Numéro
Perspectives Psy
Volume 51, Numéro 4, octobre–décembre 2012
Page(s) 394 - 396
Section Libre cours
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2011514394
Publié en ligne 20 novembre 2012

Nous publions in extenso une communication adressée par nos confrères russes. Elle nous donne accès à la perception de la prescription et de la consommation des amphétaminiques dans ce pays. Pour une revue des effets secondaires et, en particulier, des questions relatives à la dépendance, voir Guilé, J.-M. (2012). Psychostimulants. EMC psychiatrie/pédopsychiatrie, 9(3) : 1-9. Art. 37-218-A-32.

La rédaction

L’histoire des conceptions concernant l’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH) est étroitement liée à la recherche d’options thérapeutiques pour ce syndrome. Jusqu’à ce jour, le traitement médicamenteux du TDAH a impliqué de nombreux groupes pharmacologiques, parmi lesquels les neuroleptiques occupent une place importante, ainsi que les antidépresseurs, les psychostimulants, les anticonvulsivants, les nootropes et bien d’autres… Mais la pertinence et/ou l’efficacité de ces divers traitements médicamenteux a souvent été remise en question. Des soins psychothérapeutiques ont été plus ou moins associés au traitement médicamenteux. Parfois, les psychothérapies sont exclusivement privilégiées. Pendant de nombreuses années, aux États-Unis, ainsi que dans plusieurs pays européens et asiatiques, le traitement par des dérivés amphétaminiques a été indiqué en première intention pour les enfants atteints de TDAH. Depuis les années 1960, leurs prescriptions sont en croissance constante (U.S. House of Representatives, 2000).

Les psychostimulants amphétaminiques sont utilisés pour traiter les troubles déficitaires de l’attention aussi chez les adultes. Ce médicament a aussi été prescrit pour détecter des signes de lésions cérébrales, pour traiter la narcolepsie, le syndrome de fatigue chronique, et comme coupe-faim chez les obèses. Il l’a aussi été pour améliorer les performances et le tonus mental, ce qui explique son surnom en Russie de « drogue des clubs ».

Un rappel historique s’impose. Le premier dérivé amphétaminique a été synthétisé en 1887 à Berlin par Lază Edeleanu, chimiste qui a donné le nom initial de la substance : « phénylisopropylamine ». Cette substance, dont la composition est proche de l’éphédrine, a été aussi synthétisée la même année, par un chimiste japonais, Nagayoshi Nagai (Lock, 1984). En pratique médicale, l’amphétamine n’a pas été utilisée avant 1929. Gordon Alles, chimiste renommé, fondateur de la psychopharmacothérapie, n’a pas pu re-synthétiser cette substance, lorsqu’il effectuait ses recherches pour trouver une molécule synthétique de l’éphédrine. Le méthylphénidate, dont la composition chimique et les propriétés sont similaires à celles de l’amphétamine, a été synthétisé pour la première fois en 1919, sous forme cristalline, par le Japonais Akira Ogata, à partir de l’éphédrine associée à du phosphore rouge et de l’iode. De 1933 à 1934, l’entreprise Smith, Kline & Company, maintenant connue sous le nom de GlaxoSmithKline, a commencé la production de la benzédrine, un dérivé synthétique de l’amphétamine (Shulgin, 1992), qui a connu un franc succès, en inhalation, dans le traitement des bronchectasies, en particulier dans l’asthme.

À partir de 1938, et pendant la Seconde Guerre mondiale, la méthamphétamine, sous le nom de Pervitine, était couramment consommée dans la Wehrmart, sous forme de comprimés de 3 mg, afin d’augmenter les vitesses de réactions des soldats allemands. Adolf Hitler prenait lui-même quotidiennement un mélange de vitamines et d’amphétamines. Toutefois, à la mi-1941, la distribution de la drogue a été réduite en raison de la fréquence de phénomènes de dépendance (Rasmussen, 2008). L’Allemagne nazie n’a pas été la seule à utiliser des substances psychoactives à des fins militaires. De 1950 à 1953, le gouvernement américain a aussi donné des amphétamines à ses soldats en Corée (Gasanov, 2009). Après des décennies d’abus de ce médicament, son utilisation a été limitée aux États-Unis par la Food and Drug administration en 1965.

En pédopsychiatrie, le psychiatre américain Charles Bradley a constaté, en 1937, que l’amphétamine et ses dérivés avaient la capacité d’exercer un effet clinique positif chez les enfants hyperactifs, et il a publié ses résultats dans un article intitulé : « Le comportement des enfants traités à la benzédrine ». Cet article indique que, chez 14 des 30 enfants étudiés, on a constaté un « changement remarquable du comportement, et une amélioration significative des performances scolaires », après une semaine de traitement à la benzédrine (Bradley, 1937, p. 582 ; Eisenberg, 2007). Cependant, comme le précise R.S. Lipman (1974), cette découverte a été peu exploitée jusqu’aux années 1960. Leon Eisenberg écrivait en 1985 : « Laissant de côté le débat sur la physiopathologie et la terminologie, l’hyperactivité est le seul syndrome pédopsychiatrique, pour lesquel un traitement chimiothérapique ciblé (la D1 amphétamine) a pu être trouvé par Bradley » (Penrice, 1985, p. 280). L. Edeleano a donc synthétisé le premier psychostimulant, sans soupçonner le retentissement ultérieur considérable de sa découverte. Dans son Encyclopédie des substances psychoactives, S.E. Lukas (1985) détaille les jalons importants dans l’évolution des recherches sur l’amphétamine, jusqu’à la synthèse du méthylphénidate actuellement largement prescrit dans le TDAH.

Mais, dès 1930, on a constaté les effets secondaires des dérivés amphétaminiques, notamment l’augmentation de la pression artérielle. En 1954, on commence à constater, au Japon, les ravages de la dépendance amphétaminique : sur une population totale de 88,5 millions d’habitants, 2 millions de personnes consommaient des amphétamines ! À partir de 1963, la drogue amphétaminique appelée « speed » se répand dans le monde entier. Depuis la fin des années 1980, la tendance des jeunes à fumer des méthamphétamines ne fait que croître. La prescription des psychostimulants en pédopsychiatrie est actuellement répandue en Europe et aux États-Unis, et disponible, selon les pays, à partir de l’âge de 3 ou de 6 ans (Gasanov, 2009). En Russie, les amphétamines sont interdits.

Étant donné les effets secondaires des psychostimulants et les errements passés dans leurs utilisations (Gasanov, 2009), la médecine moderne se doit de trouver d’autres traitements, pas seulement médicamenteux, pour traiter les troubles déficitaires de l’attention.

Remerciements

Nos remerciements vont au Dr Hervé Benhamou, psychiatre et psychanalyse, pour son œuvre de passeur de culture et de pratiques entre nos pays.

Références

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