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Perspectives Psy
Volume 50, Numéro 1, janvier-mars 2011
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Page(s) | 78 - 85 | |
Section | Instabilité et déficits d’attention : Diagnostic et prise en charge | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2011501078 | |
Publié en ligne | 24 mai 2011 |
Le traitement de l’hyperactivité
Autour de la prescription de psychostimulants
Treating hyperactivity
About psychostimulant prescriptions
1
Praticien Hospitalier, Chef de service secteur 93I03, EPS de Ville Evrard, 202, avenue Jean Jaurès, 93332 Neuilly-sur-Marne, France
2
Pédopsychiatre, responsable de l’enseignement de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université d’Islande, National University Hospital, Department of Child and Adolescent Psychiatry, Dalbraut 12, 105 Reykjavik, Islande
*
b.welniarz@ns.eps-ville-evrard.fr
**
bertrand@lsh.isbertrand@landspitali.is
La prescription de psychostimulants dans le traitement du trouble déficitaire de l’attention-hyperactivité nécessite d’être inscrite dans un projet global de soins prenant en compte les facteurs psychodynamiques qui sont en jeu pour l’enfant et sa famille. Les auteurs, après un bref rappel historique, tentent d’articuler la prescription de psychotropes avec la prise en compte des aspects psychodynamiques de l’hyperactivité. Les auteurs concluent à l’importance d’une formation psychiatrique intégrée pour le prescripteur de psychostimulants.
Abstract
Treating Attention Deficit Disorder-Hyperactivity with psychostimulants requires from the physician to take into account psychodynamic and family factors involved in the disorder and to incorporate the pharmacological treatment within a broader multimodal care. After a brief historical survey the authors present ways to bring together the prescription of psychotropic medication with the many psychodynamic facets of hyperactivity. They conclude with the importance of properly training psychostimulants’ prescribers within an integrative psychiatric residency program.
Mots clés : trouble déficitaire de l’attention-hyperactivité / méthylphénidate / psychostimulants / psychodynamique / psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
Key words: attention deficit disorder-hyperactivity / methylphenidate / psychostimulating / psychodynamic / child psychiatry
© GEPPSS 2011
Nous republions le texte de Bertrand Welniarz et Bertrand Lauth paru en 20041 dans le dossier sur les thérapies médicamenteuses, car il garde toute son actualité. Soulignant qu’« il est nécessaire d’avoir une approche de l’enfant dans la globalité de son fonctionnement et de ses relations avec sa famille et son milieu social et scolaire », les auteurs soutiennent la pertinence d’inscrire le traitement médicamenteux dans une prise en charge multimodale incluant les autres thérapies. Ce message est tout à fait en phase avec l’approche contemporaine du problème (Gonon, 2011)2 et l’évaluation à long terme de l’efficacité des psychostimulants qui ne présenteraient plus d’avantage comparatif démontré après trois ans (Molina, 2009)3. A contrario, la poursuite de la prescription de psychostimulants pourra se justifier pour tel enfant en fonction de l’évolution clinique. Et ceci d’autant que les auteurs notent que « le recours à un traitement psychotrope rend l′enfant beaucoup plus accessible au travail psychothérapeutique ». Ce constat les amène à confirmer le rôle incontournable du pédopsychiatre au carrefour des différentes approches thérapeutiques.
L’actualité des traitements psychostimulants en France (Guilé, sous presse)4 est marquée par une offre pharmacologique, hors procédure spéciale, restreinte à la seule molécule du méthylphénidate (MPH). En revanche, les formes retard permettant avec une seule prise matinale d’obtenir une couverture de l’ensemble de la journée, se sont diversifiées et remplacent de plus en plus les formes standard à courte durée d’action imposant plusieurs prises journalières. De plus, la pharmacovigilance s’est accrue et il est maintenant impératif d’effectuer un examen cardiologique avant la prescription du MPH. L’impact sur la croissance staturo-pondérale est aussi mieux connu. Il existe un effet attesté sur la taille qui se corrige après arrêt du traitement. Enfin, des approches émergentes comme la remédiation cognitive commencent à trouver leur place dans les prises en charge en complément du traitement médicamenteux (Forgeot, 2011)5.
La rédaction
Le traitement des enfants hyperactifs suscite encore de nombreuses polémiques en France. Le modèle du traitement multimodal [1, 12] associant des soins psycho-éducatifs, psychothérapeutiques, et pharmacologiques n’est pas encore communément admis et il existe encore d’importantes résistances à l’instauration d’un traitement par psychostimulants chez les pédopsychiatres. Ce dossier sur les thérapeutiques médicamenteuses est l’occasion de faire le point sur ce problème et de clarifier la question de la prescription chez les enfants hyperactifs indépendamment de la position théorique du thérapeute et de son appréciation diagnostique.
Aux États-Unis les statistiques épidémiologiques font apparaître le chiffre de 5 à 10 % d’enfants hyperactifs dans la population générale [21] ainsi qu’une multiplication par 4 de la prescription de psychostimulants en 10 ans. Entre 1987 et 1996 le nombre d’enfants traités par les amphétamines est passé de 0,6 à 2,4 % [20]. En France, ce syndrome n’apparaît pas dans les études de files actives des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, une enquête menée en 2000 sur les prescriptions des pédopsychiatres montrait qu’ils ne prescrivaient pratiquement jamais d’amphétamines [24]. Entre les excès nord-américains et l’abstinence des français il est un même sujet : l’enfant et sa souffrance psychique qui se manifeste dans ces cas de façon pratiquement identique des deux côtés de l’atlantique.
Ces différences d’approche d’un même syndrome semblent condenser les divergences de deux démarches cliniques : à partir d’une description clinique pratiquement commune, d’un côté on ciblera un syndrome considéré comme central et organisateur de dysfonctionnements des interactions familiales et sociales; et d’un autre côté on inscrira ce syndrome comme symptôme satellite d’une organisation pathologique de la personnalité. Le symptôme étant alors respecté en ce qu’il signe, comme la partie émergente de l’iceberg, une distorsion dans l’organisation de la personnalité de l’enfant [29].
Ces divergences se sont également appuyées sur des conceptions étiopathogéniques différentes : organogenèse et psychogenèse.
Néanmoins si l’on se penche sur l’histoire du concept on constate qu’il s’agissait lors de son introduction d’un concept mixte, situé entre psychiatrie et neurologie.
Historique
Le concept naît de ce côté ci de l’atlantique : En 1892 Boulanger [3], un élève de Bourneville, fait la première description moderne de l’instabilité chez l’enfant : « Ils se signalent par un manque d’équilibre dans les facultés de l’esprit. Ils ne peuvent fixer longuement leur attention; ils n’ont aucun attachement; il faut qu’ils fassent autrement que les autres. Ils sont intelligents mais leurs incohérences répétées, leurs excentricités continuelles ont bientôt attiré l’attention sur eux. Il semble qu’une force inconnue les pousse périodiquement à des écarts de conduite dont ils ne peuvent donner la raison quand on les interroge. Ce sont des instables du point de vue mental ». Deux ans plus tard, Alexandre Gaubert [8] reprend le terme d’instabilité et mêle deux concepts, le premier est médical c’est l’excitation cérébrale qu’il emprunte à Jules Simon [22] et le second psychiatrique, c’est l’instabilité qu’on trouve dans le traité des maladies mentales de Griessinger [10], paru en France en 1865. Bourneville fait mention la même année de l’instabilité mentale dans son rapport au congrès national d’assistance publique [4].
Dès sa création, l’instabilité infantile se situe de façon ambiguë entre organogenèse et psychogenèse, comme un concept médian entre la neurologie et la psychiatrie. L’instablité mentale sera ensuite étudiée par les praticiens initiateurs du courant médico-pédagogique (Demoor, Philippe et Paul Boncourt, Émile Laurent, Binet et Simon). Mais en 1925, l’ouvrage d’Henri Wallon, L’enfant turbulent, reste influencé par des considérations organicistes et ce n’est qu’en 1932 que Pierre Mâle assimilera l’instabilité à un « trouble du caractère »6. Aux États-Unis l’instabilité infantile est étudiée, pendant la première moitié du XXe siècle, à la fois comme un fonctionnement mental prédisposant à la psychopathie (instability) et également comme un syndrome organique : en 1921 Hohman Kennedy introduit le terme d’hyperkinésie emprunté à la neurologie.
Les courants de pensée français et anglo-saxons vont définitivement se séparer durant la seconde guerre mondiale. En 1940, J. Abramson [1], élève de Georges Heuyer, écrit une thèse faisant autorité : « L’enfant et l’adolescent instable » qui fixe une acception psychologique de l’instabilité infantile. Mais elle ne prend pas en compte l’article de Bradley [5], qui en 1937, va révolutionner ce concept outre Atlantique en proposant un traitement par les amphétamines des enfants instables, les assimilants ainsi aux patients présentant des séquelles encéphalopathiques. C’est à partir de ce moment que les Anglo-Saxons vont se focaliser uniquement sur les aspects somatiques du trouble qui va successivement s’appeler Hyperkinésie, Minimal Brain Injury, puis, rompant avec l’étiopathogénie organiciste, Minimal Brain Disorder, puis Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD), tandis que la pédopsychiatrie française, faisant d’important progrès sous l’impulsion de la compréhension psychodynamique de l’enfant, à la suite des travaux d’Ajuriaguerra de Berges et de R. Mises allait reléguer l’instabilité au rang d’un symptôme secondaire rencontré principalement dans les pathologies limites de l’enfance. La CFTMEA recommande de ne pas inscrire l’hyperactivité en diagnostic principal et S. Lebovici, adoptant une attitude « gaullienne » de défi, consacra à peine une page de son traité de psychiatrie de l’enfant à un syndrome qui a fait à ce jour l’objet de plusieurs milliers de publications recensées sur Medline.
Pour sortir de la polémique
Pour sortir de cette polémique qui se produit au détriment du patient, comme toutes les querelles d’école il faut pouvoir accepter les deux points de vue.
En effet s’il est vrai que le syndrome ADHD, dont la description clinique est rappelons-le invariante depuis plus d’un siècle, recouvre des situations psychopathologiques différentes; il est également notoire que ces mêmes configurations psychopathologiques n’engendrent pas constamment un tableau d’hyperactivité.
Considérons donc que ce syndrome se situe au croisement de deux axes de vulnérabilité.
Le premier axe serait une vulnérabilité neurobiologique, soit génétique comme le suggèrent les travaux de La Hoste [17] qui a étudié le polymorphisme des gènes codant pour les récepteurs dopaminergiques D4 dans l’hyperactivité, soit acquise comme dans la prématurité ou certaines affections entraînant une souffrance cérébrale.
Le second axe de vulnérabilité tiendrait aux interactions avec le milieu et principalement à la qualité des interactions précoces. L’agitation souvent décrite dans la petite enfance de ces patients peut se lire comme l’effet d’une excitation psychique, qui trouve essentiellement une solution dans le registre de la motricité, par défaut de l’entourage à organiser une fonction de pare-excitation. Comme le souligne C. Flavigny cette excitation peut ensuite se sexualiser à l’approche du stade œdipien [8]. Chez les enfants hyperactifs les concepts de défense maniaque, de pathologie limite prennent tout leur sens [27, 28].
Ces hypothèses psychodynamiques ne sont pas contradictoires avec les hypothèses neurocognitives de l’hyperactivité. Des auteurs comme Thomas et Willems [25] reprenant les théories du traitement de l’information de Simon et Kesner (1973) élaborent le concept d’hyperactivité à partir d’un trouble de l’attention qui en serait le primum novens. Suivant Brazelton et Stern ils pointent l’importance du climat affectif de la petite enfance dans l’organisation de l’attention chez l’enfant.
Le traitement
Le traitement de ces patients nécessite donc une association, une synergie de mesures thérapeutiques. Il est nécessaire d’avoir une approche de l’enfant dans la globalité de son fonctionnement et de ses relations avec sa famille et son milieu social et scolaire. Au premier plan une approche psychodynamique est indispensable et elle pourra déboucher sur des mesures thérapeutiques qui vont de la guidance parentale aux thérapies individuelles en passant par les thérapies de groupe et les rééducations. Si des résultats thérapeutiques positifs ne sont pas obtenus dans des délais raisonnables il ne faut pas hésiter à prescrire une médication afin de rompre le cercle vicieux : Hyperactivité → comportement perturbateur → échec scolaire → rejet de l’entourage → perte de l’estime de soi → dépression → augmentation de l’hyperactivité.
Beaucoup de pédopsychiatres ne sont plus hostile au traitement mais préfèrent le faire prescrire par un collègue neurologue ou pédiatre. Sans remettre en cause les capacités de ces praticiens dans ce domaine (Winnicott était bien pédiatre) il nous semble cependant important d’argumenter l’intérêt d’une telle prescription par le pédopsychiatre. Il importe aussi de savoir reconnaître la dimension symbolique liée à l′acte de prescrire un médicament psychotrope. En deçà de la spécificité de l′action pharmacologique du médicament, cette dimension confère á la prescription médicale une dimension psychothérapeutique indéniable remplie d’effets de sens et de relation. Ainsi que le proposent F. Lecomte et al. [18] : « la prescription, au-delà des explications des médecins, peut devenir l′occasion de mieux comprendre les théories que les parents ont élaborées concernant l′origine des troubles de leur enfant et relancer ainsi, de façon souvent surprenante, la dynamique de soin ». Dans beaucoup de cas, l′amélioration que le traitement médicamenteux sera susceptible d′apporter, « pourra favoriser les échanges et rétablir le double sens du processus de filiation-parentification : la spirale négative de leur relation avec l′enfant pourra prendre un autre tour. Ils auront enfin l′occasion d′exprimer tout leur potentiel de « bons » parents. L’enfant, lui, sentira qu’il peut enfin satisfaire le narcissisme de ses parents et se verra moins comme l′enfant sans cesse blessant et décevant pour eux ».
Nous ajouterons, quant à nous, une constatation qui s′impose à l′évidence dans notre pratique quotidienne auprès d′enfants « hyperactifs » : le recours à un traitement psychotrope rend l′enfant beaucoup plus accessible à la relation et à toute forme de travail psychothérapeutique; il facilite de ce fait, on pourrait même dire « potentialise », le travail thérapeutique du psychologue, du psychomotricien, de l′orthophoniste, de l′infirmière, de l′éducateur, ainsi que l′action du travailleur social et celle de l′enseignant.
La prise de médicament signe pour le sujet un acte positif dans le désir de changer. Cette relation thérapeutique permet alors des échanges verbaux permettant à l’enfant ou à l’adolescent d’assumer ce changement. Une vignette clinique représentant une situation clinique fréquente peut illustrer notre propos.
Jean est un adolescent de 15 ans que nous rencontrons à la fin de l’année scolaire alors qu’il redouble la classe de quatrième. Depuis l’enfance il présente une instabilité et des troubles de l’attention en classe, il se fait fréquemment punir pour des comportements inadaptés : bavardages, chahut, etc. Ses résultats scolaires ont toujours été très médiocres. Ils ont permis chaque année le passage en classe supérieure de justesse jusqu’à la quatrième que Jean a redoublé. Il s’agit par ailleurs d’un adolescent sportif qui occupe une place appréciée dans une équipe de football. Il ne présente pas d’agressivité et n’est pas impoli avec les professeurs. Plusieurs tentatives de psychothérapie se sont soldées par des échecs : « parler ne l’intéresse pas, il ne pense pas qu’on puisse l’aider ainsi, il n’avait rien à dire… ».
Une échelle de Conners remplie par les parents et professeurs montre en fait un score limite (15 pour l’échelle abrégée). Devant les difficultés scolaires, la demande du patient et celle de sa famille un essai de méthylphénidate (MPD) est proposé pour la rentrée scolaire de troisième. Le premier effet de cette prescription sera immédiat : le principal du collège apprenant qu’il prend un traitement décidera de l’affecter dans une classe plus calme avec de meilleurs élèves afin de l’encourager. Au moment de la rentrée scolaire, un traitement à 10 mg par jour de MPD qui sera rapidement augmenté à 20 mg est institué. Jean prend le médicament les jours d’école et l’interromps le week-end ainsi que le mercredi midi car il a un entraînement l’après-midi. Le résultat objectif ne se fait pas attendre : les parents remarquent que pour la première fois Jean « n’a pas de mots dans son carnet » alors qu’il en ramenait plusieurs par semaine depuis des années. Jean accepte volontiers les entretiens. Après une première période où il dit ne pas percevoir l’effet du médicament il convient qu’il n’est plus distrait par les autres en classe, que les matières étudiées l’intéressent plus, et que du coup, la journée scolaire lui semble passer plus vite et être moins pesante. Ses amis lui font remarquer « qu’il est calme cette année » et nous pouvons alors travailler sur la perte de la place de « pitre de la classe » qui lui faisait occuper une place valorisée narcissiquement par ses camarades. Il doit maintenant faire le deuil de cette gratification narcissique négative qui n’est pas compensée par la gratification positive que pourrait être la réussite scolaire, car son attention et sa bonne volonté ne lui permettent que d’améliorer lentement son niveau tant il a accumulé de lacunes les années précédentes.
Ici les consultations pédopsychiatriques permettent une élaboration des problèmatiques narcissiques ce que ne permettraient pas des consultations médicales. Le fait de prescrire un psychostimulant ne se limite donc pas à un acte pharmacologique et nécessite une approche psychodynamique. Si le patient peut investir la relation thérapeutique avec un psychothérapeute et un prescripteur alors tant mieux et le pédopsychiatre peut se dégager de la prescription sur un collègue somaticien – en prenant en compte qu’une partie de l’effet psychologique de la prescription sera perdu. Mais si le patient est réticent à une approche psychothérapique il ne faut pas différer trop longtemps le moment de prescrire et, à notre avis, il est préférable que ce soit un pédopsychiatre qui le fasse. Car si techniquement la prescription est simple, l’indication doit être bien posée. Un travail de guidance familiale et des entretiens individuels doivent accompagner la prescription.
La prescription
Alors qu’à l’étranger plusieurs produits peuvent être prescrits pour traiter l’hyperactivité (d-amphétamine, clonidine, atomoxetine, desipramine), en France seul le méthylphénidate possède l’AMM dans cette indication depuis 1995.
Le méthylphénidate agit essentiellement en bloquant la recapture de la dopamine au niveau des terminaisons pré-synaptiques. Il ne bloque pas seulement le transport (recapture) de la dopamine mais semble inverser sa direction en provoquant la sortie de la dopamine hors de la terminaison neuronale. Selon S.M. Stahl les troubles déficitaires de l’attention n’emploieraient pas les mêmes voies dopaminergiques et noadrénergiques que les composantes impulsives et l’hyperactives du syndrome ce qui expliquerait que les troubles de l’attention isolés répondent à de petites doses de psychostimulant alors qu’il faut des doses plus élevées quand la composante motrice est importante [23].
La prescription de méthylphénidate en elle même pose peu de difficultés techniques, néanmoins les indications et contre-indications doivent être établies avec soin. La prescription initiale doit être faite en milieu hospitalier par un spécialiste. Les prescriptions doivent être établies sur des ordonnances sécurisées. La posologie quotidienne doit être inscrite en toutes lettes ainsi que la durée du traitement qui ne peut être prescrit pour une durée supérieure à 28 jours. Le traitement peut être prescrit à partir de 6 ans. L’efficacité dans les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité a été prouvée à partir d’une posologie de 0,3 mg/kg/j. Le traitement sera donc débuté par de faibles doses, qui seront augmentées graduellement toutes les semaines. La demi-vie courte du méthylphénidate, deux heures en moyenne, impose au moins deux prises quotidiennes. Débuter le traitement avec 1/2 comprimé à 10 mg 2 fois par jour au petit déjeuner et au repas de midi (les écoles ne peuvent refuser de délivre la prise de midi). Augmenter graduellement la dose quotidienne de 5 à 10 mg par semaine. Jusqu’à l’obtention d’un effet thérapeutique. Une 3e prise dans la soirée peut être nécessaire chez certains patients, mais l’administration de méthylphénidate l’après-midi ou le soir risque de provoquer une insomnie. La posologie ne doit pas dépasser 1 mg/kg/j en 2 ou 3 prises, jusqu’à une dose maximale de 60 mg/j. Si aucun effet thérapeutique n’est obtenu au bout d’un mois à dose efficace, il faut arrêter le traitement.
Indications/contre-indications
L’indication de ce traitement est l’hyperactivité avec troubles de l’attention que nous considérons comme un symptôme pouvant se rencontrer parfois isolé mais le plus souvent dans une configuration psychopathologique qui peut être complexe. À la différence des Anglo-Saxons qui raisonnent en termes de comorbidité, notre formation clinique francophone nous inciterait à considérer en priorité le diagnostic de troubles de la personnalité – pour les pathologies narcissiques par exemple – ou les troubles anxieux ou dépressifs que présente le patient. Mais il faut inverser notre vision clinique en prenant en considération que toutes les pathologies narcissiques, anxieuses ou dépressives ne comportent pas forcément un volet hyperactif. Quelque soit la pathologie associée il faut donc que l’hyperactivité soit présente depuis la petite enfance (le DSM-IV précise avant 7 ans) pour que le diagnostic positif puisse être posé et que le traitement puisse être efficace. Il est utile d’objectiver le trouble à l’aide d’échelles d’évaluation. Le questionnaire de Conners complet ou abrégé rempli par la famille et l’enseignant permet d’évaluer l’importance de l’hyperactivité dans deux milieux différents et surtout d’avoir des données de départ permettant de juger de l’efficacité du traitement. Les recommandations de l’agence du médicament font état de la nécessité de confirmation du diagnostic par un examen neuropsychologique. Dans la pratique, il existe très peu d’équipes disposant de la possibilité de réaliser un tel bilan.
Les troubles psychotiques sont une contre-indication de même que les manifestations d’angoisse mais ces dernières peuvent être traitées au préalable. Les tics sont également considérés comme une contre indication mais que de récentes publications ont tendance à relativiser [14, 16, 26]. Les contre-indications somatiques sont l’hypersensibilité au produit, l’arythmie cardiaque et les affections cardio-vasculaires sévères et l’hyperthyroïdie. La prudence conseille donc d’effectuer un bilan cardio-vasculaire soigneux avant prescription [11]. Le traitement doit être administré avec prudence chez les sujets souffrant d’épilepsie.
Les effets indésirables
Les effets indésirables les plus courants sont décrits dans les manuels de thérapeutique et imposent rarement l’arrêt du traitement. Le traitement par psychostimulants est un traitement dénué de risques de complications graves à long terme [13]. Nous nous arrêterons cependant sur deux points. Tout d’abord la notion qu’un ralentissement staturopondéral modéré peut être observé lors de l’utilisation de psychostimulants au long cours chez l’enfant, sans que le mécanisme précis en ait été clairement établi. On trouve donc dans certains textes la recommandation de périodes d’arrêt de traitement, notamment pendant les périodes de vacances scolaires ou les week-ends.
En pratique, cette assertion doit être pondérée par la situation clinique individuelle de chaque enfant. En effet, si l’hyperactivité est très mal supportée par la famille il est important que l’enfant puisse aussi renouer des relations familiales positives. La poursuite du traitement pendant les vacances et fin de semaine est donc utile dans ces cas. Dans d’autres situation, l’effet thérapeutique met un certain temps à se manifester de nouveau après une interruption et il y a un risque de rebond de l’hyperactivité lors de l’interruption du traitement [15]; là encore il faut peser les avantages et les inconvénients de l’interruption. De toute façon, d’après les données disponibles, cet éventuel retard de croissance serait compensé à l’arrêt du traitement sans répercussion sur la taille définitive.
Le risque de toxicomanie ultérieur est aussi une crainte de nombreux praticiens se trouvant face à la prescription de produits amphétaminiques propres à alimenter des pratiques addictives. Plusieurs études à long terme [7, 19] ont été réalisées sur ce sujet et une métanalyse récente montre que les enfants traités par stimulants non seulement n’ont pas plus de risque de devenir dépendants ou toxicomanes, mais que le traitement aurait même un effet protecteur sur un risque d’évolution vers les addictions [6].
Le travail de guidance
Le travail de guidance est essentiel. Il importe surtout que l’enfant et sa famille n’attendent pas tout du médicament. La prescription ne doit pas engager le patient et son entourage dans une attitude passive mais, au contraire, représenter l’inscription dans le réel d’un contrat thérapeutique.
Pour que l’enfant profite de la prescription il faut que les parents puissent réinterroger leur position éducative et la faire évoluer. Il est donc important de leur expliquer ce que le médicament peut modifier dans le comportement de leur enfant (capacités d’attention, impulsivité, agitation motrice) et ce que le médicament seul ne peut pas modifier (attitude d’opposition, conduites antisociales, troubles instrumentaux). Ils ne doivent donc pas attendre que le produit fasse des « miracles » mais accompagner l’évolution de leur enfant en adoptant une attitude structurante et affectueuse alliant fermeté et dialogue. Ils doivent soutenir narcissiquement les progrès de l’enfant sans lui demander plus qu’il ne peut produire, respecter le temps que prendra l’évolution.
Les enfants en général investissent le médicament et sont assez rigoureux dans l’observance. Ils ont tendance à attendre du produit un effet « baguette magique » et ils doivent accepter l’idée que le produit va les aider mais ne fera pas le travail à leur place. Ils devront travailler pour réaliser les progrès qu’ils espèrent. Ils peuvent traverser des moments dépressifs consécutifs aux réaménagements psychiques liés à l’effondrement d’une défense qui tenait à l’écart des pensées dévalorisantes ou anxiogènes. Il n’est pas rare que les parents rapportent qu’ils voient leurs enfants souvent pleurer dans les premières semaines de la prise du médicament. Certains enfants qui ne pouvaient rester concentrés plus de quelques minutes sur une tâche tentent maintenant de la réussir, ils s’obstinent, mais s’ils n’ont pas la capacité de la mener à bien ils peuvent s’effondrer devant l’échec. Les enfants ont besoin d’un accompagnement attentif. Là encore, le suivi du traitement par un pédopsychiatre prend tout son sens.
Conclusion
Qu’on considère l’hyperactivité et les troubles de l’attention comme un syndrome ou un symptôme, il est manifeste que la persistance de ce trouble entraîne des effets néfastes sur les relations sociales de l’enfant : dans sa famille, avec ses camarades et à l’école. L’altération des relations sociales, par un effet « boule de neige » va aggraver les troubles psychopathologiques dont souffre l’enfant et par là même tendre à augmenter l’hyperactivité. Parmi les approches thérapeutiques possibles, la chimiothérapie ne doit pas être négligée comme elle l’a été pendant des décennies dans notre pays. Les psychiatres d’enfants et d’adolescents devraient être les principaux promoteurs de la prescription de psychostimulants dans cette indication car la prescription de psychotropes sans prise en compte des facteurs psychodynamiques, prend alors une fonction normalisante pour laquelle l’appellation de camisole chimique est appropriée. C’est ce qui se passe dans de nombreux pays du monde où ces produits sont massivement prescrits par des médecins généralistes ou des neuropédiatres parfois à la seule demande des enseignants.
Tous, nous nous élevons contre les risques de dérive et d’abus de traitements psychotropes chez l’enfant. Mais, qui, mieux que les pédopsychiatres, peuvent justement contrôler et modérer ces prescriptions. Cela peut se faire à condition de bien savoir ce qu’on peut attendre du produit, avoir l’expérience de son utilisation et être conscient de l’appoint important qu’il peut apporter au projet de soins. Il n’y a pas une pédopsychiatrie « pure » qui ne prendrait en compte que les facteurs psychodynamiques et une pédopsychiatrie « ingrate », psychopharmacologique. Cette vision contribuerait à ne pas prendre en compte l’enfant dans sa globalité somato-psychique et laisserait la tâche ingrate de la prescription à des somaticiens qui, n’ayant pas été formés à la psychodynamique, traiteraient en toute bonne foi l’hyperactivité comme l’angine au plus grand détriment de nos patients.
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