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Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 4, octobre-décembre 2006
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Page(s) | 361 - 366 | |
Section | Dossier : Psychiatrie en milieu pénitentiaire | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2006454361 | |
Publié en ligne | 15 octobre 2006 |
Troubles psychopathiques ou troubles psychotiques ?
La question de la privation de liberté
Psychopathic or psychotic disorders?
The impact of loss of freedom
1
Praticien Hospitalier, SMPR de Fleury Mérogis 7, avenue des peupliers, 91705, Sainte Geneviève des Bois Cedex, France.
2
Psychiatre des hôpitaux, Expert, Antenne de Psychiatrie Légale 92000 La Garenne Colombes, France.
L’incarcération concerne parfois des sujets présentant des troubles psychiatriques dont l’expression prend le masque d’une transgression de la loi. La présentation du cas d’un patient-détenu à la psychopathologie complexe, marquée par l’intrication d’éléments de personnalité psychopathique, de troubles psychotiques, de troubles thymiques et de symptômes obsessionnels, permet de discuter la place que prend la privation de liberté dans l’économie psychique de tels sujets. Après avoir souligné les difficultés de prise en charge liées à des failles narcissiques profondes remontant à l’enfance, nous retraçons l’intérêt d’établir une alliance thérapeutique durable. Une collaboration, cohérente et contenante, entre les partenaires pénitentiaires et sanitaires est indispensable pour mener à bien des prises en charge différentes, mais qui ont pour objectif commun de contribuer à la prévention de la récidive.
Abstract
Imprisonment may involve subjects with psychiatric disorders that manifest themselves as infringement to the law. The clinical vignette of a patient/prisoner with a complex psychopathology, interweaving a psychopathic personality into psychotic, affective, and obsessive disorders, allows for the discussion on the impact loss of freedom has on the psychological economy of such subjects. We emphasize the difficulties in the care-setting, due to early narcissistic defects, and we underline the interest of a long-lasting therapeutic alliance. A coherent and containing collaboration between the penitentiary and medical teams is mandatory to carry through different mission, with the common goal of a prevention of repeat offences.
Mots clés : incarcération / personnalité psychopathique / syndrome de Gansser / agression sexuelle / récidive
Key words: imprisonment / psychopathic personality / Gansser’s syndrome / sexual offence / repeat offences
© EDK, 2010
« La psychiatrie en institution traite-t-elle le malade pour lui permettre d’organiser une vie autonome et indépendante, ou aménage-t-elle les situations pathologiques en faisant disparaître des symptômes les plus gênants sans rien changer au fond ? »
P.C. Racamier [10]
La question soulevée par P.C. Racamier garde toute son actualité pour toute équipe travaillant en milieu carcéral. De son côté, Claude Balier évoque à ce sujet la nécessité de l’abord psychothérapique au sein de la population carcérale : « Voilà bien posé le problème majeur de l’objectif thérapeutique d’une équipe psychiatrique : de quelle façon et par quels moyens, avec quelle qualité relationnelle qui suppose assez de générosité placée dans un cadre technique, peut-on intégrer l’énergie des pulsions agressives, dans un mouvement de réorganisation du fonctionnement mental toujours plus riche et plus complexe ? » [1,2]. Dans le présent article, nous souhaiterions nous appuyer sur un cas clinique pour étayer nos réflexions sur l’importance qu’il y a à ce que toute discussion clinique et nosographique, y compris en milieu carcéral, puisse se référer à un abord tout à la fois psychopathologique et pluridisciplinaire. L’Administration Pénitentiaire garde sous sa responsabilité des personnes placées « sous main de justice », des personnes qui ont transgressé la loi sociale et qui sont pour cela privées de liberté, des personnes détenues. Outre sa mission de punition, cette « troisième force publique » est également chargée de contribuer à la prévention de la récidive et de favoriser la réinsertion [7]. Les psychiatres et les équipes soignantes intervenant en prison ont pour mission, dans le cadre des Services Médico-Psychologiques Régionaux (SMPR), de prendre en charge les troubles psychiatriques majeurs et les problèmes d’addiction que peuvent présenter les détenus, avec également un objectif de réinsertion post-carcérale de ces sujets souffrants (en articulation avec la psychiatrie de secteur). L’objectif de la collaboration pluridisciplinaire est donc de prendre soin de « détenus-patients » dont il importe de repérer les troubles dès le début de leur incarcération. Une des conditions en est que ces détenus-patients puissent accéder à une vraie prise de conscience de leurs troubles psychiatriques, psychologiques voire psychosexuels. Cette élaboration de son histoire par le sujet n’est pas simple en milieu carcéral, et C. Balier souligne l’importance pour cela de favoriser chez le détenu-patient « une différenciation des imagos parentales malgré la confusion des investissements alimentés par les attitudes des équipes qui les entourent » [2]. Mais, remarque également Balier, « tout autre est la clinique lorsqu’il y a clivage ; l’identification à l’agresseur a lieu mais elle n’est pas reconnue. Une partie du moi est en contradiction avec l’autre. C’est pourquoi des patients qui ont commis un meurtre ou un viol ne se reconnaissent pas comme violents » [1].
Cas clinique
Cette difficulté à reconnaître ses troubles et à en élaborer une représentation qui permette d’accéder à une prise en charge est illustrée par le cas d’un patient-détenu de 29 ans, que nous nommerons Orlando, incarcéré pour une affaire criminelle (accusation de viols et d’actes de barbarie).Prévenu, il n’est donc pas encore jugé et est suivi par l’équipe psychiatrique depuis le début de son incarcération. En effet, au moment où il se retrouve en situation de privation de liberté pour la première fois de sa vie, surviennent des troubles psychopathologiques aigus, alors que le patient n’avait pas évoqué, lors de l’entretien d’accueil au moment de son incarcération, d’antécédents psychiatriques particuliers. Il a cependant rapidement demandé à voir des membres de l’équipe psychiatrique. Ces entretiens et la suite de sa prise en charge permettent peu à peu de mieux appréhender sa biographie et son histoire clinique, notamment ses antécédents de conduites agressives et de comportements sexuels violents associés à des traits de personnalité de type psychopathique.
Biographie
Il confie avoir été, enfant, victime d’abus sexuels de la part d’hommes adultes de son entourage, dont son père. Plus tard il a commencé à fréquenter des garçons en situation d’abandon parental et d’errance nocturne, avec consommation d’alcool et de cannabis. Par ailleurs, apparaissent dès l’enfance des éléments obsessionnels : par exemple, après le décès d’une grand-mère très investie, il est sujet à la compulsion de devoir ranger très méticuleusement son pantalon à côté de celui de son père. Il doit l’interruption des abus sexuels à une hospitalisation en urgence pour syndrome dyspnéique aigu. Hospitalisé pour bilan, il fait une tentative de suicide qui conduit à un entretien avec un psychiatre. Ce dernier, devant ce qu’Orlando lui raconte de son histoire, avec notamment l’existence d’éléments dépressifs et délirants (il reliait sa dyspnée au sentiment d’être étouffé par le pénis de son père), rédige un signalement au juge pour enfants. Après enquête, le père est incarcéré et le garçon placé dans un internat éducatif. À son arrivée en internat, son syndrome dépressif persiste, ainsi que ses idées de suicide, avec des épisodes d’angoisse psychotique intense : ébauche de dépersonnalisation et symptômes dysmorphophobiques (prédominant sur le visage et en particulier sur le nez) Très rapidement, il se montre cependant agressif et passe à l’acte en simulant des viols, se masquant alors le visage d’un bas. Il supporte mal le cadre institutionnel où il va rester plusieurs années, s’y montre angoissé et incapable d’y nouer des relations structurantes grâce auxquelles il pourrait s’apaiser et se construire. Si un traitement médicamenteux permet de contenir les manifestations comportementales, agressives comme obsessionnelles, les mauvais résultats scolaires viennent témoigner de la persistance des difficultés psychiques, et notamment de l’absence d’investissement. À l’adolescence, de façon ambivalente, alors qu’augmente sa consommation de produits toxiques, il ré-affirme vouloir devenir militaire, témoignant ainsi, tandis que persistent ses troubles obsessionnels, d’un besoin inconscient, mais cependant conscient, d’une structure et d’un cadre. Pendant le service militaire, il présente des épisodes de décompensation psychotique nécessitant deux séjours en service de psychiatrie. Le traitement permettant une nette amélioration clinique, il revient dans son unité. Son service se poursuit jusqu’à son terme, sans autre manifestation pathologique. Par la suite, dépourvu de cadre et de règles strictes, il se retrouve livré à lui-même, en proie à l’oisiveté et à l’absence de tout projet de vie, affective ou professionnelle. Il entreprend quelques petits boulots peu investis. Il retrouve ses anciennes fréquentations et commet ses premiers délits : vol à l’arraché et agressions, tandis que s’aggrave sa consommation de toxiques. En plus du cannabis, il recourt alors à l’héroïne et, pour payer ses consommations, il s’adonne à la prostitution. Séducteur, il aime plaire à tout le monde, hommes ou femmes, et accumule les expériences homo comme hétérosexuelles. Ses succès tiennent à son physique d’éphèbe (il se targue lui-même d’être « très beau gosse ») ainsi qu’à son goût pour tous les types de transgressions.
En deçà de la transgression : la psychose
Toutefois, les limites - partagées avec ses clients - des scénarios trangressifs pour lesquels il est sollicité et payé, s’effacent parfois, en lien avec l’émergence (favorisée par l’appoint toxique) d’un noyau psychotique au sein de sa structuration psychopathique. Orlando transgresse le consentement de son client à une transgression jouissive partagée. Le scénario pervers payé par le client disparaît alors tandis que celui, psychotique et tout-puissant, du violeur occupe la scène. Pour accomplir ces viols et ces violences, il revêt des masques de personnages célèbres (Caligula, Faust…). Ces masques permettent à Orlando non seulement de cacher son visage à ses victimes, mais surtout de s’identifier à ces figures mythiques. Avant chaque passage à l’acte, il réalise lui-même méticuleusement le masque (un nouveau à chaque fois), avec des sourcils, des rides, et même des cicatrices encore ouvertes et saignantes. À cet enchevêtrement d’éléments relevant d’un noyau psychotique et d’une structure psychopathique, se rajoute la persistance de rituels obsessionnels : il doit compter et recompter chaque jour le nombre précis des personnes qu’il a violées et laisser (sous peine de rituels conjuratoires épuisants) des signes distinctifs sur les corps de ses victimes. Parallèlement, Orlando recourt à une forte consommation de stupéfiants et d’alcool ainsi qu’à la fréquentation d’une bande de jeunes toxicomanes auteurs de viols en réunion, dont il partage régulièrement les seringues bien que certains soient séropositifs. Orlando trouve probablement au sein de ce groupe pervers des liens affectifs qu’il n’a pas connus dans sa famille, mais c’est en solitaire, de manière encore plus cruelle et violente, qu’il préfère passer à l’acte. Revêtu du masque confectionné pour l’occasion, il menace et agresse ses victimes avec une arme blanche... Une dizaine de viols, aux scénarios toujours plus élaborés, ont ainsi lieu en trois ans. Une de ses dernières victimes réussit toutefois à bloquer le scénario en gardant son sang-froid et en maintenant un fort lien de parole avec Orlando. Cette communication lui permet de démasquer, au propre comme au figuré, son violeur, et elle est en mesure de fournir à la police un portrait-robot et des détails suffisants pour permettre son arrestation. Les plaintes des victimes précédentes ayant permis la constitution d’un épais dossier de police, il est incarcéré.
Privation de liberté et évolution psychopathologique
Orlando est placé en cellule double et les difficultés de cette co-cellularité ne tardent pas à apparaître, conflits interpersonnels avec passages à l’acte hétéro-agressifs. Les relations avec le personnel de surveillance sont très tendues. Plus d’une fois, il faut séparer les deux détenus en intervenant de manière autoritaire et en urgence. Les motifs de bagarre sont infinis : nourriture, convictions religieuses ou politiques… A la suite de ces conflits (tant avec les agents de l’Administration Pénitentiaire et qu’avec ses co-détenus successifs), il a déjà été sanctionné à deux reprises par un séjour au quartier disciplinaire de la maison d’arrêt. Ces séjours ont une visée punitive dont il a essayé à chaque fois d’extraire un côté positif, disant apprécier de se retrouver seul et transformant ainsi la punition en « séjour de rupture ». Le second de ces séjours est cependant plus difficile et des troubles thymiques surviennent. Des souvenirs de son enfance sont revenus le hanter. Il fait des cauchemars pendant lesquels il pousse des cris sur la saleté et sur son père. Il affirme avoir vu pendant la nuit des cafards gigantesques. À l’intérieur de la nourriture, de sa tasse et de la cellule, il dit voir des sexes d’hommes et les portraits de sa sœur aînée et de son père. Nous mettons en place un traitement pour son sommeil perturbé. Malgré les posologies importantes, l’état clinique du patient ne s’améliore que lentement. Après avoir purgé sa peine punitive et réintégré les effectifs du bâtiment d’origine, il garde des difficultés à fonctionner de manière adaptée au quotidien ainsi qu’à accomplir ses taches qui lui sont proposées dans le cadre de son « classement » à un poste de travail (activité pourtant convoitée par une grande partie des détenus). De même, il n’arrive plus à se rendre à la bibliothèque ou au sport, activités qu’il avait pu, un temps, investir. Il fait part à son co-détenu et certains surveillants de sa conviction qu’en se cognant la tête contre la cuvette de toilette quatre à cinq cents fois avant de s’endormir ces images pourraient disparaître. Rares sont les jours où il arrive à mener au bout son rituel, car son co-cellulaire l’en empêche en appelant les surveillants. Il écrit une lettre, surprenante dans ses termes mais cependant très précise, dans laquelle il demande une prise en charge soutenue et affirme son désir de « faire un travail ». Il dit vouloir aborder les « questions et problématiques » l’ayant conduit en prison. « Docteur je me rends compte de mes troubles de type obsessionnel, et je vous demande de bien vouloir m’offrir du temps pour une psychothérapie ». Peu de temps après la mise en place d’un tel suivi dans les locaux de l’infirmerie, une crise clastique survient, épisode spectaculaire qui impressionne les autres détenus et même les intervenants sanitaires et pénitentiaires de la structure. En proie à une angoisse déstructurante alors qu’il est en salle d’attente, il se met à crier, tient des propos délirants en rapport avec des hallucinations auditives lui ordonnant de « tout casser dans sa cellule » ou bien de « tuer un surveillant ». L’injection d’un neuroleptique sédatif apaise son angoisse et il peut alors exprimer l’état de vide qu’il ressent du fait de l’absence de nouvelles de son affaire judiciaire et du fait qu’aucun membre de sa famille n’est venu au parloir. Malgré cet apparent apaisement, sitôt revenu en cellule, il se scarifie le torse et les avant-bras avec une lame de rasoir. Deux jours plus tard, en pleine salle d’attente de l’infirmerie où il était revenu pour que soient refaits les pansements de ses plaies, il se scarifie à nouveau (les cuisses cette fois) sous l’emprise d’une activité délirante (« je dois mourir et si je me coupe tout mon sang se perdra »). Le sol est couvert de sang, sang qu’Orlando veut lécher. Il fait part de sentiments de « déjà-vu » et « déjà-connu » en association avec une sensation de bizarrerie de l’ambiance et avec un vécu persécutif à l’encontre de membres du personnel pénitentiaire (probable syndrome de Fregoli, proche du syndrome de Gansser). Malgré le traitement neuroleptique injectable entrepris depuis plusieurs jours, il continue à entendre des voix, dont certaines l’encouragent à « se couper à la gorge », et à répéter à plusieurs reprises ses automutilations, choisissant de scarifier à chaque fois un nouvel endroit de son corps dès que les blessures précédentes s’approchent de la guérison. Il n’a pas de critique de ses troubles et semble présenter des oscillations extrêmement rapides de l’humeur. Ces constatations, jointes aux antécédents d’Orlando, nous conduisent à utiliser un antipsychotique à visée thymorégulatrice. Quelques jours plus tard, les surveillants nous apprennent que le patient refuse de prendre le traitement prescrit par le psychiatre, réagissant semble-t-il à l’angoisse que lui crée la multiplication des intervenants dans sa prise en charge (notamment lors des gardes de nuits pendant lesquelles prennent souvent place ses conduites auto-agressives). Son état se dégrade, et la situation du patient-détenu Orlando devient une urgence psychiatrique posant la question du maintien en milieu carcéral ou de l’hospitalisation sous contrainte en milieu psychiatrique selon les termes de l’article D398 du Code Procédure Pénale. Ce que nous disent nos collègues du secteur psychiatrique de leurs difficultés à organiser rapidement de bonnes conditions d’accueil de ce patient dans ce contexte conduit notre équipe à intensifier ses interventions auprès d’Orlando afin de favoriser le maintien d’une alliance thérapeutique propice à l’acceptation d’un traitement injectable au long cours et d’éviter ainsi son extraction de la prison. Ces actions conjuguées des différents partenaires, dans le cadre d’un véritable abord pluridisciplinaire en milieu carcéral, finissent par convaincre le patient-détenu d’accepter le traitement proposé ce qui permet une stabilisation de son état, au moins à moyen terme.
Commentaires
L’histoire d’Orlando, de ses troubles et de leurs prise en charge en milieu carcéral nous semble soulever plusieurs ordres de réflexion.
Discussion diagnostique
Comme c’est souvent le cas chez les patients-détenus, la multiplication des symptômes rend la discussion nosographique particulièrement ardue si on ne tente pas de l’intégrer dans une réflexion psychopathologique. Ainsi, les symptômes d’Orlando semblent pouvoir ressortir à trois grandes entités nosographique. Les troubles psychotiques sont au premier plan quand nous le rencontrons. Le diagnostic de psychose carcérale aurait pu être évoqué si nous n’avions pas rapidement eu connaissance de ses antécédents et si les symptômes n’avaient pas été si résistants au traitement. Il est intéressant de repérer dès l’enfance l’existence d’une fragilité conduisant Orlando à décompenser dans le registre délirant face à des situations traumatiques. Mais c’est surtout à l’accession à l’âge adulte que se manifestent les épisodes les plus franchement psychotiques, probablement majorés par le recours aux toxiques. À ce propos, nous n’avons pas pu éliminer l’hypothèse, lors de l’éclosion délirante au début de son incarcération, d’une participation d’Orlando à la consommation, si fréquente en prison (notamment pendant les promenades), de produits psychotropes ou morphiniques de substitution n’ayant pas fait l’objet d’une prescription. Plus que d’origine réactionnelle ou toxique, les épisodes psychotiques aigus d’Orlando (sans réelle le restitutio ad integrum entre eux) nous semblent d’origine endogène. Au-delà de leur origine, la nature même de ces troubles est difficile à préciser à ce stade de notre connaissance du patient. En revanche, nous avons relevé à plusieurs reprises des phénomènes de « réponses à côté » évocateurs d’un syndrome de Gansser, entité rarement décrite en milieu pénitentiaire mais qui renvoie aux descriptions classiques de la psychose. La question des troubles thymiques est soulevée par la constatation d’épisodes dépressifs récurrents chez Orlando, mais aussi de changements brutaux de son humeur. Là encore, une étiologie réactionnelle et/ou toxique ne peut être éliminée mais une origine endogène à ces troubles d’allure bipolaire nous semble la plus probable. Enfin, la présence de troubles obsessionnels (avec compulsions et rituels) renvoie aux discussions sur la place de ces symptômes classiquement décrits comme appartenant à la sphère névrotique. Au-delà de ces tentatives d’étiquetage nosographique, il nous semble important de repérer l’existence d’une personnalité peu structurée, immature, intolérante à la frustration et recourant alors fréquemment au passage à l’acte. L’importance des failles narcissiques, en lien avec des traumatismes précoces, est à l’origine d’une faiblesse du Moi et d’un défaut d’investissement de soi et de la relation. Ainsi s’expliquent probablement le retournement contre soi de la décharge pulsionnelle et le court-circuit intra-psychique survenant lors des divers passages à l’acte. Nous sommes là dans le registre de la psychopathie, registre qui serait cependant trop réducteur pour résumer le cas d’Orlando [1]. L’histoire de notre patient dans la petite enfance et dans l’adolescence, évoque la déqualification de la libido objectale lors d’une régression temporelle qui rend de plus en plus difficile la distinction entre amour et haine. Alors, le sexuel, devenant démoniaque, tend vers l’excitation pure, avide de décharge en marge de toute valeur nominative [3]. Pendant la période où s’organise la vie affective et psycho-sexuelle du sujet, des troubles sexuels peuvent apparaître dès un jeune âge, qui demeurent ensuite dans la vie du sujet. Les psychotraumatismes viennent orienter la vie fantasmatique du sujet. Le fantasme est défini comme étant le contenu de la pensée entre les défenses du Moi, les pulsions et les réalités [4]. Les agirs sont en étroite relation avec le fonctionnement du sujet, son état cognitif et ses distorsions thymiques et relationnelles. Si, dans la stratégie du sujet, la manipulation est un mode prédominant de fonctionnement, l’acte d’agir peut être itératif et imprévisible, à l’image d’un épisode de dissociation brutale, ou, plus rarement, s’inscrire dans une sorte « d’habitude de fantaisie sexuelle ». Nous espérons que la prise en charge d’Orlando permettra de mieux appréhender la complexité de son fonctionnement et de favoriser de sa part des élaborations propices à une prévention de récidives.
Aspects institutionnels
Le cas d’Orlando soulève non seulement des réflexions cliniques dont nous tirons des enseignements pour notre pratique, mais aussi des questions sur les aspects institutionnels de la présence des équipes psychiatriques en prison. Face d’une part au risque de clivage, d’autre part à la nécessité d’un cadre contenant cohérent, il nous est apparu important que les patients comme Orlando bénéficient d’un suivi par un ou des soignants clairement désignés comme référents de leur situation clinique au sein de l’institution carcérale. De même, l’articulation des prises en charges somatiques et psychiatriques, chez ces patients-détenus qui fonctionnent tellement à l’interface psyché-soma, nécessite une réelle co-élaboration des soins et de leurs objectifs [5]. Enfin, le sens que peuvent prendre ces soins ne peut se concevoir sans référence au contexte carcéral et au nécessaire partage, dans les limites fixées par notre Code de Déontologie, d’une dynamique de réflexion avec tous les représentants de l’administration pénitentiaire.
Remerciements
Les auteurs remercient la Rédaction de Perspectives Psy de son aide dans la révision finale de cet article.
Références
- Balier C. Psychanalyse de comportements violents. Paris : PUF, 2002. [Google Scholar]
- Balier C. La violence dans l’abîme. Paris : PUF, 2005. [Google Scholar]
- Ciavaldini A, Balier C. Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire. Paris : Masson, 2000. [Google Scholar]
- Freud S. La vie sexuelle. Paris : PUF, 1973. [Google Scholar]
- Haute Autorité de Santé. Prise en charge de la psychopathie. Paris : Ministère de la Santé et des Solidarités, 2005. [Google Scholar]
- Racamier PC (1980). Les schizophrènes. Collection Petite Bibliothèque Payot. Paris : Payot, 1990. [Google Scholar]
- Services administratifs de l’Administration Pénitentiaire. Revue d’information et de présentation. Fresnes : Direction Régionale de l’Administration Pénitentiaire, 2006. [Google Scholar]
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