Numéro
Perspectives Psy
Volume 45, Numéro 1, janvier-mars 2006
Page(s) 66 - 67
Section Dossier
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2006451066
Publié en ligne 15 janvier 2006

La que-stion des troubles du comportement, de l’agressivité et la violence chez l’enfant et l’adolescent est d’actualité. Les événements survenus en décembre 2005 dans les banlieues françaises où de très jeunes adolescents ont incendié des voitures, des écoles et défié les forces de l’ordre ont fait la une des médias tandis que les professionnels protestaient contre les conséquences d’un projet de loi de sécurité inspirée du rapport Benisti. Les pédopsychiatres dans leur majorité n’ont pas plaqué de discours psychopathologique sur les « émeutes » mais ils sont impliqués dans une réaction citoyenne et professionnelle en voyant les amalgames possibles entre la prévention précoce de la délinquance et le risque d’atteinte au secret professionnel. Par ailleurs, une expertise de l’INSERM sur les troubles des conduites réalisée à la demande de la CANAM (Caisse d’Assurance Maladie des Travailleurs indépendants) a suscité d’importantes réactions tant chez les pédopsychiatres que chez les professionnels de l’enfance. Une pétition (« pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ») a réuni plus de 122 000 signatures en moins de deux mois. Les recommandations promulguées par ce texte s’engagent sur un terrain politique rejoignant les directives ministérielles controversées, pouvant donner ainsi une pseudo caution scientifique à des pratiques qui pourraient s’avérer discriminatoires.

À côté des réactions passionnées et de l’amalgame politique, abordons une lecture critique de l’expertise de l’INSERM. Il convient tout d’abord de distinguer 3 textes : le document global qui regroupe une bibliographie internationale, le communiqué de presse de 10 pages dont la rédaction accumule les conclusions rapides et les raccourcis hasardeux, et une synthèse de 60 pages qui a les défauts du communiqué de presse sans avoir les avantages de la publication intégrale. C’est sur ces deux derniers documents que la plupart des réactions, dont celles des médias, se sont basées. L’ensemble des travaux retenus par le groupe d’experts contient des données intéressantes sur certains thèmes de travail : attachement, dépression postnatale… Néanmoins, les principales critiques qu’on peut faire à ce rapport sont méthodologiques : il se réfère essentiellement au diagnostic de Trouble des Conduites (TC) selon la définition qu’en donne le DSM-IV et il étudie uniquement les publications médicales statistiques entrant dans la catégorie de la médecine basée sur des preuves (EBM). Ce serait acceptable si l’expertise limitait ses prétentions à une étude bibliographique orientée EBM et ne prétendait pas tirer de conclusions. En effet, le diagnostic DSM-IV de TC est essentiellement descriptif ; or le phénomène étudié se situe au carrefour de la psychiatrie, de la psychologie, et des sciences sociales (sociologie, anthropologie).

Cette critique est d’autant plus fondée que, si l’on se réfère à la CIM-10, le diagnostic de TC est un diagnostic d’exclusion : « Les caractéristiques d'un trouble des conduites peuvent être symptomatiques d'une autre affection psychiatrique ; dans cette éventualité, ce dernier diagnostic doit être codé ». En ne prenant en compte que les critère DSM-IV, l’expertise de l’INSERM érige cette catégorie en diagnostic principal, reléguant ainsi au rang de comorbidité les troubles psychiatriques entraînant une souffrance psychique chez le sujet (anxiété, dépression, etc.). Dans le rapport, il est dit à plusieurs reprises que ce diagnostic existe dans la CFTMEA, ce n’est pas complètement faux mais c’est loin d’être vrai. Dans la CFTMEA il y a bien un sous-chapitre : « 7.78 Troubles des conduites non spécifiés » (correspondant au Trouble des conduites, sans précision [F91.9] de la CIM 10) mais, dans cette classification française, le chapitre Troubles des conduites et du comportement ne recouvre en aucune façon le diagnostic DSM-IV de trouble des conduites. Le diagnostic CFTMEA le plus proche est la pathologie limite à expression comportementale, qui est un diagnostic structurel et non descriptif. Le rapport, loin de se contenter de ne représenter qu’une métanalyse de la bibliographie internationale indexée, érige en recommandations la synthèse de cette bibliographie qui est, rappelons-le, limitée non seulement dans le champ des connaissances en sciences humaines, mais aussi dans celui de la médecine. Nous pouvons à juste titre nous monter sceptiques sur la légitimité de ces recommandations qui n’ont pas été recueillies dans le cadre d’une conférence de consensus par exemple. Certaines recommandations semblent « innocentes » comme, par exemple, préconiser la réalisation d’études épidémiologiques sur le sujet. Mais d’autres sont inacceptables et coupées de la réalité : repérage précoce des futurs délinquants potentiels, inscription des conduites déviantes sur le carnet de santé, application de programmes comportementalistes, méconnaissance et mépris du travail déjà fait sur le terrain par les CMP et CMPP (cf « Il faudrait créer des lieux de parole pour les enfants et leur famille »). Néanmoins, malgré les défauts méthodologiques et l’irrecevabilité des recommandations de l’expertise de l’INSERM, le climat politique dans lequel elle est publiée il ne faudrait pas réfuter l’ensemble des données et études qu’elle rapporte. En un mot il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain car cette eau n’est pas à notre goût. L’étude bibliographique, si on la lit avec un regard critique mais ouvert, a le mérite de rendre compte de façon objective de résultats de recherches cliniques, thérapeutiques et préventives. Libre à nous ensuite de nous faire notre propre opinion sur ces données et sur la méthodologie qui a permis de les obtenir. Il semble que, une fois encore (troubles mentaux, autisme…), la synthèse ou le communiqué de presse accompagnant les publications de l’INSERM en pédopsychiatrie aient réussi à détourner le public des résultats scientifiques présentés. Pourquoi ? Tout simplement en raison de leur présentation péremptoire et de leur prétention à une exhaustivité alors qu’elles n’abordent qu’une partie du champ des connaissances. Et, cela devient une habitude, c’est le domaine de la psychopathologie et le courant psychodynamique qui sont exclus. La psychanalyse est ignorée. En réunissant ce dossier « Troubles du comportement chez l’enfant et l’adolescent », nous n’avons d’autre ambition que de donner quelques aperçus forcément limités de ce vaste champ clinique. Fidèles à la tradition de Perspectives Psy, nous ne nous limiterons pas à « l’Evidence Based Médecine » et nous proposons des textes venus d’horizons variés dont nous espérons qu’ils pourront être utiles non seulement à la réflexion du citoyen, mais aussi à la pratique des cliniciens de terrain.


© EDK, 2010

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