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Perspectives Psy
Volume 51, Numéro 1, janvier-mars 2012
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Page(s) | 88 - 94 | |
Section | Libre cours | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2012511088 | |
Publié en ligne | 26 mars 2012 |
La consultation en psychiatrie de l’adolescent : de l’investigation psychanalytique à la « consultation thérapeutique »1
Outpatient consultation in Adolescent Psychiatry: from psychoanalytic investigation to therapeutic consultation
Psychologue clinicien, Psychanalyste en formation (SPP), Docteur en psychologie clinique et psychopathologie (Paris Descartes), ATER à l’Université Paris Diderot, rattaché au laboratoire CEPP (Pr. J. André), Unité pour Adolescents du Centre George Levy, OSE, 12, rue Santerre, 75012 Paris, France
En préambule, nous faisons nôtre la pensée de J.L Donnet, qui lors de la parution de L’enfant de Ça (Green, 1983) disait qu’il s’agissait d’une recherche de psychanalyse appliquée mais qui avait la particularité d’envisager « la consultation psychanalytique comme un analogon de la séance analytique ». Nous paraphrasons volontiers l’auteur en envisageant l’investigation psychanalytique en consultation psychothérapeutique avec les adolescents comme un analogon aux entretiens préliminaires précédant une cure-type.
Nous défendons volontiers, à la suite d’autres, le point de vue selon lequel il existe une spécificité de la consultation thérapeutique à l’adolescence qui va de pair avec une spécificité d’une psychopathologie de l’adolescence.
Il s’agit donc pour nous, d’un travail d’investigateur, au sens de P. Marty, C. David et M. de M’Uzan dans L’investigation psychosomatique, qui inclut l’évaluation et l’indication et dans la mesure des possibilités institutionnelles, le traitement. Nous citons longuement ce passage qui nous semble résumer parfaitement ce que nous faisons comme travail :
« Un entretien type se déroule selon trois mouvements principaux : dans un premier temps – étant donné l’objectif qui est de permettre la manifestation, le développement et l’appréciation de la nature de la relation spontanée du malade ainsi que des systèmes adaptatifs majeurs – il s’agit pour l’investigateur […] de se tenir à une attitude particulièrement neutre et réservée. Lorsque ce premier but est atteint […] on est amené à prendre une attitude plus active et à introduire (…) d’une part des interventions et des interprétations […] et d’autre part une recherche de certains éléments anamnestiques. Ainsi se trouve t’on conduit à un dernier stade de l’entretien où les préoccupations dominantes vont être de compléter l’enquête – au besoin par des questions systématiques concernant l’activité onirique, les souvenirs d’enfance, la formation intellectuelle, la vie habituelle du sujet et la perspective qu’il a sur l’entretien et son déroulement – et enfin, éventuellement, de le préparer en « détendant » progressivement la relation au traumatisme de la rupture » (Marty P., 1976, p. 13).
La seule réserve par rapport aux patients psychosomatiques serait peut-être la censure du psychanalyste à demander un souvenir d’enfance. On l’a vu, l’histoire infantile est en train de s’écrire grâce au refoulement et à la modification du sexuel infantile sous le coup du génital. Demander un souvenir d’enfance à un adolescent peut dans certains cas, par exemple lorsque le travail du négatif prédomine ou que le mortifère est à l’œuvre depuis longtemps, avoir un effet apaisant, de reprise de contact avec son passé et sa subjectivité. Dans d’autres cas, cela peut le blesser, l’infantile impliquant toujours la relation aux parents. Lorsque cette dernière est trop conflictuelle, trop sexualisée, cela réactive la dépendance et ses aménagements (P. Jeammet) et peut amener le sujet à se fermer dans l’entretien.
Les premières rencontres avec l’adolescent vont permettre de juger de ses capacités à s’engager dans un travail sur soi, à la recherche de nouvelles significations, à partir d’un récit qui soit le récit de l’adolescent et non celui de ses parents (ce dernier point étant fondamental et faisant référence à la capacité de « se construire un passé » et un Je autonome [Aulagnier]), la capacité du sujet adolescent à « adapter » son discours en fonction de l’interlocuteur, et non pas à le répéter à l’identique ; la constitution d’un soi qui « devient l’expérience d’un espace psychique propre » (Pontalis), la présence d’affects et d’éprouvés ; la souplesse des relations objectales et de la relation aux pairs qui seront une indication sur les assises narcissiques. Le sujet doit aussi disposer de capacités d’insight, de réflexivité interne, d’un plaisir autoérotique du fonctionnement mental (plaisir à penser, à rêver, à associer).
Nous suivons Gutton, quand il parle du travail avec l’adolescent sur le « récent » et « l’actuel ». Il cite à ce sujet S. Lebovici qui rappelle à propos de l’adolescence « qu’il s’agit encore une fois d’une situation où le hic et nunc ne doit pas être le prétexte pour oublier l’histoire qui l’a faite » (Gutton, 1991, p. 76). L’infantile est encore trop brûlant et pas suffisamment élaboré pour pouvoir être travaillé. Mais cela n’implique pas de rester uniquement dans le ici et maintenant du récit de l’adolescent. Et Gutton de poursuivre : « N’omettons pas l’histoire se faisant pour lui préférer l’histoire qui l’a faite ».
L’investigation psychanalytique à l’adolescence
L’intérêt majeur du dispositif des consultations thérapeutiques d’investigations, limitées dans le temps et annoncées comme telles à l’adolescent, réside, selon nous, dans le fait que ces quelques consultations ont l’avantage de rassurer l’adolescent à un double niveau : d’un côté on s’occupe de lui, on l’accueille psychiquement, et on lui montre qu’il nous intéresse en tant que sujet, ce qui en soi est thérapeutique. D’un autre côté, la durée limitée de ces entretiens rassure l’adolescent sur la temporalité de l’engagement. On sait combien à cet âge le lien à l’autre rime souvent avec dépendance. Avec ce système, on évite un engagement, ce qui permet d’aménager sa crainte de la dépendance et donc de former une alliance thérapeutique.
Nous comparons volontiers ce temps de l’investigation avec les entretiens préliminaires lors d’une cure type. Ces entretiens permettent non seulement au psychanalyste de poser une indication, un diagnostic, d’évaluer le mode de fonctionnement psychique, la qualité du Surmoi et de l’Idéal du Moi (dont on sait que la réorganisation à l’adolescence est majeure et fondamentale), les défenses, les modes de conflits, les relations d’objets, la nature de l’angoisse, le narcissisme, les défenses, les résistances… bref tout ce qui fait l’indication posée par le psychanalyste. Mais ces entretiens préliminaires ont aussi comme intérêt d’évaluer le Pcs, la qualité et la quantité des représentations, la figurabilité, et la réponse du patient aux interventions de l’analyste.
L’investigation psychanalytique à l’adolescence sera donc définie comme une série d’entretiens, pas nécessairement très long (entre trois quarts d’heure et une heure), l’objectif principal étant de s’adapter à l’adolescent, à sa demande (où dans la plupart des cas, sa non demande qu’il ne faudra pas nécessairement respecter, mais comprendre avec lui !) mais aussi de la contourner et de ne pas attendre que tout vienne de lui. Le thérapeute ira chercher le transfert pour amener l’adolescent à parler, quitte à parler plus que lui. C’est alors que les interventions et les paroles du thérapeute, basées sur son empathie et son Pcs, seront décisives tant pour la consultation (même si elle est unique) que pour la suite des entretiens (si suite il y a !). La mise en mots, par l’intermédiaire de la mise en image de ses propres éprouvés, grâce au travail du Pcs, permettra que le contre-transfert oriente le transfert dans un sens positif, amenant une narcissisation du sujet, de ses paroles et de ses conduites essentielle à l’établissement d’un transfert de base (C. Parat), garantissant les meilleures conditions pour l’établissement d’un processus analytique.
Le consultant ne sera plus seulement pour l’adolescent un substitut des imagos parentales dont il ne peut se déprendre quand les limites sont poreuses.
Pour pouvoir être opérationnel, à l’adolescence, il nous semble que les consultations d’orientation et d’évaluation doivent laisser une porte ouverte : celle de l’engagement ou non d’une psychothérapie décidée mutuellement par le thérapeute et par le patient. Se laisser le temps de voir, d’évaluer, de trouver la bonne distance pour le sujet.
Bref, on retrouve là des modes de fonctionnement psychique typiques de l’adolescence. Au final, le cadre se ferait indirectement le complice du mode de fonctionnement de l’adolescent : fonctionnement en tout ou rien (trois ou quatre consultations, ou une psychothérapie analytique à une ou deux séances par semaine sans se laisser du temps pour décider), « phobie du fonctionnement mental » (Kestemberg), acting ou passage à l’acte, inhibition à s’engager dans une prise en charge…
On aura compris que l’on peut poser face à tous les adolescents une indication de psychothérapie ou d’accompagnement. Que l’adolescent soit relativement mûr, disposant de capacités d’insight, de réflexivité interne, d’un plaisir autoérotique du fonctionnement mental (plaisir à penser, à rêver, à associer)… Ou qu’à l’inverse, le sujet soit fragile narcissiquement, dans des conduites agies, des troubles des limites et de l’intériorité. Nous ne nous basons plus sur la gravité de la psychopathologie mais nous nous centrons sur une sémiologie du cadre analytique qui englobe celui de l’analyste.
Le cadre ferme mais souple qu’impose la psychothérapie où le travail d’accompagnement, la régularité des séances, le soutien du moi du sujet par les interventions du thérapeute, le rôle de Moi auxiliaire et de pare-excitation du thérapeute, la fonction maternelle du thérapeute (Winnicott, P. Marty) la neutralité bienveillante mais non systématique et qui ne rime pas avec froideur et contres attitudes défensives du clinicien, les interventions parfois actives du thérapeute…
Tout ceci implique une spécificité de la consultation et de l’investigation à l’adolescence qui rend obsolète le débat sur l’indication de la psychothérapie à l’adolescence. En effet, l’aménagement du cadre et de la technique, en fonction de la psychopathologie de l’adolescent et de son mode de fonctionnement psychique, permet d’envisager l’investigation psychanalytique avec les adolescents comme thérapeutique. Ce qui sera visé sera alors un travail d’accompagnement, si bref soit-il. Ou alors l’investigation sera envisagée comme un travail plus authentiquement psychanalytique, avec un cadre plus ferme, et une technique plus traditionnelle. C’est alors tout l’art du psychanalyste que de s’adapter à la demande, au patient, aux pathologies.
Au final, il s’agira de co-créer avec l’adolescent une aire transitionnelle dans laquelle la capacité de jeu, de mobilité psychique et de symbolisation du thérapeute (et donc le bon fonctionnement du Pcs) seront déterminantes. On devine ici, que l’attitude neutre et froide de l’analyste est à proscrire pour le bon déroulement de la cure et pour le narcissisme du patient.
Au fond, contrairement à la cure analytique classique, ici il ne s’agira pas de la mise en sens systématique du discours et des affects. Avec les adolescents, l’herméneutique n’est pas au premier plan (à moins d’envisager l’herméneutique comme l’interprétation de tout texte nécessitant une explication par l’explication). En découle l’énoncé suivant : la première topique freudienne n’est pas celle à laquelle se réfère en priorité l’analyste d’adolescents. C’est la deuxième topique qui nous semble décisive. L’analyste d’adolescent fonctionne en priorité, et intervient sur le modèle pulsionnel de la deuxième topique tout en ne perdant pas de vue le modèle et les interventions sur le modèle représentationnel de la première topique. La question du sens, du refoulé, de ses retours et de sa levée, apparaît donc au second plan par rapport à la fonction contenante, pare-excitante, rassurante du thérapeute.
Dans la cure adolescente, l’essentiel n’est pas dans le dévoilement de l’inconscient. Bien sûr, l’analyste a toujours en tête et ne perd pas de vue le sens latent et la référence à la première topique et notamment au Pcs (non seulement en tant qu’instance de la première topique entre l’Ics et le Cs, mais aussi en tant que topique pare-excitant les contenus du Ça). Les deux topiques, loin de s’annuler, se complètent.
Rappelons qu’à l’occasion d’un débat entre F. Ladame et R. Cahn (1992), le premier proposa de distinguer deux catégories d’adolescents en fonction de leur fonctionnement psychique. La première catégorie a un « Pcs fonctionnel » caractérisé par « un fonctionnement fluide, où la problématique du refoulement reste dominante, où les capacités de déplacement, de symbolisation, de travail du rêve sont apparemment bien préservées » (Cahn, 1992, p. 223). L’auteur parle alors de « zone tampon », « d’une barrière entre pulsion et sens qui empêche la conscience d’être envahie par les productions de l’inconscient, et réciproquement, sans paralyser les échanges mutuels ». C’est, nous semble-t-il, l’enjeu fondamental du processus de l’adolescence, que de disposer du Pcs comme pare-excitation du dedans, qui comme on l’a vu, sera garant du refoulement, d’une sécurité interne basée sur des assises narcissiques suffisamment solides pour faire face au chaos pulsionnel. Cette « zone tampon » est la clé du bon déroulement du processus de l’adolescence.
La seconde catégorie « se caractérise par le clivage du Moi, le déni et la projection ». Ce sont les adolescents fragiles, limites dont le Pcs ne protège pas suffisamment le psychisme et qui sont donc potentiellement envahis par n’importe quel stimulus interne ou externe. Le recours aux défenses archaïques dans un premier temps sera un rempart contre la désorganisation, si coûteuse soient ces défenses.
Ce débat nous semble crucial quant à l’implication diagnostique et thérapeutique. Et c’est précisément la qualité du Pcs qui nous guide dans l’évaluation, l’orientation et l’indication thérapeutique.
On aura compris que pour la première catégorie, le travail psychanalytique se rapproche de celui de l’adulte, le cadre est posé, les interventions sont ponctuelles et se rapprochent de l’interprétation, le transfert est d’ordre névrotique… Bref il s’agit d’un travail d’accompagnement plus que de soutien, le patient pouvant faire le travail psychique quasi seul en présence de l’analyste. Alors que pour la deuxième catégorie, on parlera plutôt d’intervention que d’interprétation, de « psychose de transfert », de « dysharmoniose de transfert » de cadre aménagé… Le travail sera essentiellement un travail de soutien, de pare-excitation, de contenance et de réassurance afin de solidifier le Moi, le narcissisme qui rendra l’objet moins menaçant et apaisera le pulsionnel à sa source. Les objets internes et l’Œdipe sont également au premier plan et de la pathologie mais aussi de la réorganisation quant elle a lieu.
Mais ce qui fonde l’acte thérapeutique avec des adolescents fragiles, est, nous semble-t-il, du coté d’une fonction maternelle (P. Marty) du thérapeute à pouvoir offrir à l’adolescent un Pcs/moi auxiliaire. La neutralité bienveillante mais non systématique et qui ne rime pas avec froideur et contres attitudes défensives du clinicien, les interventions parfois actives du thérapeute, « l’art de la conversation » (M. Fain, R. Roussillon)… où l’adolescent peut s’identifier à la capacité de rêverie du thérapeute, où le thérapeute va penser les pensées de l’adolescent, va mettre des mots sur ses éprouvés souvent chaotiques et massifs. Il s’agira de traiter les excitations du Ça sans chercher à tout prix l’interprétation. Plus que l’interprétation, il s’agira d’expliquer, de contenir (A. Birraux), de reformuler, de consoler (J. Hochman, P. Gutton), parfois même de converser (D. Marcelli) et discuter.
Autrement dit, il nous paraît essentiel que le thérapeute investisse voir surinvestisse la parole du patient, si factuelle et anodine soit-elle. C’est à cette condition que le sujet pourra à son tour investir le langage et la parole. L’intérêt que se porte le sujet adolescent et qu’il porte à sa vie ne peut passer que par l’intérêt que lui porte le thérapeute et qu’il porte à sa vie. L’analyste est bien un objet tiers à investir, qui permettra une reprise de la subjectivation. Il visera aussi à assurer les processus tertiaires (Green) qui permettront une liaison entre les processus primaires et secondaires. R. Cahn rappelle très utilement que selon la formulation de Green « la réponse par le contre-transfert est celle qui aurait dû avoir lieu de la part de l’objet » (Cahn, 1992, p. 232). C’est donc bien l’analyste en personne, plus que l’analyste comme simple objet de projection transférentielle, qui va être déterminant pour le devenir de la cure et les éventuelles transformations psychiques1 qui s’y produiront.
Diagnostic, transfert et contre-transfert
« L’intérêt tout relatif de penser le cas selon son fonctionnement psychopathologique est alors celui de réfléchir dans la psychopathologie du contre-transfert » (P. Fedida, 1995).
Ce qui distingue la consultation psychiatrique de l’investigation psychanalytique, c’est que dans le premier cas, seuls les signes cliniques objectivement présents sont recherchés (la sémiologie) pour constituer un ensemble de symptômes, qui constituent à leur tour un syndrome et une entité psychiatrique (nosographie), alors que dans le deuxième cas, si les symptômes sont évidemment importants à prendre en compte en tant que signes visibles et objectifs, le clinicien va introduire un deuxième axe : celui de la subjectivité. Ce ne sont plus les manifestations symptomatiques qui vont servir au diagnostic (bien qu’elles vont y aider) mais, a fortiori à l’adolescence, le clinicien va se saisir et saisir dans son contre-transfert et ses contres-attitudes (aussi bien au niveau des éprouvés, des affects et de son ressenti que des représentations qui peuvent jaillir en lui) ce qui va se jouer dans l’intersubjectivité de la rencontre. La classification2 passe au second plan. La scène transférentielle sera évidemment au premier plan. On voit alors se dessiner l’importance de la formation analytique du clinicien, pour que la subjectivité ne soit pas purement projective ou, déconnectée du matériel amené par le patient. Là où le psychiatre fait référence au voir et au savoir, au visible et au descriptif, le psychanalyste fait référence précisément à ce qui ne se voit pas, ce qui n’apparaît pas dans le langage manifeste. Ce qui aidera à la démarche d’évaluation, c’est ce qui se ressent, ce qui s’éprouve, ce qui manque dans le discours, tant du point de vue du langage que de la représentation ou de l’affect. Alors que pour la psychiatrie, c’est l’observable, le quantifiable, le catégorisable qui vont être déterminants.
De la même manière, des défenses habituellement rangées dans la catégorie névrotique peuvent se retrouver dans d’autres structures et vice-versa. À l’adolescence, les défenses dites archaïques, voire psychotiques (clivage, identification projective, forclusion…) sont fréquentes et ne signent pas une quelconque structure. Elles font même partie de ce que nous avons nommé « la potentialité limite ». Ce sont des défenses normalement pathologiques et elles sont à comprendre comme le débordement de l’appareil psychique sous le régime pulsionnel et pubertaire. La condition pour qu’elles soient considérées comme ne faisant pas partie d’une décompensation plus grave, est qu’elles soient transitoires et ponctuelles. Et que, par ailleurs, le mode de fonctionnement psychique de l’adolescent soit souple, mobile et sous le règne du déplacement, de la condensation, du refoulement. Il s’agit donc de prendre en compte la dimension métapsychologique dans l’évaluation, à savoir le point de vue dynamique, topique et économique.
Il apparaît donc essentiel, pour le clinicien, de laisser le diagnostic flottant, en suspens, en attente. Le diagnostic à l’adolescence est fondamentalement dépendant du transfert. C’est pour cette raison, et du fait que le psychisme ne se structure que dans l’après coup de l’intégration de la sexualité génitale (différence des sexes et des générations…), que le diagnostic au sens psychiatrique n’a pas lieu d’être (sauf cas de décompensation grave ou de pathologie franche déjà organisée).
De plus, si l’on se réfère au mode de fonctionnement mental de l’adolescent, le diagnostic et la structure deviennent superflus. Peu importe que celui-ci soit psychotique ou névrosé, si l’on a en tête que c’est la souplesse de son fonctionnement psychique qui nous guidera dans telle ou telle indication ou traitement. D. Houzel rappelle que « le point d’impact du processus thérapeutique n’est pas le symptôme mais le conflit psychique » (Houzel, 1999).
De plus, les éprouvés et ressentis du thérapeute sont fondamentaux pour tenter de cerner le mode de fonctionnement du sujet adolescent. À l’adolescence, plus que d’un diagnostic, il s’agira d’évaluer le mode de fonctionnement psychique et les formations psychiques prévalentes, la souplesse de ce dernier, les défenses mises en œuvre, le narcissisme, la relation objectale…
Il s’agira au final d’une véritable sémiologie des mécanismes psychiques mis en œuvre. Mais cette sémiologie, si elle s’appuie sur des critères objectifs, ancrés dans la théorie analytique, est aussi dépendante du contre transfert et de l’empathie3. Pouvoir s’identifier au patient dans une consultation est capital, autant qu’aux personnages qu’il convoque fantasmatiquement ou réellement (dans le cadre d’entretiens familiaux). C’est ce va et vient identificatoire qui va progressivement apporter des éléments sur le mode de fonctionnement du patient. Peut-on, à travers son discours, se représenter sa vie, les personnages clés de son histoire, sa manière d’être au monde, ses relations interpersonnelles… et au final, avoir une vision d’ensemble de son mode de fonctionnement ? Peut-on se laisser aller à la rêverie, ses propos évoquent-ils pour nous des souvenirs, des rêves, des associations, des fantasmes ?
Ou bien, le discours du patient ne produit rien chez le thérapeute ? Du blanc, du vide, un accrochage perceptif, un agacement, une impossibilité de rêver ?
Dans le premier cas, cela renverrait plutôt à des adolescents névrotico-normaux (Mc Dougall) en crise, dans le deuxième cas, les troubles narcissiques-identitaires (Roussillon) seraient plutôt la prévalence. On voit bien ici, que seuls les éprouvés du thérapeute et l’empathie peuvent être une aide à l’orientation diagnostique devant l’absence de signes ou de symptômes.
Dans tous les cas, si le diagnostic psychiatrique nous importe peu, il nous semble que nous ne pouvons faire l’économie d’un diagnostic « psychanalytique » tel que défini plus faut. Cela revient à poser l’indication qui s’évalue en fonction du diagnostic, indication qui déterminera en partie la « stratégie thérapeutique » et les réponses thérapeutiques qui seront tantôt plus proche de l’interprétation en première topique tantôt plus proche de l’intervention, contenante et pare-excitante en deuxième topique. Tout ceci étant inclus dans un processus de transfert et de contre-transfert dynamique. Là où la psychiatrie s’intéresse à la maladie et à l’objectivation des symptômes, la psychanalyse s’intéresse au malade et à la subjectivité du symptôme prise dans une relation et une rencontre avec un autre. Cette rencontre va (re)donner au symptôme tout son sens. Peut-être que pour éviter la confusion avec le diagnostic psychiatrique, mieux vaudrait parler d’évaluation du mode de fonctionnement psychique, avec les défenses mises en place, le mode de relation à l’objet, le narcissisme, le type d’angoisse…
J.C Rolland ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « La démarche diagnostique dans la situation analytique suit un cours qui lui est propre : elle est incluse dans les constructions que nous édifions dès nos premiers entretiens avec les patients. Celles-ci sont absolument nécessaires pour situer au plan métapsychologique leur demande et s’assurer de leur analysabilité » (J.C. Rolland, 2010).
Certains psychanalystes sont très réservés lorsqu’on parle de diagnostic en psychanalyse. Mais ne nous leurrons pas, la psychanalyse repose sur la psychopathologie et à ce titre, vouloir faire l’économie d’une évaluation est illusoire. D’autant que les entretiens préliminaires servent à faire cette évaluation. Mais elle ne doit pas devenir une obsession pour l’analyste, simplement un fil rouge, une évaluation flottante en constante évolution puisqu’elle est s’appuie sur le transfert du patient lui-même pris dans les filets de la névrose infantile et de ses aléas.
R. Cahn rappelle très justement que « l’objectif essentiel est la remise en route d’un fonctionnement psychique où le sujet pourra à lui-même se fournir des pare-excitations et supporter, dans la continuité narcissique, d’avoir des pulsions sexuelles, à travers les identifications secondaires et, par leur truchement, les identifications primaires ». In R. Cahn (1991), op cit., p. 235.
Nous renvoyons à ce sujet, à l’incontournable article de D. Widlochër (1984).
Rappelons également l’importance de la théorie à laquelle se réfère le clinicien. En l’occurrence, pour les adolescents, il nous semble qu’il faut prendre en compte la spécificité de la psychopathologie et des symptômes à cet âge. Ce qui implique une spécificité théorique et donc clinique. Si cette spécificité n’est pas (re)connue par le clinicien, son évaluation ne pourra qu’être biaisée.
Références
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- Fedida P. Le site de l’étranger. Paris, PUF, 1995, p. 248. [Google Scholar]
- Widlocher D. Le psychanalyste devant les problèmes de classification. In Confrontations Psychiatriques, 1984, n° 24, p. 141–157. [Google Scholar]
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- Rolland J.C. Les yeux de l’âme. Paris, Gallimard, 2010 : p. 199. [Google Scholar]
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