Numéro
Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 1, janvier-mars 2006
Page(s) 79 - 86
Section Dossier
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2006451079
Publié en ligne 15 janvier 2006

© EDK, 2010

Cette étude concerne vingt quatre enfants âgés de neuf à quatorze ans tous résidents dans le département de la Seine-Saint-Denis. Ces jeunes (21 garçons, 3 filles) ont été exclus de l’école de manière définitive ou temporaire pour des faits avérés de violence ou des attitudes jugées dangereuses pour autrui. L’exclusion scolaire est une décision lourde prise après la répétition de conduites non tolérables chez un jeune dans une institution, plus rarement après un fait violent unique. Les professionnels sollicités par le comportement asocial de l’enfant doivent évaluer la souffrance psychique de l’enfant,établir un diagnostic,tisser des liens avec toutes les instances alertées par la situation du jeune (par exemple : des réunions triangulaires entre justice, psychiatrie et le secteur éducatif) La recherche d’une solution réaliste pour l’avenir du jeune se fait par la construction d’un dossier complet avec une analyse pluridisciplinaire des compétences scolaires, le profil psychologique,l’environnement social. Quand les troubles du comportement sont manifestes, la démarche diagnostique se révèle plus probante si l’enfant est hospitalisé quelques semaines pour une observation. Ainsi le « bilan » est réalisé dans de bonnes conditions,à distance de toute tension engendrée par le comportement du jeune. L’hospitalisation agit comme un sas : une rupture temporaire avec l’environnement familial et scolaire a un effet de soulagement pour l’enfant et ses proches ; c’est dans ce cadre que les chances de réussite pour un projet thérapeutique à moyen terme et à long terme sont les plus optimales.

Comment définir la violence scolaire ?

L’analyse phénoménologique de l’acte puni par la loi de l’école peut être un scénario parfaitement lisible, évident de dangerosité ou un ensemble d’attitudes floues,bizarres,créant un climat d’angoisse et d’insécurité. La classification proposée par E. Debarbieux [4], dans son livre La violence en milieu scolaire définit cette violence en trois volets :

  1. Les crimes et délits donnant lieu ou pouvant donner lieu à des procédures : vols, cambriolages, extorsions de fonds, coups et blessures, trafic et usage de stupéfiants, etc., tels que qualifiés par le Code pénal.

  2. Les incivilités définies par le règlement intérieur de l’école. Roché [16] décrit une gamme de faits allant de « la grossiéreté au vandalisme ». Les incivilités les plus anodines semblent « des menaces à l’ordre établi,transgressant les codes élémentaires de la vie en société ». Il n’y a pas réellement d’infraction à la loi au sens juridique mais plutôt à l’ordre intrascolaire établi conçu pour un bon fonctionnement institutionnel.

  3. Le sentiment d’insécurité ou plutôt ici,ce que nous nommons le « sentiment de violence » résultant des deux composantes précédentes mais provenant également d’un sentiment plus général dans les divers milieux scolaires de référence.

La sanction grave, l’exclusion définitive de l’école à l’encontre d’un élève n’a jamais été prise après, par exemple un torrent d’injures vociféré par un jeune énervé envers le professeur. La décision de sanction grave envers l’élève survient après des violences physiques sur d’autres élèves ou contre le professeur pour 19 enfants. L’accès de violence est aggravé dans six cas par l’utilisation d’un objet contondant : menace avec un couteau ou plus souvent, utilisation de matériel scolaire à des fins d’intimidation (par exemple, une paire de ciseaux). Un préadolescent a été exclu pour une agression sexuelle. Deux enfants ont beaucoup inquiété par leur comportement bizarre : inhibition, le fait de soliloquer, isolement, idées de persécution et pour un d’entre eux mime de l’acte sexuel. Les actes commis sont inadmissibles dans l’enceinte de l’institution scolaire, ils peuvent choquer et donner une image très négative de l’école. Leur dénonciation stricto sensu montrerait la facette explosive d’un système d’éducation qui n’aurait pas de maîtrise sur des élèves difficiles. La survenue jugée trop fréquente d’actes violents intrascolaires peut être comprise autrement : l’orientation dans le circuit ordinaire a été le résultat d’une décision par défaut. Par exemple, impossibilité de trouver une place en internat, déni et banalisation des troubles du comportement de l’enfant par ses parents, absence de soins psychologiques, refus de la famille pour une autre orientation.

L’acte violent et le contexte de sa survenue

L’acte violent est l’aboutissement d’une série de faits répétés avec une aggravation progressive (la majorité des cas), ce comportement au sein de l’école peut se cumuler avec des faits de délinquance extrascolaires (vols, dégradations, fugues). Ainsi la violence ne surprend pas, elle s’inscrit dans une trajectoire de vie déjà repérée comme des troubles des conduites. Pour cinq enfants, les accès d’hétéroagressivité s’accompagnent de conduites à risques (ils se mettent en danger) et quelquefois d’autoagressivité (scarification sur le corps). L’enfant peut souffrir de troubles patents de la personnalité mais surtout, tous les enfants étudiés dans cette cohorte présentent une instabilité motrice plus ou moins prononcée, souvent associée à une instabilité psychique (excitation, inattention,manque de concentration) qui engendre ou va de pair avec l’agressivité. Ainsi tous ces enfants sont regardés depuis longtemps comme potentiellement violents dans leurs manières de communiquer,le passage à l’acte plus grave, plus spectaculaire arrive comme un défi qui confirme une mauvaise estime de soi et peut être des autres. La crise clastique isolée (trois enfants) surprend tout le monde : l’enfant hors de lui, s’agite, lance des objets,la dangerosité est au premier plan, elle est aveugle. L’enfant a pu être débordé par une crise d’angoisse dont la signification, le déclenchement peut rester inconnu,incompréhensible. Nous faisons l’hypothèse que certains enfants dont le niveau d’apprentissage trop faible (un obstacle à leur intégration dans le groupe de leur classe) ont des journées longues de souffrance, de vide. La pauvreté fantasmatique, l’ennui pourraient expliquer les crises clastiques des enfants trop « isolés » et renfermés en déphasage avec l’atmosphère scolaire.

Les apports de la psychanalyse pour comprendre la violence

Les psychanalystes ont tenté de distinguer agressivité et violence. A. Freud [8, 9] parlait, dans La théorie de la frustration, de l’agressivité comme d’une fonction du Moi ; l’enfant réagirait agressivement lorsqu’un désir instinctuel n’est pas satisfait ou est contrarié par l’intervention de l’environnement. Winnicott [18] distingue l’agressivité, force de vie nécessaire au développement, et les comportements antisociaux (en rapport avec des carences affectives dans l’environnement). En 1984, R. Diatkine postulait que la violence et l’agressivité étaient des concepts interactifs qui n’ont de sens qu’en terme d’un sujet interactif et d’un objet qui subit une attaque. Il suggérait de qualifier d’agressif tout mouvement (agi ou représenté) qui cherche à détruire un personnage ayant une signification positive pour le sujet ; aujourd’hui la différence est plus tranchée entre agressivité et violence. L’enfant contient son agressivité et peut l’orienter au bénéfice du Moi qui s’investit de curiosité : cet équilibre vacille quand le Moi devient trop excitable, proche de la désorganisation psychique, trop forte excitation qu’il va essayer de sauver par une décharge d’énergie dans un passage à l’acte. Ainsi le risque est grand d’une bascule de l’agressivité vers la violence à la moindre frustration (rappel à l’ordre par exemple). L’enfant peut projeter une image identificatoire paternelle sur la personne du professeur qui représente la loi. Dans ce mouvement d’identification, l’enfant avec un Moi faible face à son propre bouillonnement pulsionnel dû à l’état d’excitation supporte peu ou pas la frustration qui vient du professeur. De Zulueta [3], dans la continuation de Bolwby [2] sur les troubles de l’attachement, met en corrélation la violence des adultes et leur enfance perturbée par les séparations et la survenue de traumatismes psychiques graves (abus sexuels, enfants battus). Le livre de De Zueleta, De la souffrance à la violence, illustre le chemin parcouru par beaucoup d’enfants de notre groupe.

Classification syndromique de la souffrance psychique : quels liens de causalité avec l’anamnèse ?

L’instabilité psychomotrice est le symptôme central majeur avec une évolution par phases entrecoupées de moments d’inhibition, d’équivalents dépressifs. D’autres manifestations conjointes sont fréquentes : intolérance à la frustration,troubles des conduites. L’instabilité et la violence ont pu débuté dans la petite enfance (agitation,troubles du sommeil, exclusion de la crèche pour un acte dangereux). L’anamnèse de la petite enfance fait écho aux perturbations psychiques constatés dans la période de préadolescence : séparations mère/enfant longues de plusieurs mois, les sévices physiques et sexuels ne sont pas rares ; dans la famille, l’enfant a pu être témoin de violences conjugales. Plus nous avancions dans l’étude de la violence scolaire, plus s’imposait cette évidence pour beaucoup d’enfants d’un lien causal entre carences et/ou traumatismes psychiques dans la petite enfance et instabilité psychomotrice et psychique. L’accumulation de données cliniques sur tous les enfants est venue tempérer cette tendance à expliquer la violence à l’école de l’enfant par l’histoire brisée de sa petite enfance. D’autres pathologies spécifiques ont été diagnostiquées chez des enfants violents et sans antécédents de carences ou traumatismes comme l’hyperactivité et deux syndromes psychotiques.

Instabilité et troubles associés non psychotiques

Les conduites asociales de l’enfant déprivé ont été décrites par D.W. Winnicott [18] et par Bolwby pendant la Deuxième Guerre mondiale chez les enfants séparés de leur mère. Le premier article de Bolwby en 1944 [1], « L’influence du premier environnement dans le développement des troubles du caractère » en est une illustration. Avec l’étude des conséquences psychotraumatiques, nous observons que le traumatisme va aggraver la détresse de l’enfant, qui se renferme, reste en retrait ou s’agite. Ou, de façon plus explicite, la scène traumatique va se rejouer dans un scénario identique ou proche, en particulier il y a ce risque pour les victimes d’agressions sexuelles [12, 17].

Cas cliniques

Jonathan

Agé de 13 an, placé depuis neuf ans dans une famille d’accueil, il a été exclu de l’école pour agression sexuelle sur un jeune. Il commet des actes impulsifs (allume des incendies, vole, a cassé le nez d’un camarade). Durant sa petite enfance, il a été placé en famille d’accueil à l’âge de trois ans après un séjour en pouponnière. La mère alcoolique, vient peu lui rendre visite, le père ne donne plus de ses nouvelles. Le contexte familial était très violent : le père condamné à un an de prison, battait la mère, aurait violé la petite sœur (âgée de neuf ans) quand Jonathan était âgé de trois ans. Très déprimé, l’enfant est agité, il détruit les objets et se met en danger.

Nabil

Âgé de onze ans, il est violent et agressif avec ses camarades ; il a toujours été instable et inattentif. À la naissance, il est placé pour un an en pouponnière, puis élevé par ses grands-parents de un an à trois ans. Considéré comme trop agité, il est rendu à sa mère. La mère délirante mystique a une relation fusionnelle avec son fils. L’école exige de la mère une consultation psychiatrique pour Nabil. Toutes les demandes de l’école restent sans suite et sont désamorcées par un absentéisme fréquent : une réponse en forme de fuite orchestrée par la mère face aux périodes de tension intrascolaires dues aux troubles de l’enfant.

Ces deux histoires de vie sont significatives de la majorité des enfants instables et agressifs dont le nombre est de 19 sur 24 dans notre étude. L’enfant a pu être très bien toléré à l’école maternelle, et au passage à l’école primaire l’agitation dérange la classe dont les règles de fonctionnement sont strictes. L’instabilité devient plus visible et la force physique de l’enfant peut impressionner par son potentiel de dangerosité. L’école est un espace organisé où on demande à l’enfant une maîtrise de son corps : la règle consiste à rester assis sans bouger pendant le cours. N. Ramognino et al. [15] parlent de « L’exercice de la contrainte des corps dans les activités pédagogiques ». Pour l’enfant instable, l’exigence scolaire qui consiste à rester tranquille relève de la pure provocation ; ainsi un aménagement partiel des tâches à effectuer pourra aider à une meilleure relation entre ces élèves et le professeur. Ces enfants en grande souffrance se montrent en entretien individuel aussi bien agités que très dépressifs (par exemple amorphes sur leur chaise). L’angoisse suscitée par leur comportement déviant à l’école a pu être amplifiée par des propos excessifs des professeurs, par des marques de moqueries ou de rejet des camarades. Le mouvement d’amplification allant crescendo, l’enfant agité est stigmatisé par le groupe, si personne n’intervient pour rétablir une atmosphère sereine, l’enfant sera injustement désigner à un moment ou à un autre par des paroles empruntées au registre de la « folie ». Ainsi l’enfant turbulent suscite dans l’entourage des contre-attitudes négatives, le consultant spécialisé n’en est pas exclu : par exemple devant la persistance des troubles du comportement, le mot de psychose peut être prononcé trop rapidement. Nous pouvons dire que ces enfants n’ont pas de troubles psychotiques si l’on fait référence à leur structure psychique, bien que les manifestations cliniques peuvent se confondre sur le plan phénoménologique avec des symptômes psychotiques [13]. Dans le cadre thérapeutique, nous verrons qu’en relation duelle ces enfants en grande souffrance sont capables de s’ouvrir à la communication (sortir du retrait, être en syntonie avec l’atmosphère de la consultation), se calmer et montrer des signes tangibles de plasticité psychique nécessaire à une véritable adaptation sociale.

Instabilité sans troubles associés : hyperactivité

Trois enfants âgés de douze ans répondent aux critères diagnostiques du trouble « déficit de l’attention/hyperactivité ». Ces trois élèves vivent dans un milieu familial affectif chaleureux et stable. L’agitation continue ou cyclique n’a jamais été clairement énoncée. Ces postures du corps opposées (amorphe ou bouge tout le temps) s’observent fréquemment sur le long terme. À l’école, lieu où l’élève passe beaucoup de temps, les principaux symptômes sont facilement repérés : l’inattention, l’instabilité, l’impulsivité.

  • Par exemple, Loïc ne tient pas en place dans la salle de classe, il se lève,déambule dans la rangée, parle et ses bras s’agitent dans tous les sens. Il provoque les autres, ricane, peut se saisir d’un objet et le jeter au hasard, ainsi il a jeté une paire de ciseaux en direction d’une élève. Ce geste qu’il regrette a été sanctionné par une nouvelle exclusion. Les trois élèves hyperactifs ont été reçus en consultation, les entretiens psychologiques ont amené après plusieurs séances une amélioration des troubles du comportement pour deux d’entre eux. Pour Loïc, la persistance de l’excitation nous a orienté vers un traitement médicamenteux : il a été prescrit du méthyl phénidate les jours de classe (voir le débat organisé par M. Grappe et B. Welniarz en 1998 [11]). Pour ces enfants en échec scolaire, la réussite du traitement psychologique ou médicamenteux a été suivi par une progression rapide de leurs acquis scolaires,le changement comportemental même imparfait, en fait des élèves comme les autres pour les professeurs.

Instabilité et troubles psychotiques

Les troubles graves de la personnalité ne sont pas toujours diagnostiqués pour les enfants scolarisés : l’inhibition, le retrait social, le sentiment d’étrangeté peuvent cohabiter avec une pseudo-adaptation scolaire. L’école trop tolérante ou confrontée au déni de la famille n’arrive pas à imposer une prise en charge en pédosychiatrie. Un état de crise avec des symptômes alarmants va rompre ce refus de reconnaître la souffrance de l’enfant. L’intégration forcée ou tolérée de l’enfant, inadéquate pour l’institution vole en éclats par exemple face à un comportement inquiétant, des gestes dangereux ou menaçants, incompréhensibles.

  • Philippe, âgé de neuf ans était prostré le jour de son intégration dans sa nouvelle école, une attitude nommée timidité. Devant l’insistance des parents qui venaient de déménager, Philippe est scolarisé à temps plein. Les enseignants parlent toute de suite d’enfermement serré, Philippe reste à distance des autres pour se défendre d’éléments persécutifs, l’inhibition intellectuelle est sévère.

Pour le père, le retrait de l’enfant est qualifié de paresse, de manque de volonté, ainsi le déni de la souffrance de l’enfant vient légitimer tout refus d’aide psychologique. En quelques semaines, tout s’aggrave, par exemple Philippe accuse les élèves de le perturber, il se montre menaçant. Dans ce contexte de grande souffrance, Philippe présente trois crises clastiques qui vont effrayer élèves et enseignants de l’école et nécessiter une intervention en urgence suivi d’une hospitalisation en pédopsychiatrie. Philippe a pu être soigné en milieu spécialisé et devrait être orienté en hôpital de jour.

Développement psycho-intellectuel et acquis scolaires

Chaque enfant est scolarisé en moyenne dans une classe de niveau en décalage de deux ans en dessous de la norme due à son âge réel, ainsi il est habituel qu’un enfant de 11 ans soit en CE2 ou en CM1. Un examen plus approfondi des acquis scolaires en lecture et en calcul pour chaque enfant correspond rarement au niveau traditionnel exigé par la classe fréquentée. Ainsi nous constatons ce que nous appellerons un « double déphasage » l’enfant n’est ni dans sa classe d’âge ni dans sa classe de niveau d’apprentissage. Les tests psychologiques de niveau (Wisc-R) complètent notre connaissance du profil psycho-intellectuel des enfants :

  • Les enfants hyperactifs ont un bon niveau aux tests verbaux et aux tests de performance.

  • Les enfants avec des troubles psychiatriques ont un niveau un peu inférieur à la norme, la faiblesse des acquis peut s’expliquer par une non participation à la classe, par une inhibition intellectuelle ou par un parasitage de la pensée par des idées délirantes.

  • Les enfants instables avec des troubles associés ont des niveaux moyens ou faibles aux tests avec de grosses difficultés en expression verbale (dues en partie au milieu familial).

Les tests psychologiques sont concordants dans leur appréciation des aptitudes de l’enfant avec l’impression que l’enfant produit à l’école dans son échange de compétences avec le professeur. Les enfants hyperactifs sont entravés dans leur efficience par leur trop grande excitabilité : par exemple leur sensibilité aux stimuli extérieurs les détourne en quasi permanence de la possibilité d’un travail appliqué. Néanmoins ils montrent des compétences immédiates, rapides : ils sont capables très souvent de répondre à une question avec un raisonnement correct, de faire une tâche avec une application fugace. L’amélioration des troubles de l’attention confirme toujours le bon niveau psychointellectuel sous-jacent à l’instabilité psychique. Pour les enfants souffrant de troubles psychiatriques,les apprentissages scolaires seront proposés dans un cadre de soins institutionnels à la mesure des progrès thérapeutiques. Pour les enfants instables, carencés,la prise en charge est complexe et difficile : il faut reconnaître que les difficultés sont sociales, scolaires et psychologiques chez un enfant dont l’âge est celui de la préadolescence. Sur le papier, le projet idéal est une remise à niveau des connaissances de base, mais dans la réalité, comment convaincre ce préadolescent de l’intérêt de « réapprendre à lire » ? Pour les soins psychologiques, nous proposons une réflexion tirée de notre pratique nouvelle très différente des enseignements habituels qualifiant la relation de psychothérapique.

Propositions thérapeutiques

En entretien individuel avec des préadolescents instables et en échec scolaire grave, l’installation d’une relation duelle ne va pas de soi, très souvent c’est l’ennui et l’irritation qui dominent de part et d’autre. Par exemple : l’enfant tourne la tête, regarde ailleurs, marmonne quelques mots inaudibles ou reste debout, bouge dans la pièce et touche tous les objets. Quelques dessins réalisés par ces enfants nous ont aidés à mieux comprendre la profondeur de leur angoisse.

  • Pierre : accepte de dessiner, il choisit un crayon noir très gras et rageusement remplit toute la feuille puis s’arrête après avoir trouer le papier. Pierre est affalé sur le bureau, il attend le mot qui va le libérer du cauchemar de cette situation duelle. Je lui dis : la prochaine fois, je t’aiderai et puis essaie d’être assis confortablement face au bureau, tu seras plus à l’aise.

  • Joanna : après un moment de va-et-vient dans la pièce, toujours mutique, semble s’intéresser à la peinture. Elle se calme et se met à peindre toute la feuille en utilisant plusieurs couleurs. De grandes tâches sans forme et très colorées (rouge, vert foncé, marron) couvrent toute la surface du papier.

L’expression graphique est une projection sur le papier de la souffrance psychique de l’enfant. Les couleurs vives, criardes,sombres montrent la détresse, l’angoisse et l’agressivité dans un monde mental peu structuré. La non figuration, l’absence de formes, de contours dans le dessin objective les difficultés de l’enfant à penser, à se représenter le monde, à fantasmer. Pour l’enfant, l’accès à la pensée est brouillé par une incapacité partielle à se représenter le monde en images visuelles : des productions spatiales avec un fond, une forme, des contours.

La pensée en images

Le débat sur l’imagerie mentale [6] nous amène à présenter l’expérience du professeur S. Kosslyn, psychologue inventeur de l’île imaginée. La petite île est isolée au milieu d’une mer fictive, elle ne contient qu’un arbre, un lac,une colline, un buisson, un rocher et une cabane. Ce petit bout de terre virtuelle, que nul n’a jamais vu, a pourtant servi à trancher un débat essentiel sur la nature de la pensée : les idées sont-elles faites d’images ou de mots ? Peut-on penser en images ? S. Kosslyn a donc eu l’idée de réaliser l’expérience suivante. Il propose à des sujets de bien observer l’île et d’y mémoriser chacun des six éléments qui s’y trouvent (l’arbre, le lac, la colline, le buisson, le rocher et la cabane) ainsi que leur localisation. Puis, ayant retiré la carte de sous leurs yeux, il demande ensuite de visualiser tour à tour le lac, l’arbre, le puits, le rocher, etc. et d’appuyer sur un bouton quand ils se les représentent bien à l’esprit. Or, l’expérience montre que le temps mis pour passer mentalement d’un élément à l’autre (du lac au rocher ou du lac à l’arbre) est proportionnel à la distance qui les sépare. Autrement dit, tout se passe comme si le sujet se déplaçait en pensée d’un point à l’autre. L’image mentale ne serait-elle pas une sorte de reproduction de la carte ? Et si on lit cette carte mentale comme une carte réelle, n’est-ce pas, affirmera S. Kosslyn, parce que les images mentales sont des supports à la pensée ? Les images mentales seraient donc une des formes courantes que prennent nos idées. Voltaire l’avait déjà énoncé dans son Dictionnaire philosophique : « Qu’est-ce qu’une idée ?

  • C’est une image qui se peint dans mon cerveau.

  • Toutes vos pensées sont donc des images ?

  • Assurément ; car les idées abstraites ne sont que les filles de tous les objets que j’ai aperçus.

Je n’ai d’idées que parce que j’ai des images dans la tête. » Dans la lignée de G. Bachelard et C. Jung, un courant de recherche sur l’imaginaire très fertile se constituera, principalement autour de l’œuvre de Gilbert Durand [7]. Tous ces courants de pensée forment une constellation qui partage une même conception de l’imaginaire, en partie héritée de l’esprit romantique. Cette vision commune repose sur deux idées-forces :

  1. L’imaginaire s’exprime dans le monde des rêves, des fantasmes, de la fiction, la création artistique, les mythes, contes, légende, utopies et fantasmagories de toutes sortes.

  2. Le langage de l’imaginaire n’est pas celui de la raison. Il repose sur un mode de pensée qui lui est propre : celui des images, des métaphores, des analogies et des symboles.

Ainsi l’image mentale, visuelle, spatialisée est un socle, un soubassement à la pensée, à l’imaginaire, comment aider l’enfant à restaurer, à construire dans sa tête ce monde visuel, spatial, ce nécessaire support à la pensée ? Peindre, dessiner, colorier à partir de tableaux très expressifs (l’expressionnisme allemand), a été la technique utilisée pour convaincre l’enfant de l’aspect positif de cette démarche dirigée vers une redécouverte du plaisir à penser.

Construire une relation duelle en utilisant le graphisme, la peinture

L’expressionnisme allemand dans la peinture : la fondation de la communauté d’artistes Die Brücke (le pont), en 1905, la publication par Kandinsky et Marc de l’Almanach du Cavalier bleu en 1912, consacrent la rupture de la jeune peinture avec le naturalisme et l’impressionnisme. Les artistes de la Brücke appliquent la matière picturale en surfaces planes, non modelées, faites de couleurs pures, dont la force expressive ne respecte pas plus l’illusion de la perspective que les contours de l’objet, et se rapproche ainsi dangereusement de l’œil spectateur [14]. Esthétiquement, la vision intérieure se substitue au primat de l’apparence optique. Projetée sur l’extérieur la peinture allemande veut imposer dans l’art une vérité occultée dans la réalité, une vision synthétique où surgit l’expérience vécue. Chevaux bleus ou jaunes, corps verts, paysages rouges, espaces convulsifs, échelles perverties ; pour les peintres de la Brücke le tableau doit être un choc, une brûlure. Ce qu’ils trouvent dans les cultures qu’on disait encore primitives c’est, sous l’illusion de l’innocence et de la spontanéité, d’autres encouragements à transgresser. On les imagine faisant cette confession de Gauguin : « je suis un enfant et un sauvage ». Les couleurs sont fortes, attractives pour l’enfant, les formes semblent simples presque rudimentaires, les courbes, les lignes droites sont épaisses, appuyées, rien de sophistiqué dans le trait, le fond (homogène) qui pourrait rebuter l’enfant. La consultation en pédopsychiatrie se veut positive : il doit se passer quelque chose ; les crayons, le pinceau sont en attente d’un geste qu’il faut obtenir de l’enfant. Nous lui présentons les tableaux les plus expressifs. Que l’enfant soit agité ou en retrait son regard est attiré par les couleurs, le paysage. Ce moment où l’œil se pose sur le tableau est approprié pour contenir l’enfant dans l’espace de la consultation : être assis en face du thérapeute, poser sur le bureau une feuille blanche, les crayons de couleurs sont là. Trois tableaux sont choisis régulièrement dans cette activité que nous voulons prolonger à un moment ou à un autre par un échange, un dialogue : – De Marianne von Werefkin : Climat tragique, des rouges, des bleus, une cabane, une femme préoccupée, seule, inquiète. – De Gabrielle Münter : Paysage au mur blanc, de belles couleurs, montagnes, arbres, et maisons représentent un univers enfantin. – De Ernst Ludwig Kirchner : Marzella, une jeune fille nue, les jambes croisées dont le dessin est fait de traits épais, presque géométriques. L’enfant prend un crayon, tente une ébauche de ligne droite, de courbe, obtient une forme ou passe directement au coloriage du fond. Il se plaint que c’est dur, que c’est long, puis, encouragé, continue. Si c’est trop angoissant ou inadapté à ses capacités d’attention, l’enfant ressent de la frustration. En cas d’échec, nous proposons de dessiner en spéculaire : je dessine une maison, un bonhomme, il essaie de faire pareil. De séance en séance, l’enfant investit l’activité picturale, il s’améliore, de temps à autre nous regardons ses productions plus anciennes. Un dialogue, une certaine confiance s’installe autour du thème des couleurs, des formes. Plus nous progressons, plus la dimension spatiale du graphisme l’emporte sur le coloriage : l’enfant commence à être capable d’accepter lui-même de critiquer un trait mal fait. Le thérapeute au vu des progrès de l’enfant (qui structure mieux l’espace), ressent un apaisement, une préoccupation moins grande à contenir l’enfant dans cette activité de dessin. L’enfant signifie son mieux-être par de la curiosité : il pose une question. L’on peut parler d’atmosphère psychothérapique quand le thérapeute quitte le langage descriptif : qu’est-ce que c’est ? pour un langage métaphorique : à quoi cela te fait penser ?

Conclusion

Les actes de violence commis dans l’enceinte scolaire le sont en très grande majorité par des garçons, qui sont-ils ? Une analyse sémiologique précise aide à mieux comprendre leur souffrance : les enfants psychotiques et hyperactifs pourront être pris en charge sur un mode spécifique ; les enfants victimes de carences, de violences sont la préoccupation essentielle de par leur nombre et le risque élevé d’une bascule dans la délinquance vers des actes plus graves. B. Gibello [10] a déployé un énorme travail pour montrer toutes les failles du raisonnement, de la logique et du fonctionnement psycho-intellectuel de tels enfants. Nous avons emprunté un chemin plus général, une vision plus globale pour leur venir en aide : rétablir, face au retrait, à l’excitation psychique, la possibilité d’une relation authentique soutenue par une pensée, de la curiosité, des désirs. Cette démarche d’instauration d’un lien de confiance avec l’enfant souvent épuisé par d’innombrables tentatives, nous l’avons pensé, structuré autour d’une activité habituelle de l’enfant : le dessin et la peinture. La technique proposée est la reproduction de tableaux où l’espace plan est caractéristique et les couleurs pures, avec l’hypothèse d’intéresser l’enfant à ce travail. Le tableau et la feuille sur laquelle dessine l’enfant constituent un ensemble très spatialisé et, en même temps, existe une image mentale de cette reproduction, une image qui vient animer la pensée et supporter les fantasmes. Réussir un tel projet va de pair avec le fait que l’enfant soit accueilli dans un milieu protégé, adapté aux problèmes de souffrance psychologique, l’idéal étant un internat thérapeutique.

Références

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