps et qui pouvaient ainsi lui transmettre une activité s’exerçant dans le cadre libéral. D’autant qu’un nombre assez important d’entre eux exerçait comme psychiatres-psychanalystes.

Plusieurs points ont été relevés au cours des discussions de l’atelier consacré à ce sujet

Une discussion approfondie doit porter sur les modalités de la participation des internes aux temps de vie institutionnelle, aux réunions d’équipe etc. Quelle peut être leur implication ? Quelle place leur donner dans ces réunions où il est question de penser ensemble. Rappelons que, parfois, il arrive que certains stagiaires psychologues soient chargés de faire des comptes rendus de réunions sans penser exactement à ce qu’ils peuvent tirer de cette rédaction.

Il faudra considérer comment intégrer des internes au cours des premiers entretiens avec un patient, ou à la première rencontre avec un sujet et sa famille. Comment envisager la possibilité qu’un interne soit présent par la suite à de nouvelles rencontres et à un travail de consultation avec la famille.

Qu’il s’agisse du travail dans les groupes institutionnels ou avec les groupes familiaux, il faudra évaluer l’apport à la formation que peut représenter le travail d’observation effectué selon la méthode d’Esther Bick.

Dans certaines institutions, on proscrit la présence des internes aux séances de psychothérapie et aux ateliers fermés. Il faut se demander alors comment ces interne peuvent se situer dans le travail avec les enfants et les sorties thérapeutiques et comment intégrer la formation au bilan en observant un psychologue d’une unité qui effectue un examen psychologique.

En pensant l’accueil des internes, il est aussi indispensable de s’interroger sur la formation et l’accueil des autres jeunes professionnels : infirmiers, éducateurs et personnels dits paramédicaux. Ne pourrait-on pas envisager un travail systématique de formation avec des espaces intermédiaires créés par la rencontre de plusieurs professions.

Une des remarques importantes qui ont été énoncées concerne la question de la confiance. Peut-on accepter qu’un interne apprenne en faisant des erreurs. N’oublions pas de mentionner les conflits et la rivalité qui peuvent exister entre internes en psychiatrie et psychologues dans une institution et de considérer aussi la manière dont les internes sont accueillis par les infirmiers. Un travail de formation à la vie de groupe est nécessaire. Cela implique de mieux faire connaître la pratique de la fonction de référence dans le travail de soins en équipe de psychiatrie et de l’articuler avec le travail de consultation, le travail en équipe, qui sont basés sur la notion de tiercéité.

Toutes ces remarques concernant les modalités de la découverte de la vie institutionnelle par les internes, nous alertent sur le risque de renvoyer ces futurs psychiatres à une activité uniquement libérale où la fonction de consultant et de prescripteur de médicaments apparaîtrait plus simple à exercer suivant un modèle médical traditionnel.

Nous avons voulu souligner le danger de placer l’interne dans un travail non encadré. Il faudra aussi discuter les questions posées par leur emploi du temps et la place donnée aux 2 demi-journées de formations qui sont incluses dans le statut de l’interne. Nous ne devons pas oublier de parler du pouvoir de la parole des internes dans l’institution. Par rapport aux périodes des années 1970, ils ont moins de pouvoir puisqu’ils sont moins nombreux.

D’autre part, l’interne doit-il s’adapter au service ou le service doit-il s’adapter à l’interne ? Le potentiel créatif des internes est-il reconnu ? Ont-ils la possibilité de créer des ateliers, des activités thérapeutiques non prévus dans le cadre du service ? Ces questions portent sur la capacité qu’à une équipe institutionnelle d’accepter des modifications de son fonctionnement pour permettre la réalisation de la créativité des futurs responsables d’institution.

Une réflexion d’ensemble devra porter sur l’élaboration d’une théorisation des rencontres avec médiatisation. Comment les équipes pourraient-elles donner aux internes l’occasion de se former sur des médiateurs qu’il pourrait utiliser au cours de leur internat et de leurs engagements institutionnels ultérieurs.

Enfin, l’interne passe. Qu’en est-il de la mémoire du service ? Ne faudrait-il pas aussi proposer aux internes de rédiger un mini mémoire au terme de leur semestre ?

Suggestions à partir des réflexions énoncées au cours de l’atelier

Pour ce qui concerne les internes en psychiatrie. Il faut insister sur l’aspect traumatique de la découverte des troubles mentaux et de la prise en charge institutionnelle. À la différence de la génération qui a participé à la mise en place des institutions nouvelles, à la création des structures intermédiaires, des lieux de vie, etc., la génération actuelle doit s’inscrire dans une organisation technique et administrative qui vise la rentabilité. Il faut tenir compte de ces données du fonctionnement dans la réalité et valoriser tout soutien à l’organisation d’une activité créatrice par les internes.

Il faut aussi qu’une implication des internes puisse durer plus que le temps d’un semestre et permettre une modalité de travail et d’inscription progressive dans une équipe thérapeutique à la suite d’un choix mutuel. Cela peut se réaliser par exemple dans la participation à un psychodrame ou à une activité thérapeutique d’expression avec un personnel soignant. Elle implique la nécessité de prévoir une supervision pour l’engagement dans ces actions thérapeutiques.

De la même manière, il est indispensable de prévoir une supervision et/ou un groupe Balint pour l’activité de consultant. On insistera à nouveau sur l’intérêt de permettre à l’interne de participer à une consultation avec un senior comme un moyen donnant la possibilité de s’identifier à la fonction de consultant et de rapporter le vécu du consultant à une théorisation de la clinique de la relation de consultant.

Enfin, il faudra que les sociétés scientifiques prennent position sur des supervisions individuelles de travail de consultation et de travail avec les familles. Cela doit aboutir à une réflexion sur l’éthique dans la formation et la formation à l’éthique pour les soignants.

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