Numéro
Perspectives Psy
Volume 44, Numéro 3, juillet-septembre 2005
Page(s) 188 - 191
Section Dossier
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2003443188
Publié en ligne 15 juillet 2003

© EDK, 2010

La question du passage à l’acte impulsif est habituellement décrite en psychopathologie par des termes tels que « absence de mentalisation », « absence d’élaboration », « court-circuit psychique », etc., d’où il s’ensuit une impossibilité du travail psychothérapique. Pour comprendre ces termes négatifs, nous nous sommes appuyés sur certains autres travaux. Le travail d’Ernest Barratt, rapporté par Franck Bayle et Jean Pierre Olié, cite comme définition de l’impulsivité un comportement agi impulsif en rapport avec des pensées et des processus idéo-affectifs eux-mêmes impulsifs. La question de la pensée qui intervient ici nous a entraîné à nous interroger plus avant : estelle en contradiction avec l’absence de mentalisation vue plus haut, ou lui est-elle finalement compatible ? Il apparaît en fait que la corrélation entre impulsivité et défaut d’aptitude verbale -étudiée au moyen de tests et de travaux neuro-comportementaux est en réalité au centre des apports de Barratt. Ce qui veut dire que la pensée impulsive serait la pensée de l’acte, la préfiguration de l’acte très brève, dans l’impulsivité, et non pas le fantasme. Cette pensée impulsive se conçoit comme un trouble de l’attention où tout stimulus, interne ou externe, entraîne une modification brutale de l’intérêt principal chez le sujet et la dérivation vers un autre intérêt. Il n’y a donc pas de réponse à : qu’en est-il de la pensée par rapport à l’impulsivité ? Pourtant, dans notre interrogation, l’observation de Maurice nous a posé problème étant donné l’accès à des souvenirs infantiles traumatisants chez un enfant dont on savait par ailleurs qu’il avait été, lui-même ou sa fratrie, d’abord maltraité et ensuite placé. L’accès à ces souvenirs et le déclenchement de comportements impulsifs n’ont pas permis pour autant de travailler sur ces souvenirs. L’accès à la relation s’est placé en dehors, plutôt par rapport à la dépression associée. Pour sortir de la question de l’absence de pensée et de fantasme, nous avons trouvé une ouverture dans le texte psychanalytique d’Annie Birraux intitulé Clivage et passage à l’acte à l’adolescence, qui conclut sur la phrase suivante, porteuse de promesses : « Une de nos perspectives cependant dans la recherche que nous menons sur les jeunes adultes criminels nous oriente vers l’idée d’une réintroduction fulgurante, dans le moi-plaisir clivé, d’une représentation que celui-ci réprouve incestueuse, parricide ou quelquefois plus archaïquement auto-érotique. L’effet de cette représentation est de balayer de manière cyclonique un équilibre topique précaire, de shunter les mots qui pourraient en rendre compte et, dans ce court-circuit de la parole, d’autant plus facile qu’elle n’était pas beaucoup investie, de réactualiser l’éprouvé d’une négociation archaïque : moi ou l’autre ». Ici, il est question de représentations même si cela n’ouvre pas forcément à la facilité du travail psychothérapique dans de tels cas.

Présentation de deux observations

Deux observations cliniques vont nous permettra d’illustrer nos réflexions.

Le cas de Michel

C’est celui d’un jeune homme de 19 ans qui présente un épisode psychotique aigu au cours du service militaire. Des troubles des conduites avec passages à l’acte impulsifs (fugues, colères, menaces, prise occasionnelle de haschich) existaient depuis 2-3ans environ. Ce jeune homme est donc hospitalisé dans un service de psychiatrie. Les entretiens se font toujours en présence de la mère au cours de l’hospitalisation. Michel refusait toute autre forme d’abord du moins au début. Nous verrons qu’ensuite le travail peut être plus différencié. Il apparaît que l’épisode psychotique aigu s’est déclenché dans le contexte du décès du beau-père, deuxième mari de la mère, par overdose, entraînant l’effondrement de la place de père-copain, de double, que cet homme occupait pour Michel. Par ailleurs, des événements graves sont survenus au cours du service militaire. En effet, deux appelés venaient de mourir, l’un d’un effort sportif violent, l’autre d’hydrocution, sous ses yeux nous dit-il. Michel croit alors être livré au sadisme supposé des supérieurs. « Jamais deux sans trois », il croit être le troisième à mourir. Il déserte et recherche appui et protection dans un monde presque imaginaire auprès d’une jeune fille connue en vacances, idéalisée, et qu’il aura bien du mal à retrouver. Cette recherche se solde par un échec. Il s’ensuit une errance de plusieurs jours, avant une éclosion délirante dont le thème est « le Christ rédempteur », nouvelle identité délirante mégalomaniaque de Michel. En outre, il présente un état d’excitation, et peut-être la facilitation ancienne au passage à l’acte entraînet-elle tant la réitération de menaces que la peur de l’entourage. Un tel épisode délirant se reproduira trois fois en quatre ans et pourtant l’évolution, après 10 ans maintenant, est celle d’une « normalité». Par ailleurs, les troubles des conduites avec impulsivité ont totalement disparu dès le premier épisode délirant. Cet étrange traitement mère-fils, à cet âge, a peut-être aidé à la reconstruction et à l’abord d’une histoire infantile marquée dramatiquement par la maltraitance paternelle. Dès la naissance, Michel vomit et ne grossit pas, la mère est anxieuse et déprimée, elle ne peut s’occuper continuellement d’un enfant exigeant, contraignant et qui l’inquiète en même temps. Des discontinuités d’investissement maternel sont très tôt présentes, comme dans l’enfance du psychopathe décrite par Hochmann. La maltraitance paternelle s’est exercée apparemment sur les trois autres frères. Michel semblait à part, le seul à ne rien subir, prolongement du père qui l’asseyait à ses côtés pour assister à de véritables scènes de tortures : violence physique, menaces de mort sont évoquées, et surtout la scène répétitive où le père suspend un enfant dans le vide et menace de le laisser choir. C’est le besoin moteur et impulsif de fuir ces scènes qui se trouve répété dans les fugues et la désertion, et dont il retrouve le souvenir. Peut-être l’absence de maltraitance physique, ou encore la possibilité qu’il eut de fuir, ont-elles permis une pensée sur ces actes de maltraitance, et la verbalisation effective bien des années après. La répétition de conduites impulsives, elle, était apparue avant que soient possibles cette remémoration et cette élaboration. Tous ces souvenirs sortent peu à peu de l’ombre car Michel ne disait rien jusquelà, ne pouvait rien dire selon lui. « Jamais deux sans trois », car trois frères étaient maltraités et il s’identifiait tant à l’agresseur qu’à l’agressé. Il dira aussi, « jamais deux sans trois », cette hospitalisation sera la bonne, quand il arrive dans le service de soins après deux courts passages dans d’autres hôpitaux. Le fil conducteur de l’idéalisation thérapeutique a été suivi dans cette observation sans qu’il soit détaillé aujourd’hui. La tentative délirante de préserver l’omnipotence face à la menace de mort déclenchée dans le réel vient rappeler la construction narcissique de l’enfance : être le seul, le préféré. En même temps, il était luimême maltraité, lui aussi, puisque obligé à regarder et à s’imaginer victime ou bourreau. Si la maltraitance empêche de parler, la solution délirante a ouvert la voie à la remémoration et à la possibilité de dire. Si la violence impulsive et les troubles des conduites ont disparu, on peut attribuer ce résultat sans doute au traitement médicamenteux, mais il fut rapidement arrêté par l’adolescent, et aussi aux entretiens tels que nous venons d’en rapporter l’essentiel. En résumé, dans cette observation, l’impulsivité s’est manifestée sur le mode de fugues et de passages à l’acte agressifs. Notre hypothèse est que ces fugues impulsives sont à mettre en rapport avec des scènes d’enfance où il était obligé de regarder, il ne pouvait pas fuir. L’élaboration d’une pensée sur ces actes en train de se commettre semble existante puisque retrouvée plus tard, au moment d’une scène identique où là aussi, sous ses yeux, il assiste à une sorte de maltraitance, en tout cas de mort, et il retrouve le besoin de fuir la nécessité d’assister à ces actes. Dans un premier temps, il ne peut rien en penser, puis il va retrouver une pensée à travers ce délire momentané comme nous l’avons vu.

Le cas de Maurice

C’est celui d’un garçon de 15 ans, hospitalisé un dimanche en ordonnance de placement provisoire en raison du comportement auto-agressif incoercible, présenté lors d’une garde à vue pour extorsion à l’arme blanche d’une somme de 2francs : il se lacérait mains et visage. L’histoire familiale rassemble la maltraitance paternelle régulière, répétée, ayant entraîné le placement dès les premières années de la vie, et la discontinuité de soins maternels, celle-ci étant tantôt complice, tantôt dépressive et absente, tantôt maternante. Maltraitance de Maurice lui-même ou des frères, aucun dossier ne répond à cette question, mais nous finirons par imaginer qu’il s’agissait des autres, luimême, le dernier, ayant réussi à élaborer des fantasmes sur cette séparation et les motifs de cette séparation-placement d’avec la famille. Il est hospitalisé avec un diagnostic de dysharmonie évolutive dès l’âge de 9 ans pour comportement violent, et voici le résumé des hospitalisations pour ce cas qui nous entraîne à cette réflexion sur l’acte et la pensée. « Maurice, accompagné et protégé, a montré qu’il disposait d’un fonctionnement psychique encore mobilisable avec des capacités à donner à ses problématiques psychiques un autre destin que l’agir et la violence. Il est accessible aux soins, au sens où il est capable d’une restructuration psychique visant la verbalisation des conflits plutôt que leur passage à l’acte et visant aussi la restauration de repères et de limites ». Le problème de l’acte et de la pensée, du fonctionnement psychique mobilisable, est donné dès ce moment-là. Pendant le séjour actuel, les affects dépressifs et les idées suicidaires s’intercalent au milieu de crises clastiques, menaces, tentatives de fugue. Des cauchemars récurrents font apparaître sa tante morte ou sa mère renversée dans un accident. Il aime à reprendre des chansons de rap dont une très connue, nous ditil, qui relève le thème « un garçon aussi peut pleurer » et d’ailleurs il pleurera de grands moments dans la journée. L’échec dans le domaine cognitif ou les frustrations quotidiennes banales entraînent, à côté de ces affects dépressifs, soit des pertes de connaissance, soit des bris d’objet avec lésions auto-agressives. Des passages à l’acte incontrôlés d’une grande violence quasi-amnésique se déclenchent, tant avec les infirmiers que lors des entretiens psychiatriques ou de l’examen psychologique, à l’évocation de la maltraitance paternelle mais aussi de l’existence d’une famille unie du type de la tribu : on retrouve ce lien avec l’idéalisation qu’on a cité rapidement à propos de Michel. La séquence est la suivante : crispations, pleurs, supplications de ne plus parler de ses contenus, et passage à l’acte. La visite ou le départ d’un membre de la famille entraîne la même séquence. Par ailleurs, à côté de ces éléments dépressifs et de ces passages à l’acte qui sont au centre de cette observation, notons qu’une véritable sociopathie est organisée par la famille. En somme, des actes de délinquance peuvent aussi coexister avec des passages à l’acte impulsifs dépressifs. Cette sociopathie est organisée par la famille mère et frères dont on finira par interdire les visites manu militari tant elle incitait, à l’intérieur même du service, au trafic de téléphones portables ou de shit. Cette observation montre tout à la fois l’évidence du stimulus entraînant le passage à l’acte impulsif (parler du père) et l’impossibilité d’un travail direct sur les représentations de maltraitance. En revanche, l’abord par les fantasmes dépressifs de perte, d’abandon, de mort, a été le seul lien relationnel. Actuellement, ce garçon va plutôt mieux et vient nous voir régulièrement.

Conclusion : comparaison de ces deux observations

En conclusion, si on peut comparer ces deux observations, si dissemblables en apparence, voilà ce qu’on retrouve. D’abord, quelle que soit la pathologie associée, le passage à l’acte violent semble en rapport avec des antécédents de violences intrafamiliales et ce serait à l’épidémiologie à vérifier cette intuition clinique. La pathologie survenant à distance n’est pas celle du syndrome de stress post-traumatique, mais consiste en bouffées délirantes aiguës dans un cas, en épisodes dépressifs dans l’autre, sur fond commun de troubles de personnalité. Le travail psychothérapique sur le souvenir de la maltraitance s’est fait dans un cas (celui de la bouffée délirante aiguë), non dans l’autre, où pourtant le lien a semblé plus direct entre l’évocation du souvenir et le passage à l’acte impulsif. Enfin, l’ancienne idée, souvent reprise, d’une négociation-soulagement post-passage à l’acte n’est pas apparue à l’évidence, et en tout cas chercher à reparler de l’acte impulsif n’est apparu pertinent dans aucun des cas.

Références

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  2. Birraux A. L’illégitime violence. In : Marty F, ed.Ramonville Sainte-Agne : Erès, 1997. [Google Scholar]
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  4. Lecrubier Y, Braconnier A, Said S, Payan C. The impulsivity rating scale (IRS) : preliminary results. Eur Psychiatry 1995 ; 10 : 331-338. [Google Scholar]
  5. Millaud F, Roy R, Gendron P, Aubut J. Un inventaire pour l’évaluation de la dangerosité des patients psychiatriques. Rev Canad Psychiatr 1992 ; 37 : 608-615. [Google Scholar]

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