Numéro
Perspectives Psy
Volume 43, Numéro 4, octobre-novembre 2004
Page(s) 310 - 317
Section Article original
DOI https://doi.org/10.1051/ppsy/2004434310
Publié en ligne 15 octobre 2004

© EDK, 2010

La théorie de l’attachement offre non seulement, un cadre de compréhension du développement, du maintien et de la rupture des relations entre individus, mais éclaire également l’observation du développement de la personnalité, de la régulation émotionnelle et de la psychopathologie. Si à l’origine, la théorie de l’attachement vise à expliquer le lien émotionnel mère-bébé, Bowlby [7] perçoit également l’attachement comme une composante significative d’expériences humanisantes tout au long de la vie, « du berceau à la tombe ». Les relations d’attachement ont donc un rôle important dans la vie émotionnelle de l’adulte. Les expériences vécues avec des autres significatifs sont intériorisées comme des représentants du monde et du « soi » et se généralisent dans les nouvelles relations . De cette manière, le sujet crée des attentes, en ce qui concerne la disponibilité des autres significatifs en temps de détresse, au sujet de la qualité de la relation et de sa sensation d’être aimé et estimable aux yeux des autres. Ces modèles se constituent durant l’enfance, en fonction des expériences faites par l’enfant avec ses figures d’attachement vécues comme disponibles, aimantes ou encore non disponibles voire même rejetant. Les différences entre individus dépendent des interactions, vécues et devenues représentations internes, qui créent leur personnalité et « colorent » la nature de leurs liens interpersonnels [20]. Bowlby [7] percevant le monde des représentants internes comme des schémas émotionnels cognitifs, met en évidence leur nature mobile en se référant à leur élaboration continuelle, leur mise à jour, aux expériences interpersonnelles répétitives et à l’accumulation des événements de vie. Il s’agit donc d’une théorie intrapsychique dont l’expression est interpsychique. Le sujet élabore dans son monde interne les conséquences des stratégies d’attachement utilisées et dès lors, procède de manière similaire dans ses interactions interpersonnelles ultérieures. Hazan et Shaver caractérisent dans leur recherche-clé de 1987 [14] les relations amoureuses comme un processus d’attachement. En effet, la dynamique émotionnelle et comportementale des relations amoureuses ressemble à celle des relations mère-enfant et est contrôlée par le système biologique qui régule l’anxiété face à une menace ou un danger (internes ou externes) et recherche la proximité pour des besoins de sécurité. Le partenaire procure une base de sécurité lorsque l’on se trouve à ses cotés, et représente lors d’une détresse un port sécuritaire. Hazan et Shaver [14] montrent que les types d’attachement à l’âge adulte sont analogues à ceux trouvés par Ainsworth et al. [1] parmi des nourrissons et jeunes enfants. Les pourcentages dans la population générale sont également similaires à ceux rencontrés parmi les bébés a attachement de type sécure, évitant et anxieux. Bartholomew [2, 3] dresse, dans les années 1990, une classification de quatre types d’attachement représentant quatre possibilités de modèle de soi et de l’autre lors d’interactions personnelles. Les sujets ayant un style d’attachement sécure ont des modèles positifs de soi et de l’autre : le soi est perçu comme digne d’amour et de soutien ; les autres, comme disponibles et dignes de confiance. Ceci est la conséquence de la relation de soutien, de la disponibilité, de la sensibilité et de l’acceptation parentale. Les sujets dont le style est anxieux/ambivalent (nommé par Bartholomew préoccupé) ont une faible estime de soi et une forte estime de l’autre comme potentiel de régulation. Ces sujets dont le type attachement résulte d’expériences infantiles, sont préoccupés par la disponibilité de l’autre et tendent, dans leurs relations personnelles, à dépendre de l’autre. Ils tendent aussi au brouillage des limites entre le soi et l’autre. Bartholomew décrit deux types de styles d’attachement évitant : l’attachement évitantcongédiant (dismissing), personnes ayant une haute estime de soi et une faible estime d’autrui et l’attachement évitant-apeuré, personnes ayant une faible estime de soi et d’autrui. Elles se perçoivent comme indignes d’être aimées et perçoivent autrui comme les rejetant. Les recherches ayant utilisé la classification de Hazan et Shaver [14, 15] et celle de Bartholomew [2, 3] mettent en évidence la diversité des relations interpersonnelles et intra-psychiques (intra- et inter-psychiques) existant dans chacun des styles d’attachement d’adultes.

Styles d’interactions des différents types d’attachement du couple

Nous proposons de présenter ci-dessous les principaux résultats de certaines recherches tout en nous focalisant sur les styles d’interactions des différents types d’attachement du couple.

Les sujets dont l’attachement est sécure

Ces sujets ont pour base un vécu personnel de sécurité qui fonctionne comme une ancre interne en temps de détresse leur permettant de réguler les émotions négatives et de surmonter de façon adaptée les conflits. Ils réussissent, à trouver un équilibre entre intimité et autonomie [11, 12, 18], à gérer les situations d’ambivalence [17] et à faire l’intégration des émotions contradictoires dans le lien.

Les sujets dont l’attachement est anxieux

Le système d’attachement de ces sujets est sans cesse en hyperactivité de par leur difficulté majeure à réguler les émotions et leur tendance à refouler celles qui sont négatives et qui proviennent de l’absence de modèle interne réconfortant et calmant [17]. La sensation « d’être seul » est donc menaçante, et ces personnes tenteront par provocation, d’obtenir une proximité. La frustration provoque une sensation débordante de douleur, de colère et de menace d’abandon liée au manque de différenciation entre l’inter - et l’intra-psychique [20]. Dans leurs relations conjugales, ces sujets désirent un lien étroit brouillant les limites et manifestent la volonté d’une incorporation, comme l’exprime un patient : « …que ma femme puisse toujours me comprendre, comme une âme sœur, comme une jumelle siamoise ». La perception qu’ils se font du lien est souvent irréaliste et conduit à une déception, à une frustration continuelle, à l’apparition de sentiments de colère et une sensation de menace sur le soi [12]. L’angoisse d’abandon les rend jaloux, exigeants et cramponnés à l’autre. Ces personnes présentent un taux important d’échecs relationnels [11].

Les sujets dont l’attachement est évitant

Ces sujets ont tendance à désactiver leur système d’attachement afin de se préserver de situations de rejet, car pour eux la proximité signifie perte de contrôle et détresse. Avec le temps, ils se perçoivent comme autonomes et immunisés. Face à la menace, les évitant utilisent des mécanismes de défense primaires tels que le déni d’informations susceptibles de menacer la perception rigide et faible qu’ils ont d’eux-mêmes ; le clivage et la projection de la dévaluation de soi, afin de préserver l’estime de soi et la différenciation de soi et de l’autre [17, 19]. En présence de conflits, ils préfèrent la rupture au maintient du lien, afin de préserver leur sentiment de contrôle de la proximité et de maintenir une distance [11]. Comparés aux évitant-congédiants, les évitantapeurés ayant une faible estime de soi, se vivent comme dénués de ressources personnelles.

Les sujets dont l’attachement est évitant-apeuré

Ces sujets alternent entre besoin de dépendance et d’intimité et évitement la proximité comme défense contre l’angoisse de rejet. Ils alternent donc entre stratégie de désactivation et d’hyper activation de leur système d’attachement de façon hasardeuse, perturbée et chaotique. L’utilisation hasardeuse de ces stratégies ne parvient, ni à les conduire à un sentiment de sécurité rendant possible une proximité et ni à éviter la menace par la fuite [23]. Ils restent piégés dans un cercle vicieux constitué de tentatives d’évitement inefficaces et de débordement d’anxiété. Vis-à-vis de leurs conjoints, ces sujets manifestent des sentiments d’aliénation, leurs relations interpersonnelles sont marquées par de la froideur, du pessimisme et lorsque des conflits s’éveillent, ils tendent à utiliser des stratégies destructrices et violentes [3, 4, 8].

Attachement et relation de couple

Des résultats empiriques présentent le style d’attachement comme facteur influençant le choix du partenaire, le caractère des relations maritales et la satisfaction qu’elles procurent et enfin, l’intensité de la détresse ainsi que sa gestion lors d’une séparation [8-11]. Avec pour fondement théorique l’hypothèse de Bowlby [7] selon laquelle les représentants interne du soi et des autres se remettent à jour en fonction des expériences récurrentes et continuelles de liens interpersonnels, ce présent article tentera, d’analyser la dynamique des relations entre individus ayant des types d’attachement différents et d’étudier la manière dont la relation de couple peut devenir une expérience réparatrice ou au contraire, peut exacerber et éveiller les blessures de passé.

Combinaisons conjugales de types d’attachement

Couple de partenaires sécures

La littérature professionnelle en ce domaine montre qu’au sein d’un couple de personnes sécure, il existe un potentiel de relation stable, incluant intimité et proximité, dans laquelle les partenaires respectent à la fois l’autonomie et les besoins d’individuation de l’autre. Le pourcentage de rupture parmi ces couples est faible [11]. La décision de divorce n’est pas perçue comme une menace sur le soi, il s’agit d’une « belle séparation » dont le sentiment prédominant est de la tristesse [8]. Ces couples sont ceux qui consultent des médiateurs ou demandent une thérapie pour les arrangements de la séparation et aider leurs enfants a moins souffrir. Sensibles au besoin de contact de leurs enfants avec eux deux, ils coopèrent pour les décisions prises lors du divorce.

Couple de sécure/anxieux : relation de couple dépendant/persécutant, distant/ vigilant

Une telle relation le couple se produit en raison de la tendance de l’individu de type sécure à s’occuper de l’autre [20], et du fantasme de l’anxieux d’avoir trouvé la personne « idéale » qui s’occupera de lui et l’aidera à réguler ses émotions en temps de crise. Si le sécure peut contenir l’angoisse de l’anxieux et parvenir à le calmer, à travers ces expériences récurrentes, ce dernier se sentira désiré et digne de proximité. Ses angoisses d’abandon diminuant, il constatera qu’il peut rechercher un soutien, que l’autre ne l’abandonne pas et parviendra à croire en lui et en la relation. En revanche, si le comportement répétitif de l’anxieux - qui tente d’obtenir soutien et proximité par la domination et l’assujettissement - engendre un sentiment de rejet chez son compagnon, ses schémas internes actifs seront confirmés : il finit toujours par être abandonné, et il est indigne d’amour. Le compagnon sécure atténue la « valse » conjugale car il est empathique et navigue entre sensibilité et soutien envers son partenaire, et prise de distance quand il se sent épuisé et ne peut continuer à jouer le rôle de régulant. Un patient formule son épuisement de la façon suivante: « je suis fatigué d’être tout le temps son thérapeute et de sans cesse devoir la comprendre ». Le manque de symétrie dans le couple risque de créer la « valse » persécutant/ distant et de faire fuir le partenaire sécure. Il risque alors de développer un comportement évitant, qui ne fera qu’accentuer la dépendance de l’anxieux et son angoisse de perte perpétuelle. L’anxieux, menacé par la prise de distance de son partenaire et par une perte attendue, tente de maintenir son conjoint dans la relation, en lui proposant une thérapie, ou encore en utilisant les besoins des enfants (« on doit rester ensemble pour le bien des enfants »). Mais simultanément, de par sa déception et sa frustration et par son fantasme de l’existence quelque part dans le monde d’une âme sœur qui l’attend, il est enclin à proposer impulsivement une séparation [11, 12]. À titre d’exemple, une femme ayant un style d’attachement anxieux demande le divorce car « il n’est pas suffisamment bon envers moi ». Après le divorce, sa solitude lui faisant peur, alors que son mari prend sa fille pour la journée elle lui demande de venir avec eux. Ce dernier est sensible à son état, mais hésite à répondre à nouveau à ce lien de dépendance. Lors de la thérapie de ce type de couple, il serait pertinent de se concentrer à renforcer les ancrages internes de l’anxieux. La difficulté du traitement d’un sujet à attachement anxieux, provient du fait qu’il est envahi par son anxiété, il tend à la « rumination » et au ressassement de sa détresse et finit par aller de thérapeute en thérapeute, persuadé qu’aucun ne l’approuve de façon totale [9, 10]. Dans les cas extrêmes, le traitement d’un anxieux ressemble à celui de patients souffrant de troubles de la personnalité limite. Le sujet sécure par contre, peut consulter un thérapeute afin de surmonter ses sentiments de culpabilité liés à la souffrance des enfants et/ou de son partenaire qui s’agrippe au lien et ainsi comprendre l’évolution des événements précurseurs de la séparation. Le thérapeute peut aider le sujet « sécure » à discriminer la souffrance dont il est responsable de celle du chantage émotionnel effectué par son partenaire et ainsi aider les enfants à surmonter leur détresse.

Le couple « sécure/évitant »

Cette combinaison se fait plus rare, car si pour le sécure l’intimité dans la relation est primordiale, l’évitant s’éloigne de l’intimité et de la proximité, et évite les liens de dépendances [11]. Un tel lien peut se produire dans le cas ou le sécure est persuadé que le pouvoir de son amour poussera l’anxieux à une relation de proximité et ou les protagonistes dont les motivations diffèrent, respectent tous deux l’espace personnel de chacun et l’autonomie. Selon les règles de l’éducation traditionnelle où la femme est celle qui procure les soins, un tel lien peut se produire si la femme est celle dont l’attachement est sécure. Le sentiment de sécurité de base du partenaire sécure, dont le soi ne se sent pas menacé permet à cette relation de perdurer et ce, malgré l’asymétrie relationnelle. Si le conjoint sécure est patient et répond aux besoins de contrôle et d’espace personnel de l’évitant, à travers des expériences répétitives, l’angoisse de perte de contrôle du lien se fera moindre, l’évitant pourra se permettre d’être dans une relation de proximité et se dévoilera davantage sans se sentir vulnérable. Dans le cas où ce processus ne se mettrait pas en place, des failles dans le lien apparaîtront. Le comportement distant de l’évitant risque de provoquer chez le sécure des stratégies propres à celles d’un sujet dont l’attachement est de type anxieux, comme tenter d’attirer l’évitant vers la relation. Ci dessous l’exemple un couple venant consulter sous les pressions de la femme « sécure » qui se plaint d’un mari qui se refuse constamment à partir avec elle en vacances alors qu’à ses yeux il s’agit de l’opportunité d’être ensemble. Le mari réagit de façon cynique et semble apeuré de l’éventualité d’être seul avec elle et face à une intimité émotionnelle. À ses yeux il s’agit d’un danger « elle voudra parler de notre relation ». Étant donné que le type d’attachement du mari est évitant, le thérapeute afin de construire une alliance thérapeutique, propose de laisser au mari le contrôle des différents niveaux de rapprochement intimes [9, 10, 13, 21]. Pareillement au couple évoqué ci-dessus, une femme exprime ses doutes quant à la poursuite de la relation et la perception réaliste du « sécure » permet à celui-ci de constater qu’il réagit d’une façon qui ne lui ressemble pas. De son coté, l’évitant - qui ne tend pas à s’investir dans le développement d’une intimité, mais plutôt à dénier et fuir les conflits conjugaux susceptibles de menacer sa perception de soi différenciée et autonome - dans l’appréhension d’une éventuelle séparation initiée par le sécure, propose immédiatement le divorce. Il dénie sa responsabilité dans les conflits et, pour ne pas ressentir une perte de contrôle, se détache émotionnellement du lien. Il est fort probable qu’il projette et accuse son partenaire de la tension entre eux. Lors de la rupture, l’évitant est coléreux, négatif tout en ressentant un soulagement, au moment de la décision de divorce, il est même susceptible de prendre ses affaires et dire à sa femme « dès maintenant, l’avocat parlera avec toi… moi, je n’ai plus rien à te dire ». Malgré les efforts du partenaire sécure, l’on peut s’attendre à trouver un manque de stabilité dans la parentalité du couple. On peut s’attendre à voir, un évitant qui n’accommode pas les activités, allant même jusqu’à « saboter » une activité partagée, et à constater chez lui un manque d’empathie qui le rend insensible aux besoins émotionnels de ses enfants [5, 12].

Les deux partenaires sont « anxieux » – relation de couple de type « on ne peut être avec et on ne peut être sans »

Cette relation de couple se caractérise par de la confusion, les protagonistes ne peuvent vivre ensemble et ne peuvent vivre séparés. Il s’agit d’une rencontre qui donne naissance à une illusion, les deux partenaires semblables dans leur recherche « d’une âme sœur » s’attendent à ce que leur conjoint les comprenne de façon totale et réponde à leurs besoins. Cependant, la déception est inévitable et la frustration qui en résulte engendre de la « rage » [12]. La menace de divorce est un moyen de provocation et sert à exprimer la frustration, ces couples sont ceux qui régulièrement menacent et se sentent menacés d’une séparation ou d’un divorce. Mais malgré la frustration réciproque, continuelle et la déclaration de divorce, la peur d’être seul et le besoin continuel d’un partenaire, pousse les conjoints à défendre leur lien, comme le montre la phrase de cette femme : « je sais que jamais je ne trouverai quelqu’un qui me convienne autant, qui connaît toutes mes “folies” et c’est sûr, je finirai par rester seule toute ma vie ». La menace de séparation éveille une angoisse envahissante et diffuse dont résulte, une décharge intense d’agressivité et de violence allant même jusqu’à blesser le partenaire ou ce qui lui est cher, ou des menaces et des déclarations de suicide pour ramener le partenaire à son rôle « d’âme sœur ». Le couple est prit au piège dans un combat chronique composé d’accusations, de déceptions réciproques, de difficulté réelle à se séparer et d’agressivité verbale et physique. Combat qui piège également les enfants. Ces caractéristiques définissent ces couples comme les plus extrêmes, comme ceux qui déchirent leurs enfants dans des conflits de double fidélité, réclament une fidélité exclusive et réagissent par de la rage lorsqu’ils soupçonnent leurs enfants de prendre parti en faveur du conjoint ou encore les accusent d’avoir pris plaisir à passer du temps avec lui ou elle. Ils procèdent au chantage affectif (dans les cas extrêmes, utilisent même des menaces suicidaires) transformant ainsi leurs enfants en « enfant-parent » qui console et soutient. Ils tendent à utiliser la détresse des enfants selon leurs propres intérêts; ainsi par exemple un couple dont chaque membre utilise les menaces suicidaires de leur enfant adolescent afin d’attaquer la parentalité de l’autre. Dans le cas, de parents incapables de séparer leurs besoins personnels de ceux des enfants, il est fortement conseillé de faire intervenir des thérapeutes ou professionnels de la santé dans les procédures judiciaires afin de préserver le bien-être des enfants.

Relation de couple entre un « anxieux » et un « évitant »

La relation entre deux partenaires non sécure est décrite dans la littérature comme la plus fréquente. Il s’agit d’une relation dans laquelle les partenaires recherchent et trouvent la personne qui valide les schémas internes actifs. L’anxieux valide sa perception de soi comme étant « le plus 315 mauvais » et celle des autres comme non disponibles à ses besoins et l’abandonnant ; l’évitant, éveillant chez l’autre, par son comportement, le rejet, valide sa perception des autres comme « sans valeur », sur lesquels on ne peut compter[ 5-11]. Se crée alors une « danse conjugale » faite de déception réciproque, où l’anxieux ressent constamment un manque émotionnel, se sent abandonné et réagit par un combat (fight) et ou l’évitant fuit (flight), méprise les besoins de dépendance de son partenaire et accentue sa détresse [13]. Il semble pertinent d’illustrer cette « danse » par l’exemple d’une thérapie au cours de laquelle les partenaires expriment leur déception réciproque - la femme est exigeante et se plaint d’un besoin de proximité laissé sans réponse et ce dernier, effrayé par ses revendications dit: « je ne peux répondre à ses attentes, elle veut tout le temps être proche… j’ai un problème avec le contact, le toucher », la femme rétorque « il ne me montre pas qu’il m’aime, je mérite mieux que cette relation ». Lors de la thérapie, Fisher et Cradell [13] proposent, pour mettre de l’ordre dans le chaos, de mettre en mots les sentiments et les besoins différents de chaque partenaire. Selon eux, le fait que chacun des conjoints puisse « penser ses émotions » peut amener à contrôler l’anxiété et à construire un espace psychologique permettant de « penser » l’autre tout en donnant place à l’individuation et à la différence. De façon similaire, Pistole [21] propose d’analyser la lutte entre proximité et distance au sein de ces couples et de montrer de quelle manière les besoins de chacun des partenaires nourrissent le cercle conflictuel de la relation. La relation de couple anxieux-évitant, dans laquelle l’évitant est évitant-apeuré risque de conduire le lien à son l’extrémité et à induire des conflits violents. Tel l’exemple d’un couple dont la femme est de style d’attachement anxieux et le mari évitant-apeuré. La femme a besoin de régulation émotionnelle constante et selon elle « notre accord est que maintenant il s’occupe à me calmer », le mari - enfant battu dans son enfance - éveille par son style passif-agressif l’agressivité de sa femme. Lui ne pouvant supporter de perdre le contrôle et d’exprimer une agressivité, dépose l’agressivité chez sa femme et s’éloigne lors des conflits « quand tu deviens folle comme ça, je ne peux pas parler avec toi », la femme dénuée de toute capacité à s’autoréguler finit par réellement devenir « folle » et réagit avec agressivité. L’anxieux et l’évitant-apeuré ont tous deux une estime de soi négative et peu de ressources afin de surmonter les conflits. L’anxiété de la réalisation des fantasmes qui menacent l’intégrité du soi, engendre des réactions d’acting out. Ainsi, face à la menace sur leur lien ils réagissent tous deux avec rage, utilisent des stratégies destructrices et de la violence verbale et physique. Ce comportement s’origine dans l’angoisse d’abandon et de solitude chez l’anxieux et dans celle du rejet, d’impuissance et de perte de contrôle de l’autre chez l’évitantapeuré [8-16]. Bartholomew, Henderson et Dutton [4] décrivent la relation où la femme est de style anxieux et l’homme est évitantapeuré comme le cas classique de violence familiale. Les hommes au style évitant-apeuré réagissent agressivement lorsque le lien est menacé (menace réelle ou fantasmatique), ils ont besoin de sentir qu’ils contrôlent la relation et leur violence est l’expression d’une révolte contre la non-disponibilité de l’autre ou contre son sentiment de rejet. Ces hommes interprètent les intentions floues de leur conjoint comme rejet et répondent par de la jalousie et de la violence. Ils effectuent un va et vient entre éclat de colère, de violence et entre demande d’indulgence qui éveille des sentiments de compassion chez le compagnon. En revanche, la femme anxieuse menacée par l’éventualité d’une séparation et du fait d’être « livrée à ellemême » a du mal à se séparer même lorsque sa vie est en danger. Ces femmes sont celles qui risquent de développer un modèle de relation de co-dépendance [24]. Dans ces cas, les enfants, témoins de violence conjugale et utilisés par leur parents afin de rétablir l’estime de soi blessée, présentent le risque de développer une psychopathologie psychiatrique et des symptômes post-traumatiques (PTSD).

Couple de deux « évitant »

Cette relation de couple est la plus rare [11], Bowen [6] nomme ce couple « émotionnellement divorcé », il s’agit de mariage de fortune sans lien émotionnel profond. La séparation se fait rapidement, sans difficultés car les deux partenaires dénient leur détresse ou le sentiment d’échec. Les enfants de tels couples risquent d’être en danger de négligence émotionnelle sévère du fait du manque d’empathie parentale et de la non prise en compte de leurs besoins.

Remarques de conclusion

L’adaptation de la théorie de l’attachement aux relations de couple faite dans cet article contribue aux connaissances théoriques qui traitent du lien, du déroulement de la relation et de la séparation, de la combinaison de couples de styles d’attachement différents d’une part, et des conséquences, de la dynamique entre eux, sur l’actualisation des modèles représentatifs du self et des autres en interaction interpersonnelles (schémas internes actifs), d’autre part. La relation de couple se construit à partir de la rencontre des besoins et des désirs, rencontre dans laquelle ceux-ci peuvent être mutuellement régulés et satisfaits ou encore exacerbés et déçus. Ce présent article a traité de la dialectique entre la répétition au sein du couple d’expériences primaires et le potentiel existant dans l’expérience continuelle avec un conjoint qui représente une figure d’attachement adoucissant ou intensifiant les schémas de soi, des autres et les relations personnelles en général. Contrairement aux couples dont l’un des partenaires est caractérisé par un type d’attachement sécure, la rencontre entre deux sujets d’attachement de type non sécure (anxieux ou évitant) montre l’influence réciproque entre l’angoisse de perte, la peur de l’intimité et celle de la perte de contrôle. Le second aspect de cet article concerne la parentalité des différents types d’attachement, la capacité des parents à répondre aux besoins de leurs enfants et ce, essentiellement lors de leur rupture. La parentalité commune suite au divorce constitue l’une des preuves montrant l’aptitude à se séparer. Le maintient du conflit conjugal ou le risque de voir les enfants devenir l’arène principale de l’attachement et de sa survie apparaît essentiellement parmi les sujets dont le type d’attachement est non sécure. Les besoins d’attachement ne forment qu’une partie de la relation de couple, même s’ils constituent une variable centrale, ils ne sont pas pour autant le seul facteur en jeu dans les relations conjugales. Une recherche ultérieure serait nécessaire afin d’approfondir la compréhension des liens internes entre le système d’attachement et d’autres variables de personnalité impliquées dans les différents types de relations. Les conjoints, selon Mikulincer et Shaver [20], ne représentent pas toujours l’un pour l’autre l’unique figure d’attachement, la création de l’attachement entre deux personnes est fonction du style d’attachement de chaque membre, et de leur capacité à représenter un « port de sécurité ». De plus, même si chacun des membres fonctionne pour l’autre comme une figure d’attachement, l’interaction reflète également d’autres comportements, autres que celui du système d’attachement. Ainsi, l’amour romantique implique l’interaction du système d’attachement « soignant » (caregiving) ainsi que celui du système des besoins sexuels. Cet article propose une typologie et il est intéressant de noter que les couples n’entrent pas si formellement dans les catégories mentionnées, il est fort probable, au cours du temps et avec des différences liées au genre, d’être amené à rencontrer des couples ayant divers éléments de chaque type d’attachement, à des degrés différents et à tendances mixtes.

Remerciements

Nous remercions Mademoiselle K. Smotriez, psychologue clinicienne, pour sa collaboration à la traduction et à la rédaction de cet article.

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