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Perspectives Psy
Volume 43, Numéro 3, juillet-septembre 2004
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Page(s) | 184 - 187 | |
Section | Dossier | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ppsy/2004433184 | |
Publié en ligne | 15 juillet 2004 |
La place du bébé dans les thérapies parents-nourrisson
Pédopsychiatre, Psychanalyste Membre de la Société Psychanalytique de Paris et de la Psychoanalytic Association of New York, Directrice du Parent-Infant Program de l’Université de Columbia, 200 East 94th street 3012, New York NY 10128, Etats-Unis.
Les thérapies conjointes parents-enfant permettent d’intervenir à la fois au niveau intrasubjectif et interpersonnel ; le sujet traité est le couple mère-enfant. Un rôle essentiel de l’analyste est d’aider les parents à créer un espace transitionnel qui offre au nourrisson la possibilité de faire les expériences d’omnipotence puis de séparation nécessaires à son organisation psychique. Le jeu est un élément essentiel de cette technique, en donnant aux parents l’accès au jeu avec leur enfant ou en jouant directement avec le tout petit qui fait alors des expériences qui peuvent modifier sa relation avec ses objets internes.
Abstract
Parent-infant psychotherapy works a both level, intrasubjective and intersubjective. The patient is the dyad mother-baby. The analyst’s role is to help the parents to offer a transitional space to the baby where he will experience omnipotence and the separation. Playing is an essential technique, as a play with the child that will give him/her an opportunity to change his object relations, and as an introduction for the parents to a new relationship with their child.
Mots clés : thérapies conjointes / espace transitionnel / jeu / leçon objectale
Key words: parent-infant psychotherapy / transitional space / play / objectal lesson
© EDK, 2010
Les traitements des tout-petits avec leurs parents ont pris maintenant un développement considérable. Interventions ponctuelles, thérapies brèves ou travail analytique à plus long terme, toute une gamme d’aides est offerte aux parents en difficulté avec leur bébé. On sait repérer assez tôt les signes d’un trouble du développement ou d’une souffrance chez le nourrisson, les médecins et les pédiatres sont sensibilisés à la dimension psychosomatique des fréquents symptômes des bébés : pleurs incessants, troubles de la communication par le regard, troubles du sommeil ou de l’appétit sont des causes fréquentes de consultation. La valeur pathogène des événements traumatiques vécus dans le passé par les parents, peurs désorganisantes, drames, deuils peut être prévenue en aidant les parents à fournir à l’enfant le support parental dont il a besoin.
L’objet de la thérapie est le lien entre parents et enfant, leur relation, la qualité de leurs interactions. Il est parfois nécessaire de proposer un traitement individuel à un parent en grande difficulté, et il arrive aussi que l’on ait à intervenir directement auprès du bébé a risque, par exemple en organisant la thérapie à domicile. Mais les thérapies analytiques avec les tout-petits sont avant tout le traitement du couple ou de la triade parent-bébé. Le père a un rôle essentiel dans ces traitements, quand il peut être présent. Soutien de la fonction maternelle, reconnaissance de l’enfant à travers les générations, il réunit mère et enfant pour plus tard les aider à trouver la bonne distance, quand l’enfant est en mesure de séparer de sa mère [2]. Le tout petit est une personne en voie de constitution, et le souci du thérapeute est l’organisation de son appareil psychique, la constitution de son identité, le développement de ses capacités affectives, motrices et sensorielles, cognitives. L’accès aux possibilités de représentation est un souci majeur : la capacité de se souvenir des parents quand ils sont absents, à former des images et des pensées est un enjeu majeur des débuts de la vie. Le bébé est dépendant de son environnement pour constituer ces possibilités. C’est à travers les soins donnés par les parents et les émotions échangées que le nourrisson ressent une continuité dans ses expériences avec le monde, et cette sécurité lui permet d’organiser son monde interne, d’intégrer les événements internes et externes, de les mémoriser, pour en faire petit à petit des événements prévisibles. L’enfant a alors le sentiment de créer lui-même ces événements fournis par l’entourage. C’est en se sentant à l’origine du monde offert par les parents que le bébé se sent exister, pour ensuite découvrir les autres et le monde extérieur [5]. La constitution d’une unité et l’intégration du self, l’établissement des limites du soi, se font à travers des processus d’identification corporelle. La façon dont est tenu le nourrisson, la qualité de l’appui de son dos, les caractéristiques de son regard et de son attention, les rythmes d’interaction et de détachement sont des éléments essentiels à repérer [4]. Pour une mère désemparée face à un bébé mal intégré, pris tous deux dans une dysharmonie de communication, la rencontre avec un analyste est l’occasion d’une expérience de contenance, de remise en jeu des liens premiers. L’attention portée aux qualités corporelles de la tenue du bébé comme à ses réactions, l’échange avec la mère sur cette connaissance, fournissent un support au travail analytique ultérieur sur les représentations et les fantasmes à l’œuvre dans le couple mère-bébé [1]. S’il est essentiel de permettre aux parents de modifier leurs mouvements inconscients à l’égard de leur enfant, il est parfois judicieux d’intervenir directement auprès du bébé. C‘est là que le jeu trouve sa place [2]. Michel est un garçon d’un an qui ne peut échanger que des regards plats et lisses, ne donnant pas le sentiment d’une communication. Il s’arc-boute en arrière quand sa mère le prend dans ses bras. Il est le quatrième garçon d’une fratrie agitée, difficile à supporter par sa mère déprimée et déçue par sa naissance. Elle le prend peu dans ses bras, et il a dû apprendre à se débrouiller tout seul. Il suce ses doigts et refuse le contact avec les autres. Errant dans mon bureau, il se retrouve face au miroir, lors de notre première rencontre, il est effrayé, hurle et se débat. Je lui parle de sa peur de l’étranger, et il croise mon regard dans le miroir. Je vais alors jouer à lui faire des signes dans le miroir, auxquels il répond par des sons ou des mouvements de la main. Assis par terre, il s’est alors calé le dos solidement sur les jambes de sa mère et a commencé à jouer avec des cubes. J’ai fait remarquer à sa mère l’intensité de l’appui de son fils sur elle, ce qui l’a émue. Elle a petit à petit pu trouver des ajustements physiques plus adéquats avec lui jusqu’à ce que leurs regards puissent s’échanger avec une qualité nouvelle. La dynamique des échanges physiques entre mère et bébé permet ce que Geneviève Haag nomme « les identifications intra-corporelles », liens entre l’expression corporelle et les représentations. Contribuent à ces identifications toutes les expériences avec la mère : tenue du dos, qualité des regards, enveloppement tactile et sensations orales. Ce sont les facteurs de l’intégration psychique, les sources de l’organisation du soi [7]. Les qualités de l’attention maternelle au bébé sont importantes à connaître pour savoir la valeur « enveloppante » des rencontres avec l’enfant. On peut aussi anticiper les risques de désorganisation chez le tout-petit ; les agonies primitives dont Winnicott a eu l’intuition sont repérables dans les cris interminables des bébés mal tenus physiquement et psychiquement. S’il n’est pas soutenu par la continuité de l’attention maternelle, le bébé est en danger. Les activités motrices qui tournent à vide sont en lien avec la lutte contre l’effondrement, le déséquilibre dans le vide. L’absence d’accordage affectif, d’ajustement corporel, d’harmonie et de partage émotionnels ôtent tout espoir à l’enfant de « créer » le monde. Une mère débordée d’angoisse, de vide dépressif ou de projections paranoïdes ne peut offrir à son enfant le miroir de ses propres expériences. Le danger est celui d’une atteinte narcissique qui laisse sa marque tout au long de la vie, diminuant la capacité de se « sentir être », de sentir que la vie est vivante et bien à l’intérieur de soi. On le voit chez les bébés qui se dégagent de la relation en évitant la figure maternelle et parfois se ferment dans une capsule autistique ou se replient dans les procédés auto-calmants. L’absence d’échanges pulsionnels entre l’enfant et sa mère, l’impossibilité pour elle de jouer avec lui mettent en péril la capacité pour le bébé de découvrir l’auto-érotisme. Parmi les échanges avec la mère, le contact par le regard est privilégié : chacun peut se représenter ce qu’il est pour l’autre. Et si ce jeu n’existe pas, on peut craindre un défaut de figurabilité chez l’enfant [3]. Un enjeu des traitements précoces est la protection des capacités de représentation de l’enfant. Appuyée sur les sensations, sur la perception et la motricité, une première forme de représentation se développe, qui dépend de la qualité du mode de présence maternel [6]. L’espace transitionnel rassemble et sépare, nous a appris Winnicott. C’est le rôle de l’analyste de maintenir les qualités transitionnelles de la situation analytique. L’activité ludique remet en scène les modalités d’investissement de l’objet, la nature du lien entre l’objet maternel et le sujet, et sa fragilité face à la séparation [10]. Dans le cabinet de l’analyste, un petit enfant peut découvrir des relations différentes avec le monde, découverte qui peut en elle-même être source de changements. Ce sont des transformations du fonctionnement psychique de l’enfant qui souvent favorisent ensuite une meilleure rencontre avec des parents moins culpabilisés et plus adéquats au fur et à mesure que leur enfant sait entrer en relation. Jouer en présence de l’enfant, pointer les capacités ou le désir de jouer d’un tout-petit, offrir un jouet aux parents qui ignorent leur propre capacité d’être ludiques, sont des instruments que l’analyste peut proposer et dont les parents et les enfants se saisissent parfois, comme on peut le faire avec une interprétation qui ouvre des perspectives nouvelles [2]. Par les mouvements de transfert et d’identification, les parents peuvent à leur tour « présenter » les objets à l’enfant, témoigner du plaisir à l’échange. Ces échanges ludiques soutiennent l’activité de représentation à travers les premières formes de symbolisation [8]. La qualité « transitionnelle » de l’espace analytique et des interventions de l’analyste cherche à offrir aux parents et à leur enfant la possibilité de recréer une aire d’illusion entre eux. Par exemple, les dépressions du post-partum entravent les jeux d’illusion entre mère et enfant, mais quand, dans une séance, une mère s’offre au contrôle omnipotent de l’enfant qui joue avec elle et son corps, elle réactualise ses propres capacités de contrôle magique sur l’objet et peut offrir au bébé l’expérience d’illusion si importante pour lui. Sylvie a 6 mois, c’est une petite fille assez passive, qui tient mal assise, que sa mère trouve « inerte », elle qui a déjà deux garçons très agités. Elle a posé le bébé par terre entre nous et me parle de sa détresse sans jeter un regard à l’enfant qui s’affaisse. Je cherche le regard de Sylvie et je lui parle de l’inquiétude qu’elle peut ressentir dans cet endroit nouveau pour elle ; sa mère s’étonne, Sylvie pourrait donc reconnaître les endroits familiers ? Dans un mouvement involontaire, Sylvie a fait rouler une petite balle vers moi, je la lui renvoie en croisant son regard, elle se tourne alors vers sa mère et lui tend la balle, je commente sur la capacité de Sylvie de non seulement reconnaître sa mère, mais de la choisir. Sylvie tient bien sa tête, sourit à sa mère et commence à gazouiller, devant sa mère soudain émue qui entame un jeu d’échange de balle avec sa fille en lui parlant doucement. Mère et fille vont alors entamer une relation ludique et joyeuse qui amène à la fois les souvenirs d’enfance triste et le plaisir à savoir jouer. L’hypotonie de la petite fille va vite disparaître. Dans la situation d’observation du bébé face à la spatule que propose Winnicott, un abaisse langue est posé sur le bureau [9]. La façon dont un bébé entre 5 et 13 mois s’intéresse à cet objet brillant permet de repérer combien l’agressivité originelle a été transformée par le jeu des relations maternelles et des échanges inconscients. Le petit enfant est attiré et porte la main vers l’objet. Puis il s’arrête et hésite. Cette phase d’attente montre le type de relation qu’il entretient avec l’objet maternel. Il s’immobilise et cherche le regard de sa mère ou du pédiatre. Il peut alors soit se détourner de l’objet désiré, enfouir son visage dans la poitrine de la mère ou retrouver l’assurance nécessaire pour retourner à son intérêt premier, continuer à investir l’objet. La période d’hésitation révèle pour Winnicott une angoisse associée avec la représentation d’une mère en colère, et l’attitude de la mère montre si elle a pu anticiper ou non l’attitude de l’enfant. Le second temps pendant lequel la plupart des enfants attrapent l’abaisse langue et le mettent dans leur bouche, serait associé à l’expérience d’omnipotence du bébé contrôlant l’objet. Expérience qui ouvre le champ de l’illusion. Le jeu entrepris par de nombreux enfants de faire semblant de donner à manger à l’adulte en est l’illustration. Dans un troisième temps, l’enfant jette l’objet par terre et recommence quand on le ramasse : c’est une extension du jeu de la bobine. En jouant à jeter et reprendre la spatule, l’enfant est soulagé de son affect dépressif. On conçoit alors combien le jeu avec les tout-petits peut avoir une réelle valeur thérapeutique. La triangulation enfant-mère-pédiatre introduit une dimension oedipienne. L’enfant va devoir négocier ses relations avec deux adultes. Ce que Winnicott met en valeur, c’est l’importance de l’influence des attitudes parentales sur l’évolution de l’enfant, sur sa capacité d’affronter les conflits inhérents à ses propres désirs. « C ‘est comme si les deux parents autorisaient la gratification des désirs de l’enfant à propos desquels il a des sentiments conflictuels, en tolérant qu’il exprime ses sentiments à leur égard. En ma présence, il ne peut pas toujours utiliser la considération que je montre pour ses points d’intérêt ou bien il ne devient capable de le faire que peu à peu. Oser désirer et prendre la spatule et la faire sienne sans altérer en fait la stabilité de l’environnement immédiat est une expérience qui agit comme une sorte de “leçon objectale” ayant valeur thérapeutique pour l’enfant ». Quand des parent sont en attente de retrouver un bébé « transformé », quand la pathologie maternelle est lourde, ou trop lente à se modifier, ou quand c’est le bébé qui utilise spontanément la séance pour ses propres découvertes, il est important de connaître la valeur organisatrice, thérapeutique de découvertes faites par lui avec les objets en présence d’adultes disponibles [1]. L’expérience thérapeutique que rapporte D.W. Winnicott dans « L’observation d’enfant » publiée récemment est un remarquable exemple d’interprétation par une intervention directe auprès du bébé [11]. La mère ne peut supporter de donner le sein à son deuxième enfant, un garçon, en présence de sa petite fille, elle aussi angoissée. Un circuit de fantasmes de scènes primitives est en jeu, que la présence du père ne calme pas du tout. C’est quand il est exceptionnellement présent à la maison et que la mère allaite son fils en sa présence que le bébé repousse le sein, alors que la mère a vu venir son retour de règles et qu’elle peut l’associer avec la reprise de sa vie sexuelle. La composante phallique et conflictuelle de la mère fait dire à Winnicott que la situation difficile d’allaitement a dû engendrer des fantasmes liés à la bisexualité. Le bébé a commencé à refuser le sein à l’âge de 2 mois. On peut concevoir sa détresse, l’excitation décuplée par cette frustration, et l’agressivité orale alors en jeu. Winnicott ne cherche pas à mobiliser directement les mouvements inconscients maternels ; il le fait à travers le bébé. Son geste d’interposer sa main entre le mamelon et le bébé agit comme une interprétation des enjeux érotiques et agressifs de la mère et de son fils. Cette opposition directe agit sur l’enfant en levant l’inhibition, comme un véritable détour agressif ; le bébé retrouve et le sein et ses jeux auto-érotiques avec les doigts. En intervenant directement auprès du bébé, en jouant, le psychanalyste associe un échange concret, des développements imaginaires, des mouvements inconscients, avec la manipulation du corps propre, du corps maternel et des objets présentés à l’enfant. Le langage ponctue les affects présents dans ces scènes ludiques. Le travail de symbolisation, essentiel à l’activité psychique, est alors directement suscité.
Références
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