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Perspectives Psy
Volume 49, Numéro 1, janvier-mars 2010
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Page(s) | 45 - 47 | |
Section | Expériences psychiatriques | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2010491045 | |
Publié en ligne | 15 janvier 2010 |
Les défis éthiques du guerrier moderne Ethical challenges for the modern soldier
Ethical challenges for the modern soldier
Chef du Bureau d’information et de relation publique de l’armée de terre 14, rue Saint-Dominique 00453 Armées, France.
L’auteur détaille les questions éthiques auxquelles sont confrontés les militaires engagés dans les opérations militaires modernes.
Abstract
The author explores the ethical challenges faced by the servicemen engaged in modern military operations. The contemporary military engagements stirred up new ethical issues, appealing for resuming the Ethics debate within the Army. Three principles appear to guide the ethical attitude of the combat unit: 1) proportionality in the use of force; 2) respect of the dignity of others; 3) exemplary behavior of the soldier.
Mots clés : guerre / éthique opérationnelle / personnel militaire
Key words: war / ethics / institutional / military personnel
© EDK, 2010
L’Amérique ne torturera pas », a lancé Barack Obama en annonçant la fermeture du centre de Guantanamo, « Nos idéaux seront le phare de notre leadership ». Que vous soyez à la tête de la première puissance militaire du monde, un soldat de l’oTAN déployé en Afghanistan ou un simple citoyen spectateur de l’actualité mondiale, il n’est plus possible aujourd’hui d’échapper à la question centrale de l’éthique de comportement dans l’emploi de la force légitime. Ainsi, alors que le nouveau Président des États-Unis impose à ses services de renseignement le respect des règles du manuel de l’armée de terre interdisant le recours à la violence lors des interrogatoires de prisonniers, Israël est accusé d’avoir délibérément violé les conventions de Genève pendant sa campagne contre le Hamas : des comportements de soldats de Tsahal ont été directement dénoncés par Richard Falk, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens. Plus loin, à Kaboul, le général Mc Chrystal, nouveau commandant en chef de l’ISAF 1, impose le respect des populations et la disparition des dommages collatéraux dans les nouvelles directives de comportement des troupes en Afghanistan.
Où qu’elles se produisent, relayées par médias planétaires, les dérogations au droit et à la dignité ne laissent l’opinion publique ni insensible, ni inactive. Sources de la légitimité nationale, les peuples expriment leur désapprobation dans la rue, dans les médias et – quand ils le peuvent – dans les urnes. Quant aux populations qui en subissent directement les conséquences, elles manifestent leur révolte en soutenant l’adversaire, aggravant la situation contre laquelle les forces militaires engagées cherchent précisément à lutter. A travers leurs actions médiatisées à l’envi, les populations sont en mesure de peser et d’influer sur les décisions politiques, pouvant in fine infléchir les stratégies développées. Maints exemples de l’histoire récente l’ont montré : un pays qui décide de l’emploi de la force ne peut garantir sa liberté d’action stratégique sans s’assurer du soutien de l’opinion publique. La sienne d’abord, qui contribue à l’expression de la légitimité de la force déployée et celle du pays où il opère ensuite, que ce pays en ait accepté la présence ou qu’il l’a subisse. Le général britannique Sir Rupert Smith (2007) explique précisément que la réussite des opérations militaires est directement conditionnée par cette adhésion populaire. Elle nécessite la mise en œuvre d’une véritable « stratégie d’action au milieu des populations » reposant entre autres sur un comportement irréprochable des troupes déployées.
Bien plus tôt en France, le maréchal Lyautey, pacificateur du Maroc, avait déjà démontré que le succès final d’une intervention était en grande partie conditionné par le ressenti des populations confrontées au comportement des forces étrangères sur leur territoire. Il a légué des principes fondateurs d’une stratégie militaire respectueuse de l’humain qui ont fait la richesse de la culture militaire française. Aujourd’hui plus qu’hier, une force militaire qui ne bénéficie pas du soutien de l’opinion publique perd sa légitimité. Or, obtenir l’adhésion des populations consiste notamment à leur renvoyer l’image d’une force exempte de tout reproche ou du moins de tout comportement indigne. Outre l’avantage que les forces armées en tirent, un comportement exemplaire permet aussi de préparer la phase des négociations, the day after. A ce moment, tout passif de violence ou d’exaction pèse lourdement dans les discussions politiques et conditionne souvent les modalités de l’accord final. C’est précisément dans la prise en compte de cette échéance que résidait la grande force de Lyautey. La moindre décision prise, même dans l’urgence, était toujours éclairée par la vision de l’objectif poursuivi à long terme, parfois quinze à vingt ans plus tard. Lyautey ne se départait jamais du but final recherché : « le but, toujours le but » disait-il.
C’est sur cet héritage que l’armée française a édifié son éthique de comportement au combat qu’elle estime plus que jamais indispensable au soldat, acteur et parfois même victime de la guerre. Elle a pris en compte la réalité des conflits modernes en même temps que la psychologie de ses soldats. En effet, quand un militaire est déployé en mission sur un théâtre de guerre ou au sein d’une crise grave, il pénètre dans un monde qui n’a plus rien à voir avec les réalités de la vie quotidienne. Les interrogations sur la responsabilité de l’emploi de la force se transforment bien souvent en véritables cas de conscience dont les éléments de réponse figurent rarement dans les manuels de tactique ou les règlements d’emploi. Certaines situations de conflit peuvent confronter les acteurs militaires sur le terrain à de terribles interrogations qui semblent sans solution. Face à de telles éventualités, les hommes ont besoin de points d’ancrage clairs, solides et reconnus par tous comme des références : ils ont besoin de sens. C’est pourquoi depuis sa professionnalisation et la multiplication de ses interventions dans des conflits dits « asymétriques », les armées ont remis l’éthique de comportement au coeur des réflexions. Entres autres questions : pour réussir sa mission, quel niveau de risque prendre ? Quel niveau de force appliquer ? À partir de quel moment l’usage de la force échappe-t-il à la norme acceptable et se transforme-t-il en violence inacceptable ? Toute fin justifie-t-elle l’emploi de n’importe quels moyens ?
C’est ainsi que la doctrine d’action militaire au combat des armées françaises prône un usage maîtrisé de la force dans l’accomplissement des missions. Il s’agit pour les soldats d’apprendre à ne jamais confondre action de combat et action violente. Il s’agit de démontrer qu’il existe une grande différence entre l’usage maîtrisé des armes pour s’opposer à la violence – usage qui n’empêche ni la fermeté ni la détermination – et l’usage non maîtrisé de la force qui conduit immanquablement à la même violence que celle à laquelle on s’oppose. Il faut se souvenir en 1993, du succès des troupes françaises à Mogadiscio en Somalie où, en dépit de la tactique détestable des combattants du général Aïdid qui s’abritaient au sein de la population pour combattre, le 5e RIAoM 2 est parvenu au succès sans jamais succomber à l’abus de force ni provoquer de dégâts collatéraux, bien que cela fut au prix de plus de risques et de pertes pour ses propres troupes.
Les principes de comportement du soldat français ont ainsi pu être regroupés en trois grands thèmes. Le premier d’entre eux consiste à se battre, tuer quand il le faut, mais chaque fois que possible, préserver la vie. De ce principe découle l’exigence de proportionnalité dans l’emploi de la force déjà évoqué. Le second exige de respecter la dignité d’autrui - population comme adversaire – sans aucune dérogation possible et en toutes circonstances. Ce principe permet d’éviter les déviances de tous ordres et, contraint le chef à la réflexion pour réduire voire empêcher tous dommages collatéraux. Enfin le troisième principe prône le concept d’exemplarité à tous les niveaux. Ainsi, dans les crises récentes, l’armée française – et avec elle certaines autres nations occidentales – tend à s’appuyer sur les progrès accomplis dans la maîtrise de la force, démontrant qu’il y a plus à gagner à être exemplaire qu’à être violent. Par son exemplarité, elle tend à aller au-delà du cadre minimal du droit international pour défendre les valeurs sur lesquelles elle s’est elle-même construite.
Par cette stratégie d’éducation, véritable « édification des consciences », l’objectif consiste à proposer des enseignements et aider à éduquer les esprits. Une telle approche permet de protéger les soldats des conséquences de leurs propres actes tant vis-à-vis du droit – national comme international – que de leur propre santé psychologique et morale. Il ne s’agit pas de faire preuve d’angélisme, car il existera encore des déviances de comportement – hélas inévitables – mais celles-ci doivent être contraintes au maximum et ne résulter que de fautes individuelles dont les auteurs auront à rendre compte.
C’est à cette condition seulement que le chef au combat peut devenir un véritable acteur de l’évolution éthique de la conduite de la guerre, en faisant comprendre à ses hommes que l’action guerrière privée de sens peut conduire à des excès, au dévoiement de l’usage de la force et, in fine, au discrédit de ceux qui l’incarnent et de la démocratie dont ils sont l’émanation (Royal, 2008). C’est bien là que réside l’enjeu majeur du métier militaire et du guerrier moderne aujourd’hui.
Références
- Royal, B. (2008). La conviction d’humanité : l’éthique du soldat français. Paris : Economica. [Google Scholar]
- Smith, R. (2007). L’utilité de la force. Paris : Economica. [Google Scholar]
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