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Perspectives Psy
Volume 44, Numéro 2, avril-juin 2005
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Page(s) | 107 - 110 | |
Section | Dossier : Pédopsychiatre de liaison | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2005442107 | |
Publié en ligne | 15 avril 2005 |
La blouse : réflexions sur l'identité du psychiatre de liaison en pédiatrie
Praticien Hospitalier Secteur de Pédopsychiatrie, Centre Hospitalier de Saint-Nazaire 109, rue d'Anjou, 44600 Saint-Nazaire Cedex, France.
L’auteur, travaillant comme psychiatre dans un service de pédiatrie, développe, à partir de réflexions de Silla Consoli, trois axes importants du travail de liaison : être là, répondre, surprendre. Il s’interroge ensuite sur l’identité professionnelle des intervenants en psychiatrie de liaison.
Abstract
The author, working as a psychiatrist on a pediatric ward, uses Silla Consoli’s works to describe three important points in liaison psychiatry : to be there, to answer and to surprise.The question of professional identity in liaison psychiatry is then discussed.
Mots clés : adolescence / tentative de suicide / pédopsychiatrie de liaison / identité professionnelle / pédiatrie
Key words: adolescence / suicide attempt / child consultationliaison psychiatry / professionalidentity / pediatrics
© EDK, 2010
À la mémoire du Docteur Pierre Ayache, pédiatre, et grand tarabusteur de psys...
Octobre 1998. Au matin de ma prise de fonction dans le service de Pédiatrie où je devais assurer une activité de pédopsychiatrie de liaison, poussant la porte du bureau que mes collègues pédiatres avaient mis à ma disposition, je sus immédiatement qu’une première question m’était adressée : sur une chaise avaient été déposées, soigneusement pliées, impeccablement blanches, trois blouses à mon nom. Dès cette première minute de cette première journée de travail, il me fallait répondre... Répondre est bien l’un des maîtres-mots en psychiatrie de liaison. Pour reprendre une lumineuse formule de Silla M. Consoli, entendue lors d’une journée de formation [1]1, le psychiatre de liaison doit être là où on l’attend, répondre à ce qu’on lui demande (et ne répondre qu’à ce qu’on lui demande), et enfin être prêt à se décentrer ou à surprendre.
Être là : présence, stabilité, pluridisciplinarité
La pratique de la psychiatrie de liaison impose à notre sens une présence effective et régulière d’une équipe stable, de préférence pluridisciplinaire. Dans notre secteur, l’équipe comprend deux mi-temps de psychologues, un temps plein d’infirmière et trois-quart temps de psychiatre, pour des interventions dans l’unité des nourrissons et dans l’unité qui réunit grands enfants et adolescents. Les interventions en néonatalogie et en maternité sont assurées par l’équipe de notre CMP pour tout-petits. Dans un département fort dépourvu en lits d’hospitalisation pédopsychiatrique, l’intervention en Pédiatrie permet de répondre à un nombre important de situations de crises, notamment concernant des adolescents, mais aussi d’assurer un rôle classique de psychiatrie de liaison auprès d’enfants de tous âges et de leurs familles.
La présence régulière d’une équipe dédiée à la liaison nous paraît plus pertinente que le recours au pédopsychiatre « à la demande », dispositif risquant de situer l’intervention psychiatrique comme la dernière solution face à une impasse diagnostique, thérapeutique ou relationnelle, préalable à l’exclusion du patient vers un autre système: celui où se met soudain à « relever de la psychiatrie », sinistre basculement...
La stabilité de l’équipe « psy » permet une meilleure connaissance des rôles et des modes de pensée de chacun et un respect mutuel permettant de faire évoluer ensemble et progressivement les modalités de prise en charge en pédiatrie et en pédopsychiatrie [2].
La pluridisciplinarité permet une pratique plus vivante et enrichit les échanges théoriques et pratiques. Plus encore, la pluridisciplinarité est un élément essentiel de la représentation des soins que nous proposons aux adolescents [7].
Ainsi, les adolescents suicidants hospitalisés dans le service bénéficient, dans le cadre de contrats d’hospitalisation d’une semaine, de deux types d’entretiens « psy ». Le psychiatre et l’infirmière assurent une première évaluation clinique, mènent la négociation du contrat d’hospitalisation, reçoivent les parents, suivent le cours pas toujours tranquille de l’hospitalisation et élaborent avec le jeune et sa famille le projet de soins ultérieur.
En parallèle, et en dehors du lieu même d’hospitalisation, dans un bureau situé à un autre étage, sont prévus des entretiens avec l’une des deux psychologues du service, prémices et première image d’un éventuel travail psychothérapique, individuel ou familial. Les adolescents ne tardent pas à comprendre les enjeux différents de ces deux types d’entretiens et utilisent souvent avec habileté les espaces de parole et de pensée ainsi créés. Ce type de prise en charge « bipolaire », associant un thérapeute et un consultant, se poursuivra fréquemment après la sortie dans l’un de nos CMP, avec une adhésion aux soins que l’hospitalisation aura grandement favorisée. Cette articulation des « psys » nous paraît éclairante pour les adolescents, mais aussi pour l’équipe pédiatrique, en mettant en lumière différents niveaux de la clinique.
Comme de nombreuses autres équipes pédo-psychiatriques [4, 5], nous remarquons aussi que la présence régulière des « psys » permet d’organiser facilement un premier entretien psychiatrique ou psychologique pour des enfants ou des adolescents qui ne se seraient pas adressés spontanément dans un CMP. Il s’agit en particulier de jeunes patients hospitalisés pour des pathologies somatiques ayant un impact psychique important, soit par leur caractère aigu et brutal, soit par leur chronicité, ou encore par le handicap ou le risque vital qu’elles impliquent.
Ici on pourrait ajouter le rôle de l’équipe de liaison dans la question d’être là face à la mort. Qu’il s’agisse de la mort possible d’un enfant, de la disparition d’un parent ou tout simplement du discours sur la mort, parfois si saisissant chez des enfants très jeunes ou chez des adolescents, l’équipe psychiatrique peut apporter un soutien et un autre éclairage, tant aux patients et aux familles qu’à l’équipe pédiatrique [8].
Enfin, et ceci est une (innocente ?) digression, dans le domaine discuté de la victimologie, notre équipe de liaison a adopté un mode de conduite que nous essayons de défendre dans le climat actuel de pression médiatique sur les« cellules médico-psychologiques ». À plusieurs reprises, nous avons été interpellés par des établissements scolaires après des décès d’enfants ou d’adolescents. En urgence, nous souhaitons intervenir seulement auprès des adultes référents habituels des jeunes (parents, enseignants, éducateurs...). En soutenant ces adultes, nous voulons éviter un phénomène de disqualification des référents habituels qui, face à la mort, n’auraient pas d’autre choix que de céder la place à de prétendus spécialistes. Le contact rapide avec les adultes référents permet d’échanger, d’apporter un étayage psychodynamique, d’organiser le repérage des jeunes à risque par l’équipe éducative et par l’équipe de santé scolaire, d’évaluer la nécessité de recevoir dans un délai court certains de ces jeunes en entretien, d’amorcer un travail dans l’après-coup si cela s’avère utile et d’assurer un lien éventuellement prolongé avec les établissements et les personnes concernées. Aider des adultes à se présenter comme tels, certes touchés par un décès, mais capables cependant de rester debout et de continuer à penser, nous paraît le meilleur service à rendre à des jeunes toujours avides - ou anxieux -d’observer les réactions et la résistance (ou serait-ce la résilience ?) de leur entourage habituel.
Répondre : médecine, échanges, confidentialité, respect
Être là ne suffit pas ; en psychiatrie de liaison, il faut répondre.
S’astreindre à répondre, c’est ne pas oublier notre position de médecin face à des collègues d’une autre discipline qui attendent de nous un avis clinique, un conseil technique et, dans les bons cas, un éclairage psychopathologique.
Il faut dans l’exercice de la liaison travailler avec modestie, quitte à laisser un peu de côté nos constructions théorico-cliniques les plus obscures ou les plus audacieuses: répondre implique d’utiliser avec nos partenaires un langage compréhensible, en prise avec le réel, mais ouvert aux surprises et aux paradoxes de l’inconscient. Répondre nécessite aussi d’écouter le discours de l’autre, et ce n’est pas le plus mince intérêt pour le pédopsychiatre de liaison que d’être confronté à la curiosité insatiable des pédiatres et à leur soif de nouveauté thérapeutique et scientifique.
La pratique pédopsychiatrique en Pédiatrie permet donc de participer à une médecine globale, biopsycho-sociale, une médecine d’échanges et de complémentarité. Mais la nécessité des échanges ne doit pas faire oublier un impératif majeur de tout acte médical: le respect de la confidentialité et de l’intimité du jeune patient et de sa famille. Ainsi, s’il faut répondre, il faudra limiter cette réponse aux éléments nécessaires à la prise en charge médicale et taire les éléments qui n’ont pas à être divulgués au sein d’une équipe d’hospitalisation pédiatrique comprenant plusieurs dizaines d’intervenants de spécificités professionnelles variées. Là encore un subtil équilibre est à trouver: il faut garder pour nous nos spéculations et hypothèses si elles risquent d’être entendues comme certitudes cliniques, mais il est aussi nécessaire de faire partager à l’équipe l’originalité de la pensée psychiatrique.
La particularité de la position du psychiatre de liaison implique ainsi une vigilance importante, une souplesse dans la pratique et des capacités d’adaptation. En psychiatrie de liaison, composer et adapter nos réponses nous paraît un préalable indispensable qui finit par donner une coloration particulière à notre pratique ; en particulier, plusieurs années d’intervention en milieu somatique nous ont amenés à modifier peu à peu notre approche clinique, en adoptant une position de plus en plus respectueuse et prudente face aux défenses psychiques construites par les patients confrontés à une pathologie organique chronique ou emportés dans le tourbillon d’un état de crise aiguë. Là encore, c’est une approche sérieuse mais modeste qui pourra permettre, étape après étape, une remise en route de l’élaboration psychique et un travail plus approfondi sur les processus évolutifs à l’œuvre durant l’enfance et l’adolescence.
Se décentrer et surprendre
S’il est nécessaire d’agir avec réserve et mesure, il est capital de maintenir bien clairement notre spécificité de « psys », quitte à devoir accepter d’endosser certains des stéréotypes attribués à notre profession, et à les voir éventuellement questionnés ou même attaqués par le service pédiatrique.
Encore une fois c’est à un exercice d’équilibre que la pratique de liaison nous conduit : assumer notre nécessaire lenteur dans un service de somaticiens où il faut aller vite, résister aux passages à l’acte quand tout nous pousserait à être dans l’action, proner une vision originale d’une situation clinique dans un monde où nous devons aussi faire preuve de rationalité, relire le Freud de la fin du XIXe siècle (déjà !) quand il est presque honteux pour un interne de pédiatrie de citer un article datant de plus de cinq ans, convoquer les arts et la littérature sans négliger les recommandations de l’ANAES... [9].
Ainsi, pouvoir surprendre reste, en psychiatrie de liaison, un atout capital autant qu’un outil clinique pouvant entretenir la créativité et la capacité d’élaboration des équipes et des patients. Mais être prêt à surprendre, c’est aussi s’autoriser à être surpris soi-même [3]. La clinique de l’enfance et de l’adolescence, l’incertitude de tout pronostic à ces âges de la vie, nous enseignent la prudence et nous apprennent à cultiver un espoir raisonné quant à l’évolution ultérieure de nos patients.
Être là, répondre, surprendre, sont donc trois axes sur lesquels se fondent la pratique de pédopsychiatrie de liaison. C’est un exercice exigeant, mais profondément stimulant pour le praticien qui devra chaque jour défendre et interroger son identité professionnelle.
Il est singulier de noter que, dans notre expérience nazairienne, cette question de l’identité professionnelle est marquée par un phénomène qui se répète curieusement. Pour pouvoir être accepté comme psy en Pédiatrie, il semble souhaitable de montrer à l’équipe pédiatrique qu’on peut partager leur travail : durant mon internat de psychiatrie, j’ai passé six mois dans le service de pédiatrie à prescrire de l’Augmentin 1 avant de pouvoir revenir, des années plus tard - mûri peut-être par la psychiatrie d’adultes ? - comme psychiatre de liaison. De même, la fonction d’infirmière dite « psy » est partagée par deux jeunes infirmières, issues du diplôme unique, qui se remplacent, tous les ans ou tous les deux ans. Ainsi alternent pour elles des soins somatiques qui ne négligent ni le psychisme ni le social, et des prises en charge psychologiques qui n’oublient jamais les corps et l’environnement de nos jeunes patients.
Tout se passe comme si, pour avoir le droit d’être différent, pour avoir le droit à son identité propre, il fallait d’abord rassurer en montrant qu’on aurait pu être (presque) pareil...
Ceci a peut-être à voir avec ce sentiment d’inquiétante étrangeté que ressentent parfois nos collègues pédiatres devant notre discipline.
Mais cette inquétante étrangeté [6], nos jeunes patients auront aussi parfois à l’expérimenter, dans la perception d’un corps attaqué par la maladie ou modifié par la puberté, dans la stupeur d’une sortie de coma ou dans l’ivresse d’une intoxication médicamenteuse aux benzodiazépines, ou encore devant l’émergence au cours de la prise en charge de représentations psychiques jusqu’alors confuses ou refoulées.
Alors, étrangement inquiétant le psychiatre deliaison? À la fois familier et étranger ? Peut-être, mais c’est là une identité qu’on peut avoir envie de revendiquer...
...Novembre 2003. Je fais par hasard connaissance de la responsable de la lingerie du centre hospitalier. Je lui remets peu après trois blouses immaculées quoiqu’un peu jaunies, jamais portées. Je continue à arpenter la blancheur pédiatrique, sans blouse, souvent de noir vêtu, muni d’un badge discret mais clair : il y a un psychiatre en Pédiatrie...
Pour une visite du service de Pédiatrie du Centre Hospitalier de Saint-Nazaire, aller sur : http://www.chsaintnazaire.fr/scoopi/ pediatrief.html
Références
- Consoli SM. Psychiatrie à l’hôpital général. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris) Psychiatrie 1998, 37-958-A-10, 12 p. [Google Scholar]
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- Haulle C. Violence, séparation, images... à propos de l’hospitalisation des adolescents dans un service de pédiatrie. Confluences (Revue des CMPP et des CAMSP) 2003 ; n° 60. [Google Scholar]
- Raimbault G. L’enfant et la mort : problèmes de la clinique du deuil. Paris : Dunod, 1995. [Google Scholar]
- Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide. Paris : Agence Nationaled’Accréditation et d’Évaluation en Santé, novembre 1998. [Google Scholar]
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